mercredi, novembre 28, 2007

Clandestins : les murs et les passoires

Par SERGIO ROMANO est historien et éditorialiste
Source : Les Echos, 28 novembre 2007

Pour faire face à l'immigration clandestine venant du Mexique, les Américains ont construit un mur sur la frontière du Rio Grande. Mais cela n'empêche pas qu'il y ait aux Etats-Unis environ un million de clandestins. Les flottes des pays méditerranéens de l'Union européenne collaborent pour mieux combattre le marché des êtres humains. Mais elles ne peuvent empêcher que plusieurs dizaines de milliers de personnes débarquent chaque année sur leurs côtes. Les quantités sont différentes, mais le phénomène est le même et il est un signe de la schizophrénie européenne et américaine dans cette matière. Les gouvernements doivent faire preuve de détermination, car leurs électeurs se croient menacés par les invasions d'immigrés. Mais ils savent en même temps qu'ils ne peuvent renoncer aux étrangers, surtout pour les métiers que les citoyens nationaux, quelle que soit leur condition sociale, refusent.

Dans presque tous les pays européens, les politiques de l'immigration sont à la recherche d'une loi idéale, plus ou moins sévère suivant les orientations du gouvernement, mais souvent accompagnée de mesures massives de régularisation. La plus sévère des lois italiennes, introduite en 2002 par le gouvernement Berlusconi, a eu pour effet la régularisation de 700.000 clandestins. Il y a quelques semaines, après un crime particulièrement atroce commis dans la périphérie de Rome par un Rom de Roumanie, le gouvernement de Romano Prodi a promulgué un décret qui autorise les préfets à expulser les indésirables, et vise implicitement les Roumains. Mais, quelques jours après, une ligne aérienne low-cost a annoncé qu'elle augmentait, pour satisfaire le nombre grandissant de ses clients, ses vols hebdomadaires entre Bergame (à 35 kilomètres de Milan) et la Roumanie.

L'élargissement de l'Union a accru les contradictions européennes. Dans les négociations qui précédèrent la signature du traité d'adhésion, l'Allemagne obtint une clause qui permet d'appliquer avec un certain retard (jusqu'à sept ans) le principe de la libre circulation des citoyens de l'Union. Quelques pays l'ont adoptée, d'autres ont préféré ne pas l'utiliser. Mais peut-on avoir des politiques différentes lorsque plusieurs pays européens sont unis par le traité de Schengen, qui abolit les passeports pour les citoyens des pays signataires ? La personne qui franchit la frontière italienne ou française peut être demain à Madrid, Berlin, Bruxelles. Il n'est pas surprenant dans ces circonstances qu'il puisse y avoir des problèmes d'ordre public ou, pire encore, des manifestations de xénophobie comme en Italie après le crime de la périphérie romaine. On les aurait de toute façon, même si les mouvements des migrants pouvaient être mieux planifiés pour l'ensemble de l'Union. Mais la schizophrénie de ses membres et leur incapacité à s'accorder sur des règles communes ont exaspéré les tensions. Surtout, on a vu se développer les phénomènes classiques de l'immigration mal contrôlée : les ghettos, les bidonvilles, le travail au noir, les appartements-dortoirs loués à des dizaines d'immigrants par des propriétaires sans scrupules, la prostitution, le marché de la drogue, la petite et la grande illégalité. Jusqu'à présent, chaque pays a gardé son autonomie dans l'espoir de mieux se protéger. Il est temps de constater que la pluralité des politiques ne peut qu'accroître les risques d'un phénomène qui est très important pour la croissance de l'Europe mais peut susciter des vagues de xénophobie dans les sociétés nationales.

Aucun commentaire: