samedi, avril 30, 2005

Mahyar Monshipour, Champion de Boxe Posted by Hello

Mahyar Monshipour, la France aux poings

Maintenir une conversation suivie avec Mahyar Monshipour ? Impossible dans les rues de Poitiers. Un bonjour par-ci, une poignée de mains ou une embrassade par-là, quelques nouvelles échangées plus loin : tous les dix mètres, il faut s'arrêter. "C'est la même chose à Marseille, tout le monde me reconnaît !" , constate celui qui devait défendre pour la quatrième fois son titre mondial des super-coq WBA, vendredi 29 avril, dans la cité phocéenne.



Mahyar Monshipour, 30 ans dont vingt comme Poitevin, aime qu'on le reconnaisse. Pas tant pour son visage, mais parce que "c'est dur d'être anonyme dans un pays qui n'est pas le sien au départ. Etre iranien, en France, c'est quoi ? Rien !" Il a donc "toujours été dans un rôle de séduction" , "toujours été le plus poli et le plus souriant possible" . Il lui fallait "échapper au rôle du petit immigré" . Et même "devenir une personnalité" .

Contrairement à la plupart des boxeurs, Mahyar Monshipour n'est pourtant pas issu d'un milieu où ce sport permet de prendre l'ascenseur social. Il aurait dû être médecin. C'est en tout cas ce que souhaitait son père, sous-préfet de police à Téhéran du temps du chah et des débuts de la révolution islamique. Son grand-père, originaire de Bam, était un simple tailleur, mais tous ses enfants ont réussi ­ Mahyar a deux tantes qui sont enseignantes, une autre infirmière, et un oncle général.

En plein conflit irako-iranien, son père l'envoie en France, où il est accueilli par sa tante Mahnaz, installée à Poitiers avec son mari, l'ancien président Bani Sadr. Mahyar Monshipour a alors 11 ans et ne parle pas un traître mot de français.

Quelques années plus tard, après une année de médecine pour faire plaisir à son père, alors émigré au Canada, il obtient une licence de sciences techniques activités physique et sportive (Staps). Insuffisant pour lui. "Si j'avais été prof de gym, je n'aurais été que le "petit Arabe" qui a réussi ses études. Il me fallait être tout en haut de l'affiche. C'est passé par la boxe parce je pense que j'étais fait pour ça."

Il devient professionnel en 1996. Six ans plus tard, il est champion de France et d'Europe. "Le mental de Mahyar est exceptionnel, il a une détermination qui sort de l'ordinaire, s'extasie Jean-Claude Bouttier, ancien champion d'Europe, consultant pour Canal+ et à l'origine de la Ligue professionnelle de boxe. C'est un boxeur spectaculaire, au style très généreux."

Quiconque a assisté à l'un de ses combats peut en témoigner. Calme et posé hors des cordes, il saute littéralement sur son adversaire dès le premier coup de gong, lui assène une grêle de coups à la vitesse de l'éclair. C'est à se demander comment ses concurrents ne partent pas en courant face à un tel possédé. Comme s'il devait toujours en faire plus pour parvenir à ses fins, sur le ring ou ailleurs, comme s'il n'avait pas terminé de payer une dette.

"Aujourd'hui, j'ai l'impression de mériter le droit d'être français, parce que je contribue à l'avancement de ce pays." L'histoire de sa naturalisation renferme une blessure. Onze ans après son arrivée, en 1997, il avait déposé une demande, alors qu'il venait de remporter le Tournoi de France. La réponse n'est venue que deux ans et demi plus tard. Négative, au prétexte qu'il était étudiant. "J'étais très déçu parce que j'avais toujours été irréprochable. Les seuls moments où je me rends compte que je ne suis pas né en France c'est lorsque, dans la conversation, on parle de dessins animés ou de chansons qui datent d'il y a vingt ou vingt-cinq ans et que je ne connais pas. Mais l'histoire de France, je la connais bien mieux que beaucoup des gens que je fréquente."

Mahyar Monshipour est finalement devenu français en 2001, grâce à l'intervention de Françoise Imbert, députée (PS) de Haute-Garonne, qui dit avoir compris, grâce à lui, "les valeurs que véhicule ce sport, le respect de l'autre, l'humilité, la ténacité" . "C'est sa rencontre, raconte l'élue, qui m'a amenée à créer l'Amicale parlementaire du noble art."

Comme avant chaque combat, Mahyar Monshipour a encore dit, avant d'affronter le Japonais Shigeru Nakazato à Marseille, qu'il abandonnera la boxe en cas de défaite. "J'adore ce sport, mais je suis détaché par rapport à ce milieu." Réalisée depuis longtemps, sa reconversion le comble. Il est directeur adjoint des sports au conseil général de la Haute-Vienne. C'est dans ce cadre qu'il a créé Sport éducation 86, une structure qui permet à quelque 150 garçons et filles de 11 à 25 ans de s'initier à la boxe éducative, une discipline où les coups ne sont pas portés. "Nous touchons des populations disparates, avec des imaginaires et des fantasmes complètement différents. Ça permet à des enfants de milieu rural et de cités urbaines de se rencontrer. Ma fierté est là."

De l'Iran, il gardait un très mauvais souvenir, "l'impression d'y avoir vécu dix ans en apnée" . "Ma mère m'a abandonné lorsque j'avais 2 ans, explique-t-il, je ne voulais plus entendre parler de mon pays." Jusqu'au jour, en décembre 2003, où la terre tremble à Bam, le lieu de ses origines, au sud-est du pays. Il se rend dans la ville ravagée, n'y voit "que des gens dignes" , découvre un peuple avec lequel il se "réconcilie" . "J'en suis parti la tête haute."

A son retour, il crée l'association France-Bam Solidarité, afin de construire une école dont les travaux devraient commencer cet été. Mahyar Monshipour y retournera en juillet en compagnie de son épouse, Anne, psychologue, en espérant entre-temps avoir trouvé les 70 000 euros qui manquent pour boucler le budget.

"Ce n'est pas un fardeau, mais une charge. Il faut que j'aille jusqu'au bout de ce projet. Je serai soulagé et fier quand tout ça sera fini. Je n'avais pas ça dans l'âme mais c'est normal de faire ce que nos moyens nous permettent." Un simple geste de solidarité, comme ceux, qu'il n'oubliera jamais, que fit "madame Billy" , cette institutrice à la retraite qui lui donnait des cours bénévolement, ou "monsieur Mathieu" , le principal du collège Ronsard qui l'accueillait en 6e.

"Dans quatre ou cinq ans, dit-il, plus personne ne me demandera d'épeler mon nom. Mes futurs enfants n'auront pas à le faire non plus." Et Mahyar sera peut-être devenu un prénom français.


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1975 Naissance à Téhéran (Iran).
1986 Arrivée à Poitiers (Vienne).
2001 Naturalisé français.
2005 Défend pour la quatrième fois son titre de champion du monde des super-coq WBA.

LE MONDE 29.04.05

mardi, avril 26, 2005

Asile : la France reste le premier pays d’accueil

La France est restée en 2004 le 1er pays de destination des demandeurs d’asile devant les Etats-unis, la Grande Bretagne, l’Allemagne et l’Autriche, selon le rapport d’activité de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA).

En 2004, sur les 65 600 demandes reçues par l’OFPRA (devenu cette même année le guichet unique pour les demandeurs d’asile), 11 292 dossiers ont été admis, ce qui représente un taux d’admission de 16,6% contre 14,8% en 2003. Les demandes d’asile en France ont augmenté de 5,8% par rapport à 2003 ; cette hausse est due au triplement des demandes de réexamen de dossiers, refusés à la 1ère demande, et à la croissance des demandes de mineurs accompagnants (+6%). La répartition des demandeurs d’asile a évolué au cours des 3 dernières années ; la région Rhônes-Alpes est devenue la 2ème région d’accueil après l’Ile de France. Parmi les admis au droit d’asile, les ressortissants de Bosnie Herzégovine, du Rwanda et de Russie arrivent en tête ; leur chance d’admission peuvent ainsi dépasser les 50%.

Sélection de sites internet publics :

- Rapport d'activité 2004 - Office français de protection des réfugiés et apatrides, Bibliothèque des rapports publics - La Documentation française

- Le site de l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA)

- Demande d’asile et statut de réfugié, Dossiers politiques publiques - Vie-publique.fr

- Europe : d'ici 2010, une politique d'asile commune, Actualité - Vie-publique.fr

- Immigration, Accès thématique - Vie-publique.fr

lundi, avril 25, 2005

Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM)

Un décret précise les règles d'organisation et de fonctionnement de l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM)

texte : Code du travail, art. R. 341-9 à R. 341-35 mod. par D. n° 2005-381, 20 avr. 2005 : JO, 24 avr.

Prévu par la loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale, ce décret détermine la composition et les missions du Conseil d'administration, du Comité consultatif, de la direction et de l'administration de l'ANAEM.

Le décret, qui modifie la partie réglementaire du code du travail, met en place un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens conclu avec l’État pour permettre la mise en œuvre des missions de l’Agence. Il précise également certaines dispositions financières et comptables (provenance des ressources, contrôle financier de l’État, etc.). Les dispositions transitoires prévoient que dans l’attente des nominations aux différents postes de l’ANAEM, l’Office des migrations internationales (OMI) exerce les missions fixées.

samedi, avril 23, 2005

Les résidents extracommunautaires et la Constitution européenne

Le développement d'une citoyenneté européenne est un fait décisif pour le sort des résidents extracommunautaires. C'est elle, désormais, qui servira de référence pour déterminer leur statut juridique. Elle représente aussi, par opposition à la citoyenneté nationale, l'unique voie vers une démocratie ouverte.

Pour atteindre cet objectif, la Constitution européenne doit marquer un progrès dans la reconnaissance des résidents extracommunautaires : dans leur droit à l'équité d'abord, à la citoyenneté ensuite. Mais ces avancées politiques exigent d'abord que l'Europe fasse plus et mieux pour, simplement, accepter les étrangers qui la rejoignent. A ces conditions seulement, l'Union sera vraiment en mesure de conduire des politiques dignes de sa Charte des droits fondamentaux.

LA CONSTITUTION EUROPÉENNE : UN PAS VERS L'ÉQUITÉ

L'antiracisme gravé dans le marbre

La reconnaissance des étrangers commence par la condamnation explicite du racisme et de la xénophobie. Sur ce point, l'article III-257 de la Constitution pose des fondements clairs : l'Europe y est proclamée « espace de liberté, de sécurité et de justice », et sous cette invocation sont placées des mesures de prévention et de lutte contre le racisme et la xénophobie. Ces derniers y sont même assimilés à la criminalité. La Constitution européenne fait donc de l'antiracisme un domaine à part entière, où s'exerce l'une de ses vocations essentielles.

Au-delà de la xénophobie, les résidents extracommunautaires sont concernés par l'interdiction des discriminations en général. A cet égard, la Constitution inclut la Charte des droits fondamentaux, et donc son article concernant la non-discrimination (II-81) : « Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale (…). » Toutefois, ce principe proclamé n'est qu'une règle directrice pour le droit de l'Union, il ne s'impose pas aux législations nationales. Il témoigne donc d'une Europe consciente de sa diversité, mais sa portée apparaît tout à fait limitée.

Vers des lois européennes contre les discriminations

C'est un peu plus loin que la Constitution pose les bases d'une législation qui s'impose aux Etats. Elle se montre volontariste. Dans un secteur aussi sensible que l'emploi, la Constitution autorise l'Union à « soutenir et compléter l'action des Etats membres » dans le domaine des « conditions d'emploi des ressortissants des pays tiers se trouvant en séjour régulier sur le territoire de l'Union » (art. III-210-1-g). En général, la partie III, « les politiques et le fonctionnement de l'Union », consacre tout son titre II au couple « non-discrimination et citoyenneté ». L'article III-124, en particulier, reconduit l'article 13 du traité de Maastricht : il permet au Conseil européen de voter une loi établissant « les mesures nécessaires pour combattre toute discrimination fondée », entre autres, « sur la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions ». Il rend aussi cette décision plus démocratique en associant le Parlement européen à la décision du Conseil. Des mesures d'harmonisation et des lois à l'échelle européenne peuvent ainsi être prises à l'unanimité. L'objectif du vote à la majorité qualifiée reste donc d'actualité : pourquoi, en effet, ne pas adopter cette procédure plus facile pour les mesures contre la discrimination, comme le demande la Plate-Forme sociale européenne ?

Dans son ensemble, la Constitution renforce le principe d'égalité de traitement et l'applique d'abord à l'Union européenne elle-même, l'obligeant à être « équitable à l'égard des ressortissants des pays tiers » (selon les propres mots de l'article III-257-2) sur des terrains aussi critiques que l'emploi ou l'immigration. Mais combattre les discriminations ne suffit pas à faire avancer la démocratie : il ne s'agit pas seulement de lutter contre les inégalités, il faut surtout agir pour l'égalité. C'est là que la question de la citoyenneté devient cruciale.

LA CONSTITUTION EUROPÉENNE FACE AUX RÉSISTANCES DES NATIONS

Pour les résidents extracommunautaires, un meilleur statut, une véritable reconnaissance passent par la citoyenneté pleine et entière. Or, sur ce point essentiel, la Constitution ne rompt pas avec la conception traditionnelle de la citoyenneté. Des progrès vers l'ouverture et l'égalité sont pourtant possibles, comme le montre notre analyse de « la citoyenneté européenne comme démocratie à construire ».

La citoyenneté européenne proclamée, mais bloquée

La citoyenneté européenne est définie à l'article I-10. Il ne fait aucune place au résident légal : « Toute personne ayant la nationalité d'un Etat membre possède la citoyenneté de l'Union. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. » La Constitution lie toujours la citoyenneté européenne à la possession de la nationalité d'un Etat membre. Pour les résidents issus de pays tiers, le droit de vote aux élections européennes n'est donc toujours pas à l'horizon. Portant la marque d'une inspiration conservatrice, la citoyenneté inscrite dans la Constitution ne représente pas un nouveau modèle de citoyenneté ouverte.

La démocratie rencontre ici un point de blocage qui nous semble aller à l'encontre de l'évolution actuelle. Or, en avançant à contre-courant des opinions et des pratiques de la société, la Constitution risque de laisser s'aggraver les inégalités entre les personnes qui vivent et travaillent sur le territoire de l'Union. Certes, l'article II-105 rend possible aux résidents légaux de circuler librement : « La liberté de circulation et de séjour peut être accordée, conformément à la Constitution, aux ressortissants de pays tiers résidant légalement sur le territoire d'un Etat membre. » Mais, au moment même où l'apport économique des migrants devient une nécessité, où la libéralisation du marché intérieur européen requiert l'égalité et la mobilité des agents économiques, où la non-discrimination et l'égalité de traitement sont promues avec succès partout en Europe, les résidents légaux durablement installés doivent se contenter d'une liberté (conditionnelle) de circulation. Il y a plus grave : ils voient l'écart se creuser avec les nationaux des Etats membres, qui possèdent désormais une citoyenneté de plus. L'égalité des personnes en droit, affirmée par la Charte des droits fondamentaux de l'Union, subit une distorsion.

Une contradiction que la Constitution doit dépasser

En restant attachée à la citoyenneté nationale, cette vision de la citoyenneté paraît donc en porte-à-faux avec le reste de la Constitution. En définissant la citoyenneté européenne comme elle le fait, la Constitution ne va-t-elle pas à l'encontre de ses propres principes ? D'une part, en donnant une valeur constitutionnelle à la Charte des droits fondamentaux, l'Union se place sous l'égide « des valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d'égalité et de solidarité » (II, Préambule). D'autre part, elle proroge à l'égard des résidents extracommunautaires un ordre à deux poids et deux mesures. Certes, cette citoyenneté européenne parachève la liberté de circulation et définit un espace de droits homogènes à l'intérieur des frontières de l'Union. Mais alors, être à l'intérieur des frontières de l'Union, ce n'est pas y résider, y travailler et y vivre, immergé dans la société européenne, c'est être rattaché à un Etat membre par le lien de la citoyenneté nationale. L'universalité de la démocratie européenne s'arrête au pied de l'ordre symbolique de l'appartenance. La véritable frontière, toujours intacte, c'est le cercle métaphysique qui sépare « nous » et « les autres ». Par la grâce des institutions, des droits universels s'attacheraient à « nos » ressortissants, mais ne vaudraient qu'à moitié ou pas du tout pour les « autres ». En s'arrêtant à la citoyenneté traditionnelle, la Constitution entrave sa propre marche vers une société intégratrice, conforme aux objectifs qu'elle a elle-même fixés à l'Union.

ACCEPTER LES EXTRACOMMUNAUTAIRES : UN DÉFI URGENT POUR LA CONSTITUTION

Malgré l'instauration d'une citoyenneté européenne, le résident extracommunautaire demeure inférieur en droit et en fait. De même, la Constitution dans son ensemble oriente l'Union vers une démocratie ouverte, mais certains articles visent clairement à donner à l'Union des pouvoirs restrictifs, en particulier à ses frontières. D'où cette interrogation : si les résidents extracommunautaires continuent d'être exclus de la citoyenneté pleine et entière, c'est peut-être parce que, au fond, il y a encore en Europe une certaine difficulté à accepter la réalité même des migrations.

Le fond du problème

La Constitution efface pour tous les frontières entre les Etats, mais elle renforce aussi les frontières extérieures. Selon les articles III-265 à 267, les compétences de l'Union porteront sur le « contrôle aux frontières », lesquelles feront l'objet d'une « surveillance efficace ». Cependant, comme pour compenser, ces textes prévoient aussi un « statut uniforme d'asile » : c'est un programme positif, qui rendra les situations plus claires et privera les administrations des zones d'ombre propices à l'arbitraire. Ce sera le rôle de la société civile européenne d'empêcher que ce statut soit réduit au compromis minimum consenti par les Etats. Mais, de façon beaucoup plus contestable, ces articles précisent que « l'Union développe une politique commune de l'immigration visant à assurer, à tous les stades, une gestion efficace des flux migratoires » (III-267-1). Y a-t-il un objectif plus opposé à une Europe vraiment ouverte ? Faut-il laisser, sous prétexte de « gestion efficace », cet article 267 offrir aux gouvernements nationaux la possibilité de quotas ? D'une façon encore plus significative, le même article place parmi les buts de cette politique « la prévention de l'immigration illégale et de la traite des êtres humains » : rapprochement aussi expéditif que partiel. Bref, il s'agit toujours, dans l'esprit de la future Constitution, de contrôler avec de plus en plus de rigueur ceux qui bénéficieront de plus en plus de libertés.

Les personnes en séjour irrégulier et les promesses de la Constitution

La Constitution, on l'a vu, accorde deux statuts différents aux citoyens européens et aux résidents de longue durée. Mais elle va plus loin : elle opère une distinction tranchée entre les résident légaux et ce qu'elle appelle, abstraitement, l'« immigration illégale ». Les migrants en situation irrégulière ne sont mentionnés que pour être combattus. En fait, ces intentions affirmées pour l'avenir sont sans rapport avec la réalité bien présente des personnes en séjour irrégulier. Celles-ci se caractérisent en effet d'ores et déjà par la diversité de leurs situations et par la fragmentation de leurs statuts, souvent confus et aléatoires. En particulier, une attention bien plus grande doit être prêtée aux nombreuses personnes établies illégalement après avoir été admises légalement. Leur cas démontre en effet les défaillances d'une politique trop simple de contrôle aux frontières. Ces personnes continuent d'être considérées en transit et demeurent privées de droits sociaux. Une législation incohérente les place dans un vide juridique doublé d'un déni de droits fondamentaux. La législation répond ainsi par le flou et le silence à une réalité qu'elle peine à admettre. Sur de telles situations concrètes, on est en droit d'attendre que les mesures de Bruxelles tiennent les promesses de la Constitution.

CONCLUSION

En effet, au-delà de ces réticences, la Constitution prend, au nom de l'Union, l'engagement explicite de se montrer généreuse et respectueuse de la dignité de chacun. Et l'Europe est en mesure d'apporter une réponse unifiée et équitable à la fragmentation nocive des législations nationales. Imparfaite et prometteuse, telle apparaît aussi sa nouvelle Constitution. Malgré cette ambiguïté, notons que l'Union laisse la discussion ouverte. Et de fait, à nos yeux, le débat est plus que jamais nécessaire.


ParSamir Djaiz, président de la Plate-Forme migrants et citoyenneté européenne, directeur des programmes communautaires à Facem-Repere

Le Monde du 21 avril 2004

Enfin une politique commune d'immigration ?

Avec le traité constitutionnel, l'union pourra harmoniser les règles d'octroi d'asile


Vingt ans après la signature, le 14 juin 1985, par cinq Etats membres (Allemagne, Belgique, France, Luxembourg et Pays-Bas) des accords de Schengen sur la libre circulation des personnes auxquels se sont joints ultérieurement d'autres pays, le traité constitutionnel européen va-t-il marquer l'avènement d'une véritable politique européenne commune en matière de contrôle aux frontières, d'asile et d'immigration ?

Les intentions sont là. Le traité qualifie clairement les politiques relatives à ces domaines de « politiques communes ». Qui dit politique commune dit responsabilité commune. La Constitution énonce comme règle générale le principe de solidarité et de partage équitable des responsabilités, y compris pour les implications financières (article III-268), alors que le titre IV du traité d'Amsterdam ne prévoyait le principe du « partage du fardeau » que pour l'accueil des réfugiés et des personnes déplacées en cas d'afflux massif.

Du côté des procédures, la nouveauté est aussi au rendez-vous. La procédure législative ordinaire est généralisée à l'ensemble des politiques d'asile et d'immigration. Parallèlement, la règle de la majorité qualifiée est étendue à ces matières. Pour Sophie Garcia-Jourdan, docteur en droit et auteur de l'ouvrage L'Union européenne face à l'immigration, édité par la Fondation Robert-Schuman, cette nouvelle législation devrait donner une impulsion à l'Union européenne (UE) qui peine à faire émerger une politique d'immigration commune tant le sujet touche les sensibilités nationales. « Dans ce domaine, la règle de l'unanimité n'a quasiment généré que des normes minimalistes à la portée très affaiblie », considère cette juriste. « Beaucoup de mesures qui tendaient à une harmonisation européenne se sont heurtées à des divergences entre Etats membres et n'ont pas abouti. » La Constitution pourrait contribuer à débloquer certains dossiers.

Au-delà des modifications d'ordre général, le traité constitutionnel introduit des nouveautés pour chacun des aspects de l'immigration. Au chapitre du contrôle des personnes aux frontières, le changement le plus important est la consécration de la notion de « système intégré de gestion des frontières extérieures ». Mis en place « progressivement », cet objectif pourrait aboutir à la création d'un corps européen de gardes-frontières chargé d'appuyer l'action des autorités nationales.

Dans le domaine de l'asile, l'objectif d'un « système européen commun » figure désormais dans la Constitution. L'Union pourra donc harmoniser ses règles d'octroi de l'asile et sortir d'un dispositif complexe fait de juxtaposition de règles nationales.

Enfin, en matière d'immigration, les apports les plus importants concernent les ressortissants en séjour régulier : l'Union pourra adopter des mesures d'encouragement et de soutien à l'intégration des immigrés, à l'exclusion de toute harmonisation des législations nationales. Seul couac dans une partition jouée à l'unisson, le texte de la Constitution réaffirme que les Etats membres conservent leurs compétences pour décider du nombre d'admissions de ressortissants en provenance de pays tiers, à des fins d'emploi. Un bémol important, voulu par l'Allemagne, qui pourrait entacher les espoirs mis pour l'instant sur le papier d'une véritable politique européenne commune d'immigration.


Le Monde, du 19.04.05

vendredi, avril 22, 2005

Hausse du contentieux des étrangers devant le Conseil d'État

Selon le rapport du Conseil d'État pour 2004, ce contentieux a augmenté dans les trois domaines majeurs du droit des étrangers (reconduite à la frontière, réfugiés, visas) ; il constitue plus du tiers de l'activité contentieuse de la Haute juridiction.

En matière de reconduite à la frontière, 2 571 affaires ont été enregistrées en 2004 devant le Conseil d’État, soit 216 de plus que l’année précédente.

Cette tendance constante à la hausse dans ce domaine depuis au moins 1999 devrait toutefois s’inverser, du fait du transfert du contentieux des appels des jugements des tribunaux administratifs en matière de reconduite à la frontière aux cours administratives d’appel depuis le 1er janvier 2005.

Les pourvois contre les décisions de la Commission des recours des réfugiés ont augmenté de 13 % par rapport à 2003 (soit 656), alors qu’ils étaient en baisse constante depuis 2000.

Les recours contre les refus de visas connaissent la même dynamique : 18 % de plus qu’en 2003 (soit 296), alors qu’ils diminuaient depuis 1999, ceci « nonobstant l’existence de la commission des recours contre les refus de visa » saisie préalablement à toute action contentieuse (depuis le 1er décembre 2000).

Ces trois seuls domaines du contentieux des étrangers, les plus importants, représentent 3 523 des 10 581 affaires enregistrées devant le Conseil d’État en 2004, déduction faite des affaires de séries et des affaires réglées par ordonnance du Président de la section du contentieux (questions de compétence et questions relatives à l’aide juridictionnelle).

Au total, ce sont 3 942 affaires enregistrées et 3 308 décisions rendues en 2004 (contre, respectivement 3 556 et 4 014 l’année précédente) dans le contentieux des étrangers, à comparer avec la somme annuelle des 9 516 décisions rendues par le Conseil d’État.

De son coté, la Commission des recours des réfugiés a vu elle aussi son activité contentieuse augmenter fortement : 51 707 entrées en 2004 (contre 44 201 l’année précédente), pour 39 160 affaires jugées (contre 29 502) par cette seule juridiction, tandis que 47 746 affaires (contre 35 199) étaient en instance de jugement au 31 décembre dernier. La forte hausse entamée observée depuis 1999 se poursuit à un rythme toutefois moins élevé (17 % en 2004 contre 40 % en 2003).


Source : Conseil d'État, Rapport public 2005, mars 2005

mardi, avril 19, 2005


Routes Africaines de l'immigration clandestine Posted by Hello

La France reste le premier pays destinataire des demandeurs d'asile

La France est restée en 2004 le premier pays de destination des demandeurs d'asile devant les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Autriche, selon le rapport annuel de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) rendu public mardi 19 avril. En 2004, première année d'application de la réforme du droit d'asile, l'Ofpra, devenu guichet unique pour les demandeurs d'asile, a reçu 65 600 demandes, contre 62 000 en 2003, soit une hausse de 5,8 % alors qu'une baisse générale est observée chez tous ses partenaires européens.

Un rapport du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) publié le mois dernier avait déjà démontré que la France a été, en 2004, le premier pays industrialisé d'accueil de demandeurs d'asile, avec une hausse par rapport à 2003 (61 600 demandes contre 54 429) La hausse de la demande en France présentée devant l'Ofpra est due au triplement des demandes de réexamen et à la hausse de près de 6 % des demandes de mineurs accompagnants, a indiqué mardi le directeur général de l'Office, Jean-Loup Kuhn-Delforge, au cours d'une conférence de presse.

Mais si l'on ne considère que les premières demandes d'examen, la demande d'asile en France est en voie de diminution (-2 % par rapport à 2003) confirmant un ralentissement déjà observé en 2003. Selon M. Kuhn-Delforge, une baisse des demandes en France de 6 % a également été enregistrée au cours des trois premiers mois de 2005. Le mouvement de baisse de demande d'asile sur l'ensemble de l'Union européenne avait, lui, déjà été largement constaté il y a un an, avec une moyenne de plus de 20 % de baisse en 2003. L'évolution constatée en 2004 dans plusieurs pays de l'UE est encore plus marquée : - 26,1 % en Allemagne, - 33,1 % en Grande-Bretagne, - 24 % en Autriche, - 26 % en Suède.

ENCORE PLUS DE DÉBOUTÉS DU DROIT D'ASILE

La répartition des demandeurs d'asile par région de résidence a sensiblement évolué ces trois dernières années : la région Rhône-Alpes a ainsi connu une hausse de 101 %, devenant la deuxième région d'accueil des demandeurs d'asile derrière la région Ile-de-France. Cette dernière représente toutefois à elle seule 41,9 % du total. La baisse à Paris, amorcée en 2001, s'est encore accentuée : la capitale regroupe désormais moins de 20 % des demandeurs d'asile tandis qu'elle en comptait 40 % en 2000. Par ailleurs, la part des mineurs isolés dans les demandes d'asile ne cesse de croître (1 221 demandes en 2004 contre 845 en 2002), la majorité d'entre eux venant du continent africain (61 %).

Parallèlement à la baisse des demandes, le nombre de déboutés du droit d'asile n'a cessé d'augmenter depuis vingt-cinq ans : le taux d'accord des demandes est passé d'environ 80 % en 1981 à 16,6 % en 2004 (contre 14,8 % en 2003), faisant apparaître le chiffre de 11 292 demandeurs admis sous la protection de l'Office. Parmi les admis, arrivent en tête les ressortissants de Bosnie-Herzégovine, du Rwanda et de Russie, dont les taux d'admission dépassent ou avoisinent 50 %. En revanche, Maliens et Chinois n'ont que des chances minimes (1 % ou moins...) d'obtenir le droit d'asile. Les Algériens ne sont guère mieux lotis avec 5,5 %.

Cette situation est corroborée par un rapport du Haut-Commissariat pour les réfugiés, publié en mars dernier. Selon ce document près de 80 % des demandeurs ont été ou seront déboutés, un taux récurrent ces dernières années. Selon les analystes du HCR, un grand nombre de déboutés du droit d'asile devrait rester en France, grossissant le nombre d'immigrés en situation irrégulière.

Sites utiles :

Ofpra
Le site Internet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides

Projet sur la loi au droit d'asile
Avril 2004 sur le site de l'Assemblée nationale

Politique d'immigration au sein de l'UE
Dossier sur le site de l'Union européenne

Politique de l'immigration
Sur le site vie-publique.fr

Cinq idée reçues sur l'immigration
Etude publiée par l'INED en janvier 2004

vendredi, avril 15, 2005

Esclavage : se souvenir de ce crime contre l’humanité

Le Comité pour la mémoire de l’esclavage a remis le 12 avril 2005 au Premier ministre son rapport intitulé « Mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions ». Ce comité, créé en janvier 2004, était chargé de tirer les conséquences de la « loi Taubira » adoptée le 10 mai 2001 et reconnaissant l’esclavage comme un crime contre l’humanité.

Ce rapport propose qu’une journée de commémoration de l’esclavage soit instituée en France chaque année et propose la date du 10 mai, jour du vote de la loi Taubira. Le rapport demande aussi que l’esclavage occupe une place plus centrale dans l’enseignement de l’histoire et notamment dans les manuels. Par ailleurs, le Comité propose une circulaire pour la rentrée 2006 rappelant les différents aspects de l’esclavage et de la traite négrière et insistant sur la mise en place d’actions de sensibilisation dans les établissements scolaires.

Sites internet publics sélectionnés

- Mémoires de la traite négrière, de l'esclavage et de leurs abolitions : rapport à Monsieur le Premier ministre, Bibliothèque des rapports publics - La Documentation française

- Loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, Legifrance

- Site du Comité pour la mémoire de l’esclavage, Comité pour la mémoire de l’esclavage

Mémoires et migrations

La passion du passé, le goût du souvenir, le souci des patrimoines sont des traits d'époque et la quête de mémoire une activité très prisée. David Lepoutre, enseignant de sociologie à l'université d'Amiens et auteur d'un excellent livre sur la culture des jeunes de banlieue (1), reconnaît avoir cédé à cet engouement quand il était professeur d'histoire-géographie dans un collège de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis. Là, en 1997, il a organisé avec deux autres collègues un atelier d'écriture et de recherche documentaire sur la mémoire familiale, dans une classe de troisième.

C'était une « classe-monde », les familles des adolescents venaient d'un peu partout, d'Afrique noire, du Maghreb, du Sud-Est asiatique, de l'Océan indien ou du Cantal français. Une belle mosaïque de mémoires en perspective : lancée dans l'enthousiasme, l'expérience avait une double visée ethnographique et pédagogique. Elle devait être couronnée par une exposition, célébrant la diversité des cultures après avoir contribué à l'épanouissement des enfants.

Il fallut déchanter, amender le projet, renoncer à cette conception exclusivement patrimoniale de la mémoire familiale, avec sa continuité, ses lieux et ses aïeux, qui correspond à un modèle social abusivement généralisé. Car, pour les élèves de ce collège de ZEP (zone d'éducation prioritaire), en majorité français et enfants d'immigrés, diverses ruptures sociales et culturelles compliquent l'accès au passé. Beaucoup ne connaissent pas le lieu où habitaient leurs grands-parents, ils ont eux-mêmes fréquemment changé de logement, quant aux maisons construites par certaines familles au pays, elles font partie du présent, non de l'histoire ancienne. A cet effacement des traces résidentielles s'ajoute une profondeur de la connaissance généalogique très variable, due notamment à la mortalité précoce des grands-parents ou à l'existence de familles monoparentales. En outre, le souvenir de la migration, parce qu'il est socialement dévalorisé, illégitime ou douloureux, est souvent tu par les parents et les adolescents ne sont guère enclins à rompre ce silence.

INTÉRACTIONS DU QUOTIDIEN

Ils ne sont pas pour autant sans histoire et sans repères. Car les transmissions intergénérationnelles passent aussi par les interactions du quotidien, les canaux de l'éducation ordinaire ou ces montages de mémoire « à rebours » et par l'image, à l'initiative des jeunes amateurs de photos et de vidéo. Outre leurs témoignages écrits et les entretiens informels qu'ils ont eu avec David Lepoutre au restaurant Quick du coin, ils ont d'ailleurs apporté des photographies à leurs professeurs. Gardant les strates de l'expérience pédagogique dont il est issu et les étapes de la réflexion sociologique qu'elle a suscitée, le livre réunit les textes des élèves, les documents qu'ils ont choisis et les analyses de David Lepoutre. Il est ainsi feuilleté comme la mémoire.

mardi, avril 05, 2005

Immigration : 30 ans d'illusions 1974-2005

Tableau sans complaisance d'une « France terre d'accueil » pas très hospitalière
ÉNIBLE impression de déjà vu, déjà entendu. Une voiture en flammes dans une cité ; un jeune homme qui dénonce l'oppression sociale dans les quartiers déshérités et les descentes de policiers arme au poing ; un enfant beur qui se résigne à lâcher : « On ne peut rien dire, on n'est pas dans notre pays », face aux insultes racistes d'un autre garçon.

Ces images, qu'on a cru découvrir avec la prétendue flambée de l'insécurité qui a marqué la campagne pour l'élection présidentielle de 2002, ne sont pas extraites des journaux télévisés de Jean-Pierre Pernaut, mais bel et bien des actualités de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Si Jean-Michel Gaillard, Stéphane Khémis et Olivier Lamour les ont choisies pour illustrer leur documentaire, intitulé Immigration, 30 ans d'illusions 1974-2005 (produit par MK2 TV avec la participation de France 5), c'est pour montrer que rien n'a véritablement changé depuis. Constat sans nuance, mais également sans appel, sur les différentes politiques d'intégration mises en oeuvre au fil des trois dernières décennies.

De la fermeture des frontières décidée en 1974 par le président Valéry Giscard d'Estaing à l'ouverture contenue des portes de l'Institut d'études politiques de Paris aux jeunes des zones d'éducation prioritaires (ZEP), les trois auteurs relatent les affres d'une politique d'immigration à court terme, désormais relayée par celle de la « forteresse Europe ». Ce réquisitoire accablant n'épargne pas même l'action de SOS-Racisme, créée en 1985, que le sociologue Saïd Bouamama accuse d'avoir étouffé les revendications égalitaires des minorités en institutionnalisant un discours moral déculpabilisant.

A travers les mots de Salem Bergouch, élève tout juste reçu à Sciences-Po, et de ses neuf frères et soeurs, Jean-Michel Gaillard, Stéphane Khémis et Olivier Lamour donnent toutefois à voir « l'autre côté » du miroir, celui de ces enfants nés en France que l'on désigne toujours comme des étrangers. Celui où l'espoir ne s'est pas totalement évanoui, où l'on croit en l'accès à l'éducation pour pallier les inégalités. Loin de cette France « black-blanc-beur » qui a relancé les illusions et les craintes en 2002, Salem incarne le désir d'une France « bleu-blanc-rouge » égalitaire, dans laquelle il ne serait plus question d'intégration pour les Français « issus de l'immigration ».

Sandrine Darré

vendredi, avril 01, 2005

Le Rapport 2005 de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la lutte contre le racisme (CNCDH)

Contre le racisme… et ses manipulations

La publication du rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme sur la lutte contre le racisme (CNCDH) est devenu un rendez-vous attendu : les statistiques et les commentaires que cet organisme respecté livre chaque année au public éclairent en effet une des questions qui taraudent la France contemporaine.

Encore faut-il prendre le temps de s’y plonger : le rapport publié le 22 mars 2005 (1) est un document de 856 pages composé de trois parties. La première, outre le « bilan des actes racistes, antisémites et xénophobes en 2004 », comporte des chapitres consacrés aux discriminations, au bilan de l’action judiciaire, à l’état de l’opinion publique, aux mesures prises et à l’action des associations (2). La deuxième traite de la propagande raciste sur Internet, fournit une série de données chiffrées (manifestations de racisme, condamnations prononcées, détail du sondage BVA) et propose des avis d’experts (3). Et la troisième présente l’activité de la commission.

Incompétence ou mauvaise foi ? Avant même d’avoir pris connaissance de cette somme, télévisions, radios et quotidiens en ont donné une version non seulement tronquée, mais faussée. Libération (4) a battu tous les records en affirmant, tour à tour, que l’antisémitisme « est beaucoup plus virulent que le racisme, essentiellement antimaghrébin » et que « les juifs seraient, eux, largement victimes des Maghrébins ». L’éditorial de Gérard Dupuy affirmait même que le rapport de la CNCDH « attribue la montée des actes antisémites aux jeunes Maghrébins ». Autant de contresens, sur lesquels il convient de rétablir l’information.

Tout tourne, comme chaque année, autour du choix de la catégorie la plus significative de l’évolution du racisme. Traditionnellement, la CNCDH en utilise deux : d’une part les « violences » et d’autre part les « menaces ». Si toutes deux éclairent une dimension du racisme, la première s’avère évidemment plus précise et concerne des faits plus graves. Comment, par exemple, mettre sur le même plan un courrier anonyme ou une insulte antisémite et une attaque contre une synagogue ou un rabbin ? A titre indicatif, le rapport précise, page 56, que, parmi les 770 « violences et menaces antisémites » recensées en 2004 figurent... 483 graffitis. Dont on aurait tort, évidemment, de minimiser la nuisance. Mais une obscénité sur un mur ou un pupitre n’a rien de commun avec une agression. Ces nuances n’ont pas empêché la plupart des médias de ne commenter, pêle-mêle, que les statistiques additionnées des deux catégories.

Une telle addition indique, certes, une tendance : en l’occurrence, avec 1 565 faits en 2004 contre 833 en 2003, soit + 88 %, elle souligne que les expressions du racisme, de l’antisémitisme et de la xénophobie ont quasiment doublé en un an. Cette poussée se traduit, au-delà des violences proprement dites, par un « climat » de haine banalisée qui peut, dans certains quartiers, collèges et lycées, prendre des proportions inquiétantes. Mais, si l’on entend cerner au plus près le phénomène dans sa globalité, de toute évidence mieux vaut avoir recours aux seules « actions violentes ». Même ce faisant, on aurait d’ailleurs tort de prendre les chiffres au pied de la lettre. Secrétaire général du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Haïm Musikant observait à juste titre à propos des violences antijuives : « Comme les plaintes sont mieux considérées qu’autrefois, que la police est plus mobilisée pour retrouver les agresseurs, et la justice pour les condamner, les gens victimes d’agressions hésitent moins à déposer plainte. » Ce n’est pas le cas, loin de là, de la plupart des Maghrébins, ne serait-ce qu’en raison de l’impression moins chaleureuse qu’ils conservent, pour des raisons évidentes, de l’accueil des commissariats…

Que nous apprend le rapport de la CNCDH sur les « violences » recensées en 2004 ?

- que le nombre d’« actions violentes racistes et xénophobes », qui avait quadruplé en 2002, est retombé de 119 cette année-là à 92 en 2003, mais remonté à 169 en 2004, soit une augmentation de 83 % (page 35), les actes recensés en Corse en représentant, pour la première fois, moins de la moitié. Le rapport parle au sujet des actions racistes de « niveau sans précédent depuis ces dix dernières années » (page 37) ;

- que le nombre d’« actions violentes antisémites », qui avaient sextuplé en 2002, est retombé de 195 cette année-là à 127 en 2003, mais remonté à 200 en 2004, soit une progression de 57 % (page 51), que le rapport qualifie d’« augmentation notable » ;

- que 67 de ces dernières seraient imputables à des « Arabo-Musulmans », soit 34 % du total (page 52). Dans son intervention (page 424), Jean-Christophe Rufin estime à « 30 % » les acteurs « issus de l’immigration, mais pas forcément maghrébine, avec la présence de Noirs et d’Antillais ». On notera en outre que, même s’agissant des « menaces antisémites », seules 25 % d’entre elles seraient le fait d’« individus originaires des quartiers sensibles » (page 57) ;

- que l’extrême droite, trop vite enterrée par certains analystes, est impliquée dans 7 % des « actions violentes » antisémites (page 52) et 23 % des « actions violentes » antiarabes ou antimusulmanes (page 34). Elle joue un rôle majeur dans les profanations de cimetières et de lieux de culte, dont la multiplication caractérise l’année 2004 - on en a compté 65, dont 32 antisémites et 33 islamophobes (page 28). Et le rapport ajoute d’ailleurs : « Les menées strictement islamophobes (…) représentent 21 % de la violence raciste globale en 2004 contre 15 % en 2003 et 12 % en 2002 » (page 35).

Ajoutons que la montée de cette islamophobie ne touche pas, hélas, que la France (5) : un rapport de l’association International Helsinki Federation for Human Rights vient d’établir une première analyse, pays par pays (6), des discriminations ainsi que des attaques, verbales comme physiques, que subissent les vingt millions de musulmans présents dans l’Union européenne élargie. Voilà qui, estime l’association, « menace de saper les efforts faits pour promouvoir l’intégration ». Et d’ajouter : « Le fait que les musulmans aient fait de plus en plus l’expérience de l’hostilité, de la discrimination et de l’exclusion depuis le 11-Septembre risque d’accroître leur sensibilité à la propagande d’organisation qui défendent des méthodes violentes pour protester contre les injustices subies. »

Il suffit de penser à la dérive d’un Dieudonné pour s’en convaincre à nouveau, si nécessaire : rien n’est plus absurde qu’une « concurrence des victimes » - selon le titre du beau livre du chercheur belge Jean-Michel Chaumont (7).

L’émotion profonde suscitée par la recrudescence, depuis cinq ans, des violences antijuives est bien sûr légitime, dans un pays où l’antisémitisme a contribué à la déportation de 76 000 juifs, dont seuls 2 500 ont survécu. Un demi-siècle plus tard, les violences antijuives ne s’appuient heureusement plus - contrairement aux violences antiarabes ou antimusulmanes - sur un courant politique de masse, l’antisémitisme comme idéologie s’étant marginalisé : si 90 % des sondés se disent prêts à élire un président de la République juif, ils ne sont que 36 % à affirmer la même chose d’un musulman (8). Raison de plus pour ne pas se laisser entraîner par l’émotion, aussi légitime soit-elle, à incriminer globalement une catégorie de jeunes, ni à minimiser les autres formes de racisme. Parce que tels ne sont pas les enseignements des faits recueillis et analysés par la Commission. Mais aussi parce que cela nuirait profondément à la nécessaire riposte.

Qu’on se souvienne de l’affaire Phinéas, qui, après celle du RER D, apporta la pire démonstration - par l’absurde - des dangers d’une médiatisation unilatérale et spectaculariste des violences antisémites : ce jeune néonazi, ayant attaqué des Maghrébins à coups de hachette sans faire parler de lui, décida, en août 2004, de profaner 63 tombes d’un cimetière juif de Lyon… et obtint effectivement la publicité qu’il attendait !

Sauf à glisser vers l’idéologie de ceux qu’on prétend combattre, il faut refuser de hiérarchiser les racismes – donc, qu’on le veuille ou non, les êtres humains. Il n’y a pas d’autre voie que de combattre tous les racismes – en tenant compte, bien sûr, des spécificités de chacun – et de rassembler ainsi toutes les forces démocratiques autour de toutes les victimes de tous les racismes. Qu’il soit dirigé contre les juifs, les Arabes, les musulmans, les Noirs ou les Tziganes, le racisme est également condamnable et doit être également combattu.

Dans les manipulations dont son rapport a été l’objet, la Commission porte une part de responsabilité : la synthèse qu’elle-même en a rédigée comportait certaines des confusions que nous venons de souligner. Mais il y a plus. Certes, l’an dernier, le rapport se livrait à une étude révélatrice de la dégradation de l’image de l’islam, dont 66 % des sondés avouaient une perception « négative (9) ». De même, cette année, il consacre un chapitre entier, confié aux associations, aux discriminations dont sont notamment victimes les enfants de la colonisation. On sent toutefois une difficulté, voire une réticence – et pas seulement à la CNCDH – à prendre pleinement en compte la perception de centaines de milliers de jeunes Français issus de l’immigration, qui vivent au quotidien ce « deux poids deux mesures » comme une véritable violence raciste. Le sait-on ? Les jeunes Arabes des quartiers ont par exemple six fois moins de chances – avec une lettre de motivation et un cv identiques - d’obtenir un entretien d’embauche ; et surtout 50 % des jeunes des cités connaissent le chômage, soit le double de la moyenne nationale. Et n’oublions pas ce qu’écrivait Amnesty International dans son rapport 2003 sur la France : « Les cas de brutalités policières ont été le plus souvent liés à des contrôles d’identité (…) le plus souvent pratiqués dans des quartiers dits “sensibles”, dont une grande partie des habitants sont des jeunes d’origine non européenne. »

Au journaliste de L’Humanité (10), qui, au lendemain de la parution du rapport de la CNCDH, lui demandait si la France devenait raciste, la chercheuse Nonna Mayer répondait : « C’est la tendance inverse qui s’exprime ! (…) depuis plusieurs années, lentement mais sûrement, on voit décroître les opinions de rejet à l’égard de toutes les minorités. Jamais les Français n’ont eu, dans leurs opinions, une attitude aussi sévère à l’égard des actes racistes. »

Avec les réserves d’usage qu’appellent les sondages, comment ne pas se réjouir des indications fournies par l’enquête réalisée par l’institut BVA auprès de 1 036 personnes, fin novembre 2004, pour la Commission ? Si on les ajoute, le racisme et l’antisémitisme arrivent au troisième rang (11) des craintes des sondés (cinquième rang en 2002) ? Et pour cause : 90 % d’entre eux (+ 3 % en un an) estiment le racisme très répandu en France. Et 67 % (59 % en 2002) pensent en conséquence qu’« une lutte vigoureuse » contre lui « est nécessaire ». D’autres réponses révèlent, de surcroît, une volonté croissante de répression des propos (12), des propagandes, des actes antisémites et, à un moindre degré, antiarabes ou simplement discriminatoires.

Cette prise de conscience est d’autant plus réjouissante qu’elle s’accompagne d’une diminution des préjugés affichés (pages 113 à 142 et 347 à 407) : 89 % des sondés (sans changement par rapport à 2002) estiment que « les Français juifs sont des Français comme les autres » et 77 % (+3 %) portent un jugement similaire sur les Français musulmans. Concernant les travailleurs immigrés, 81 % (+ 7 %) pensent qu’ils « doivent être considérés ici comme chez eux puisqu’ils contribuent à l’économie française » ; 74 % (+ 7 %) que « leur présence est une source d’enrichissement culturel » ; et 56 % (+ 6 %) qu’« il faudrait donner le droit de vote aux élections municipales pour les étrangers non européens résidant en France depuis un certain temps ».

Le sondage de BVA indique aussi une sensibilité plus vive, mais toujours inégale, aux discriminations : 68 % des personnes interrogées estiment « très grave » de refuser l’embauche d’un Noir qualifié à un poste (61 % dans le cas d’un Maghrébin) ; 60 % de ne pas louer un logement à un Noir (48 % pour un Maghrébin) ; 59 % d’interdire l’entrée d’une boîte de nuit à un Noir (47 % pour un Maghrébin)…

D’autres questions suggèrent, à long terme, une confiance majoritaire et croissante dans le « vivre ensemble » des personnes d’origine et de religion différentes. Et 80 % (contre 16 %) affirment qu’« on juge aussi une démocratie à sa capacité d’intégrer les étrangers »… Contradictoirement, seuls 47 % (contre 46 %) pensent qu’« il faut faciliter l’exercice du culte musulman », et, encore plus bizarrement, une majorité (47 % contre 43 %) refuse même de « faciliter la formation d’imams français »… Il faut dire que 35 % des sondés perçoivent négativement la religion musulmane, 21 % la religion juive, 17 % le protestantisme et 16 % le catholicisme. Pis : 41 % affirment qu’il y a « trop » d’étrangers/immigrés en France (13) …

C’est dire le chemin parcouru… et celui qu’il faut encore faire. Ensemble.

Dominique Vidal, Le Monde diplomatique, 30 mars 2005