mercredi, octobre 09, 2002

Point de vue : Etes-vous sûr d’être français ?

Etes-vous sûr d’être français ?

Ouf ! Au second tour de l’élection présidentielle, les Français ont écarté, par 82,2 % des suffrages exprimés, M. Jean-Marie Le Pen, candidat du Front national. Le déshonneur qui accablait le pays, tombé comme plusieurs de ses voisins dans le piège de l’extrême droite, n’était plus qu’un souvenir : le peuple avait terrassé l’hydre xénophobe. La République avait triomphé de la « préférence nationale ». Les choses pouvaient reprendre leur cours normal. On allait enfin pouvoir débattre, par exemple, de la création d’une police des frontières européenne ; de la mise en place d’aides financières pour les pays du sud de la Méditerranée, en échange de la répression de l’immigration clandestine ; on maintiendrait quelques dizaines de milliers de sans-papiers dans une situation juridique périlleuse ; l’expulsion des « double peine » continuerait bon train... Certes, M. Le Pen était battu. Mais certaines de ses idées n’étaient-elles pas en application depuis une quinzaine d’années, comme en témoigne la course d’obstacles qui attend les pas tout-à-fait-Français qui cherchent à renouveler leurs papiers d’identité ?

Par Maurice T. Maschino
Journaliste, auteur de Oubliez les philosophes, Complexe, Bruxelles, 2001.


Ennuyé, sans doute, d’avoir oublié sa carte d’identité dans la veste qu’il vient de donner à nettoyer, mais nullement inquiet, Jacques R. se rend à la préfecture pour obtenir un duplicata. Première surprise : on le prie de fournir tout document prouvant qu’il est français. Le lendemain, il apporte une liasse de « papiers » et, deuxième surprise, se les voit confisquer pour vérification. Il s’énerve - a-t-il une tête de faussaire ? - et assure qu’il a un besoin urgent de sa carte. On le rassure : il ne tardera pas à l’obtenir.

Trois mois plus tard, la veille de Noël, il reçoit en cadeau une assignation du procureur de la République : son père, affirme le magistrat, a bénéficié par erreur, en 1953, d’un décret de naturalisation. Né en France en 1954 d’un père désormais étranger, et n’ayant pas déclaré pendant sa minorité qu’il optait pour la nationalité française, son fils ne la possède pas. Une action est donc engagée pour le confirmer. Le tribunal d’instance ratifie les conclusions du procureur : Jacques R. n’est pas français.

Effondré, il ne comprend pas : il a toujours vécu en France, y a fait ses études, puis son service militaire, s’est marié avec une Française, gagne honorablement sa vie (il est commerçant), n’a jamais eu affaire à la police ni à la justice et a obtenu plusieurs fois, sans difficulté, le renouvellement de sa carte d’identité. Par chance, il peut prouver qu’il réside en France depuis plus de dix ans et a toujours été considéré comme français par les pouvoirs publics. Il peut donc bénéficier de la « possession d’état ». Deux ans plus tard, le tribunal en convient : à 43 ans, en 1997, Jacques R. devient français. Ce qui n’est pas qu’une clause de style : nés d’un père « étranger », ses enfants perdent à leur tour leur nationalité et, comme lui, doivent entreprendre des démarches pour se faire reconnaître la « possession d’état ».

Est-on français de parents dont la nationalité n’est ni contestée ni contestable, on n’est pas à l’abri, pour autant, d’un regard soupçonneux ni d’exigences extravagantes. A 65 ans, ex-directrice d’école, née en Algérie d’un père français - fonctionnaire « métropolitain » détaché au « gouvernement général » d’Alger -, Françoise B. sollicite une nouvelle carte d’identité. On lui demande de prouver qu’elle est française. Mais comment pourrait-elle ne pas l’être puisque, pendant plus de quarante ans, elle a été fonctionnaire titulaire de l’éducation nationale ? Qu’à cela ne tienne, son lieu de naissance laisse « présumer », lui répond-on, qu’elle pourrait être étrangère.

Comme l’est, à son insu, Lucienne G., 50 ans, avocate née à Strasbourg, installée à Paris et qui a plus d’une fois obtenu le renouvellement de sa carte d’identité. L’administration lui découvre tout à coup des arrière-grands-parents allemands - allemands malgré eux, puisque nés dans l’Alsace conquise et germanisée d’avant 1914. Comme Jacques R., elle sera reconnue française, quelques années plus tard, par « possession d’état ». Cas exceptionnels ? Nullement : si l’on remonte aux arrière-grands-parents, plus d’un tiers de la population française a des origines étrangères. Qui n’est pas né en France de parents français eux-mêmes nés en France risque, à un moment ou à un autre, de devoir prouver sa nationalité. Ou d’apprendre qu’il n’est pas français. « On est tous français à titre provisoire, déclare Me Gérard Tcholakian. Tout au long de notre existence, il peut arriver que le ministère public conteste notre nationalité. » Me Laurence Roques ajoute : « Dès que notre histoire comporte un élément d’extranéité, nous sommes suspects. Et condamnés, très souvent, à un parcours kafkaïen. »

Suspecte, par exemple, Michèle C., chef d’entreprise dans une grande ville du Sud-ouest. Elle est française, mais elle est née à Tunis. Sa mère est française, mais elle est, elle aussi, née à Tunis. Le père de sa mère est français par son père, mais ce père-là - l’arrière-grand-père de Michèle C. - est né en Corse. Des Barbaresques plus des Corsaires : c’en est trop pour l’administration, qui exige, pour tous ces possibles fraudeurs, des actes de naissance intégraux. Ajaccio réagit assez vite - deux mois après. Mais Nantes, où sont transcrits les actes de naissance des Français nés à l’étranger, ne retrouve pas trace de la mère de Michèle. Un an plus tard, il la retrouve. Mais, entre-temps, l’acte de naissance de l’arrière-grand-père a cessé d’être valable. Nouvelle demande... 1995-1998 : Michèle C., qui avait perdu carte d’identité et passeport, a dû attendre trois ans pour en obtenir de nouveaux. Ce qui a singulièrement compliqué sa vie professionnelle : elle ne pouvait ni voyager ni prouver son identité.

Quels que soient sa position sociale, son titre, éventuellement son grade ou ses mérites, personne n’est à l’abri d’une exigence inquisitoriale : « J’ai eu comme clients trois généraux : militaires de carrière, leurs pères avaient servi à l’étranger, où ils étaient nés », dit Me Alain Mikowski. Quant aux soldats français d’origine africaine ou maghrébine qui se sont battus dans l’armée de la République, ils ont perdu en 1993 une nationalité qu’ils détenaient depuis vingt ou trente ans. Depuis, ils perçoivent une retraite de mercenaires étrangers - nettement plus réduite.

Pourtant, rien, dans le code de la nationalité, intégré en 1993 dans le code civil, ne justifie les caprices et les bassesses de l’administration. S’il a subi de nombreuses retouches depuis un siècle, les principes auxquels il se réfère - le droit du sol, le droit du sang - n’ont jamais été remis en question : est français l’enfant dont l’un des parents est français, ou, à 18 ans, l’enfant né en France de parents étrangers. Sans parler, naturellement, de ceux qui deviennent français - par déclaration, naturalisation, réintégration.

Plus ouvert que d’autres, le code de la nationalité comporte pourtant de nombreux « angles morts », estime M. Jean-Michel Bélorgey, conseiller d’Etat. « Il est allergique à la prise en compte de situations anomiques. Le législateur est en permanence en train de composer et, pour ne choquer ni les hommes de liberté, qui ne sont pas les plus nombreux, ni les majorités silencieuses ou xénophobes, il fait des textes à trous, qui laissent de larges marges aux services et à leurs préventions viscérales. Cela conduit à toutes ces alchimies qui se passent dans les mairies et aux guichets. Il n’y a jamais de vraie régulation au sommet. »

Choix politique
Il arrive même que le sommet disjoncte et, par voie de circulaires internes, prenne des dispositions contraires à la lettre ou à l’esprit de la loi. C’est affaire de contexte historique, politique - et de capacité à raison garder. Craignant, depuis des décennies, que la France ne soit submergée par des « hordes » venues du tiers-monde, le législateur paraît atteint de paranoïa galopante et, se croyant entouré d’ennemis, exige de ses nationaux qu’ils montrent patte blanche : tout Français est peut-être un étranger qui s’ignore ou se cache.

Déjà, en 1985, dans un article publié à la « une » du Monde (1) et qui fit grand bruit, Jacques Laurent racontait à quelles tribulations il avait été contraint pour obtenir le renouvellement de sa carte d’identité. « Cela a fait scandale parce qu’il était connu, commente un haut fonctionnaire chargé de ces questions, mais cela durait depuis longtemps : à l’époque, il y avait déjà des milliers de Jacques Laurent. » Depuis 1995, et l’institution de la carte d’identité sécurisée, il y en a des centaines de milliers - et peut-être des millions. « Le climat actuel est à peu près le même qu’il y a trente ans, dit ce haut fonctionnaire. Pour déceler 1 % d’erreurs ou de fraudes, on empoisonne la vie de 99 % des citoyens. C’est de la folie ! Mais on n’en parle plus. Comme si l’inacceptable, avec le temps, était devenu normal. La gauche n’a rien changé. Elle fait même pire : la chancellerie se plie encore moins qu’autrefois aux arrêts de la Cour de cassation. Lui donnent-ils tort, elle charge un groupe d’experts de trouver un moyen de les contourner. »

La circulaire Pasqua de 1993 (2) est donc toujours en vigueur. Une circulaire parfaitement illégale, estime Me Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme, puisque, à l’occasion d’une nouvelle procédure administrative (la création de la carte sécurisée), elle introduit un doute sur la nationalité, que la loi ne prévoit pas. Suspect d’être un étranger fraudeur ou un immigré clandestin, tout citoyen qui sollicite une nouvelle carte d’identité doit donc prouver qu’il est français. Comme si l’ancienne était un faux. « La carte sécurisée, c’est un choix politique, dit Me Tubiana. On demande un certificat de nationalité à des gens dont on peut parfaitement savoir, par les fichiers informatiques, qu’ils en sont au troisième ou quatrième renouvellement de leur carte d’identité. On est dans le domaine de la xénophobie pure. Qui renvoie à une conception exclusive (par opposition à inclusive) de la nationalité. »

Perspective raciste
Français par le droit du sol ? Oui. Mais par le sang, c’est mieux, et c’est aujourd’hui « la voie royale », dit Me Laurence Roques. « Parce que là, au moins, on est sûr : le sang ne ment pas ! » Mais dès qu’on entre dans cette logique - « dis-moi de quel sang tu es, qui est ton père, ton grand-père, dis-moi d’où tu viens » -, on se place dans une perspective raciste (comme en témoigne le programme de M. Jean-Marie Le Pen) : « On voit de plus en plus souvent apparaître des comportements que je n’hésite pas à qualifier de purificateurs de la "race" blanche, déclare Me Gérard Tcholakian. Il y a, dans certaines administrations qui traitent du contentieux de la nationalité, une volonté, consciente ou inconsciente, de protéger la "race". Il m’est arrivé de déposer plus d’une dizaine d’assignations de reconnaissance de nationalité pour de jeunes Africains dont le père, sans contestation possible, était français, et auxquels un tribunal d’instance refusait la délivrance d’un certificat de nationalité. C’est très courant. »

« On sacralise l’origine, dit M. Jean-Michel Bélorgey. Comme s’il y avait une essence de l’"être-français", qu’il faudrait protéger de toute souillure. » D’où cette suspicion qui frappe toute personne née à l’étranger ou de parents étrangers, d’où cette crainte obsessionnelle d’une « contamination », toujours possible, de la « race », cette exigence pathologique de documents qui attestent sa « pureté ».

Français de France ou d’ailleurs, tout citoyen ou presque se voit donc demander, lorsqu’il sollicite une carte d’identité (ou un passeport, s’il ne possède pas la carte sécurisée), un certificat de nationalité. Généralement, il ne le sait pas, il ne soupçonne même pas l’existence de ce certificat : hormis, dans les antennes de police, quelques panneaux souvent illisibles, toujours incompréhensibles et, tant il y a de monde, inaccessibles, aucune information n’est donnée spontanément ni ne circule ; les quelques brochures éditées par le ministère de la justice, ou les dépliants de la préfecture de police ont une existence quasi clandestine.

Nullement préparé à l’épreuve qui l’attend, le citoyen ne comprend donc pas ce qu’on lui demande, se le fait répéter par un fonctionnaire de plus en plus excédé, puis réalise, stupéfait, qu’on doute de sa nationalité, panique ou « s’encolère » : « J’ai vu arriver des dizaines de gens dans mon cabinet, de toutes origines sociales, parfaitement insérés et complètement bouleversés, dit Me Alain Mikowski. Ils se voyaient demander non seulement une quantité invraisemblable de documents, mais s’entendaient dire qu’ils n’étaient pas français. Ou, en tout cas, devaient le prouver. »

« Chaque fois, c’est un choc, confirme le responsable d’une antenne de police parisienne. Les gens ne comprennent pas. Habitués à recevoir sur-le-champ de nouveaux documents, ils se voient expédiés au tribunal d’instance. Et le tout au milieu d’un public impatient, énervé par l’attente, le bruit, les protestations d’un citoyen furieux, les cris d’un nourrisson que des parents veulent inscrire sur leur passeport... Non, l’extrait de naissance ne suffit pas, il faut présenter l’enfant, même si c’est un bébé... On nous prend pour d’horribles bureaucrates, mais nous travaillons, presque tous, dans des conditions épouvantables, qui feraient d’un ange un démon. »

L’antenne de police : un purgatoire, qui débouche moins sur le paradis que sur l’enfer. Refusé pour nationalité douteuse par des fonctionnaires tatillons sur ordre - « Depuis trois ans, déclare un responsable, on nous demande d’appliquer la réglementation de façon très stricte » -, le citoyen se rend donc au tribunal d’instance. Le plus souvent, il doit prendre rendez-vous pour obtenir la liste des pièces qu’exige la délivrance d’un certificat de nationalité.

Liste impressionnante, mais, comme l’indique celle que nous avons sous les yeux, « liste provisoire et qui peut être complétée après examen du dossier ». Provisoirement, donc, il est prié de fournir son acte de naissance, celui de son père, de sa mère, de ses grands-pères et grands-mères paternels et maternels, des arrière-grands-pères et arrière-grands-mères paternels et maternels, son livret de famille, celui des parents, beaux-parents, grands-parents, leurs actes de mariage, son livret militaire, des certificats de travail... « A un moment donné, dit Me Gérard Tchokalian, le tribunal d’instance de Toulon ne demandait pas moins d’une trentaine de documents pour délivrer un certificat de nationalité. »

Ces documents réunis, le citoyen prend rendez-vous au greffe pour déposer son dossier. Dès l’entrée, il est saisi : généralement, il n’y a pas de salle d’attente - dans le 18e arrondissement de Paris, quelques chaises sont disposées dans un étroit couloir, la plupart restent debout, parfois deux ou trois heures -, et l’accueil n’est pas individualisé. Derrière son guichet, l’agent examine le dossier, tout en faisant des observations ou en posant des questions que tout le monde peut entendre.

Viol légal de la vie privée : dans un tribunal de banlieue, un homme âgé explique que son grand-père est mort à Dachau et que ses papiers ont brûlé dans l’incendie du ghetto de Varsovie ; un autre, que ses beaux-parents, qui vivent dans un village perdu du Mali, ne peuvent se rendre à Bamako, à 500 km, pour photocopier leur livret de famille. Le guichetier ne sait quoi faire - formés sur le tas, beaucoup manquent de compétence, confondent Guinée-Conakry et Guinée-Bissau, l’ex-Congo belge et l’ex-Congo français... Perplexe, l’employé appelle la greffière en chef, absente, puis le service d’état civil à Nantes, qui ne répond pas. Finalement, il prend le dossier : « On verra... »

Peut-être l’homme attendra-t-il six mois - c’est fréquent - un récépissé de dépôt. Le temps que la greffière en chef examine les documents et délivre, éventuellement, le certificat de nationalité. Ou, hésitante, fasse suivre le dossier à la chancellerie. C’est la règle : à la moindre difficulté, les greffes, qui manquent de personnel et craignent la hiérarchie, soumettent les cas qui leur posent problème au ministère de la justice. Où une douzaine de fonctionnaires, non moins zélés ou frileux, demanderont au consulat de Ouagadougou, Pondichéry ou Rabat d’authentifier les extraits de naissance. Certains consulats ne réagissent pas, d’autres prennent leur temps - quelques mois, un an, deux ans.

Aucun délai légal n’est fixé pour la délivrance d’un document administratif. On l’attend parfois des années. Et comme, à la différence d’autres pays, telle la Grande-Bretagne, les fonctionnaires français avancent masqués, on ne peut jamais savoir qui s’occupe de son affaire, dans quel service elle est bloquée, ni pourquoi. Connaît-elle une issue négative, on peut faire appel devant le tribunal d’instance. Ou, si lui-même confirme la décision de la chancellerie, devant le tribunal de grande instance. Mais « comme tout le système français est fondé sur la suspicion, comme les textes sont toujours lus et interprétés au minimum » (Me Alain Mikowski), l’affaire n’est pas réglée pour autant : « Le parquet s’acharne, dit Me Michel Tubiana. Il m’est arrivé d’avoir des accrochages très violents avec des procureurs cyniques ou obtus. Ainsi, pour deux cas absolument identiques (deux frères à qui la chancellerie déniait la nationalité française), le même tribunal, à deux mois d’intervalle, a rendu deux jugements contradictoires. J’ai dû m’adresser à la cour d’appel. » De son côté, Me Alain Mikowski précise : « On perd 90 % des affaires. A Pontoise, le procureur n’assiste même pas à l’audience. A Evry non plus. Obtient-on un jugement favorable, le parquet fait appel. Et ne vous lâche pas. »

Il y a toujours des contradictions, sans doute, entre les histoires individuelles et les règles collectives. Mais le pouvoir les tend actuellement à l’extrême et durcit ses exigences de « normalité ». De conformité. Pris de crampes identitaires, il s’accroche à des mythes - mythe des origines, mythe de la « pureté » ethnique - et délire. Il sacralise la nation au moment où il abandonne une partie de ses pouvoirs à des instances étrangères, s’arc-boute à une définition étroite de l’appartenance nationale, quand la bi- ou la multi-appartenance sont de plus en plus fréquentes et revendiquées, n’admet qu’une seule dimension de l’individu, alors que de plus en plus se définissent autant, sinon davantage, par leur enracinement dans une région, leur adhésion à une religion, leurs engagements (politique, professionnel) européens.

L’Etat ne connaît que des Français - qu’il définit comme tels de la façon la plus arbitraire, la plus étroite possible -, quand ces Français « se sentent » tout autant, et sans états d’âme, corses ou bretons, déjà européens, et en même temps yougoslaves, algériens, portugais, maliens...

« Moisie », la France, comme le prétend un littérateur ? Certainement pas ; mais le pouvoir, sans conteste. Qui se calfeutre, sent le renfermé, et cultive le nombrilisme hexagonal. A la différence de ceux qui ont ouvert la France sur le monde et prôné des valeurs - liberté, égalité, fraternité - qui ont fait, un temps, sa grandeur. Loin d’exclure, les révolutionnaires de 1789 ont inclus dans la nation française tous ceux dont l’existence témoignait de leur attachement à ce pays et à ses idéaux.

Les chiens de garde de la « pureté » nationale feraient bien de méditer l’article 4 de la Constitution de 1793 : « Tout homme né et domicilié en France, âgé de 21 ans accomplis, tout étranger âgé de 21 ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout étranger, enfin, qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité, est admis à l’exercice des droits de citoyen français. »


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Lire :
- « Si vous mangez du couscous... »
- Le principe et l’arbitraire.

(1) « Jacques Laurent est-il français ? », Le Monde,11 juillet 1985.

(2) Dans cette directive, le renouvellement de la carte d’identité papier en carte d’identité sécurisée (plastifiée) est considéré comme une première demande ; il est alors nécessaire de prouver que l’on est français.



http://www.monde-diplomatique.fr/2002/06/MASCHINO/16579 - juin 2002