lundi, avril 05, 2010

Le projet de loi immigration de Besson présenté au Conseil des ministres

Par Catherine Coroller, journaliste à Libération.


Moins de droits pour les étrangers en situation irrégulière sous le coup d'une mesure d'expulsion. Telle est la philosophie globale du projet de loi qu'Eric Besson présente en ce moment même au conseil des  ministres.

Une première version de ce texte avait circulé. La présente comporte quelques améliorations. L'article 73 qui prévoyait qu'un étranger expulsé qui tenterait de rentrer clandestinement en France pourrait être puni d'une peine d'emprisonnement de trois ans, semle avoir disparu.

Autre différence: ce texte prévoit de "rendre plus explicite l’immunité pénale de ceux qui apportent une aide humanitaire d’urgence aux étrangers en situation irrégulière. "L’article L.622-4 sera précisé afin de protéger de toute poursuite ceux qui apportent une aide humanitaire d’urgence aux étrangers en situation irrégulière" dit encore le projet de loi. Il s'agit en clair de ce que les associations appellent le "délit de solidarité". Est-ce la fin des ennuis pour les associations et particuliers qui aident les étrangers en situation irrégulière? Telle n'était pas l'intention de Besson. Le texte tel qu'il est rédigé aujourd'hui n'est pas suffisamment explicite pour en tirer des conclusions.


D'autres dispositions contenues dans l'avant-projet de loi sont inchangées. Ainsi:

  • La création de zones d'attente ad hoc. A la suite de l'arrivée de 123 kurdes, le 22 janvier, sur une plage du sud de la Corse, le ministre de l'immigration, Besson avait annoncé des mesures pour faire face à des "afflux massifs et inopinés" d'étrangers en situation irrégulière. Le projet de loi "crée un nouveau dispositif permettant de faire face à l’arrivée à la frontière de nombreux ressortissants étrangers, en dehors de tout point de passage frontalier. Il prévoit la possibilité pour le préfet de créer une zone d’attente temporaire, qui relie les lieux de découverte d’un groupe de migrants au point de passage frontalier, où sont normalement effectués les contrôles des personnes". Cette argutie matérialisée dans l'espace permet de priver immédiatement ces personnes de liberté.
  • L'interdiction de retour pour les expulsés. Cette mesure est la traduction en droit français de la directive européenne dite "retour". L'administration pourra désormais assortir une OQTF (obligation de quitter le territoire français) d'une «interdiction de retour sur l’ensemble du territoire européen» d’une durée maximale de 5 ans.

  • L'affaiblissement du rôle du juge de la liberté et de la détention. Il sera saisi 5 jours après le placement en rétention, contre 48 heures actuellement. Il pourra prolonger la rétention de 20 jours, au lieu de 15 aujourd'hui. Au terme de ce nouveau délai, la rétention pourra encore être prolongée de 20 autres jours. La durée maximale de rétention passe ainsi de 32 à 45 jours.

  • La pénalisation des employeurs de sans-papiers. Le texte prévoit ainsi "la mise en place d'un ensemble de sanctions administratives, financières et pénales contre les personnes physiques ou morales qui recourent sciemment, directement ou indirectement, à l'emploi d'étrangers sans titre de séjour".
Parmi les autres dispositions, la création d'une "carte bleue européenne" pour les travailleurs hautement qualifiés (au minimum, diplôme BAC+3, ou justifiant d’une expérience professionnelle d’au moins 5 ans), et l'obligation pour les étrangers accédant à la nationalité française de signer "une charte des droits et des devoirs du citoyen".

Source : http://immigration.blogs.liberation.fr/coroller/2010/03/besson-pr%C3%A9sente-son-projet-de-loi-sur-limmigration-au-conseil-des-ministres.html

Des élus lancent un "audit de la politique d'immigration"

PARIS — Des élus ont annoncé le 2 avril qu'ils allaient lancer "un audit de la politique d?immigration", principalement avec des représentants de gauche mais aussi au moins un député UMP, Etienne Pinte, et Jean-Luc Bennhamias (MoDem).

"Le 6 avril 2010 à 10H00, une conférence de presse à l'Assemblée nationale annoncera un audit de la politique d?immigration à l'initiative de députés de gauche (Martine Billard du Parti de Gauche, Noël Mamère des Verts et Sandrine Mazetier, du PS)", selon un communiqué.

"Parmi les premiers membres de cette commission figurent les députés Serge Blisko, David Goldberg et George Pau-Langevin (PS), Étienne Pinte (UMP), le sénateur Richard Yung (PS), les députés européens Jean-Luc Bennahmias (Modem), Hélène Flautre et Eva Joly (Europe écologie)", ajoute-t-on.

Les signataires estiment que "la politique d'immigration menée sous l'égide du président de la République continue de se durcir avec un nouveau projet de loi visant à réformer le code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda)".

"Cette cinquième loi en sept ans appelle à s'interroger: s'il faut au gouvernement vingt fois sur le métier remettre son ouvrage, ne convient-il pas désormais de demander des comptes à la politique d'immigration?", s'interrogent-ils.

"Nicolas Sarkozy se veut le champion de la "culture du résultat": le moment est donc venu d'évaluer cette culture à l?aune de ses résultats", ironisent-ils.

Source : AFP, 3 avril 2010

"Les Yeux grands fermés. L'Immigration en France", de Michèle Tribalat : sociologie souverainiste

Source : Le Monde, 29 mars 2010

La démographe Michèle Tribalat part une nouvelle fois en croisade contre ce qu'elle perçoit comme une autocensure teintée d'"antiracisme idéologique" et s'appuyant sur la "valorisation de la minorité en tant que telle".

Quelle est l'ampleur précise des flux migratoires ? L'immigration empêche-t-elle, freine-t-elle réellement le vieillissement des pays européens ? L'afflux de migrants entraîne-t-il une baisse des salaires ? Quel est l'impact démographique de l'immigration sur le peuplement des territoires ? Quels sont ses effets sur les comptes sociaux ? Autant de questions auxquelles, en France, on se refuse de répondre, déplore Michèle Tribalat dans son nouvel essai.

"L'immigration est sacralisée au point que le désaccord ne peut exister et être raisonnablement débattu", affirme-t-elle, se donnant pour objectif de démonter un certain nombre d'idées reçues. Elle s'appuie notamment sur des analyses et travaux produits et débattus à l'étranger, en particulier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, mais qui n'ont que peu - voire aucun - écho dans l'Hexagone.

Nul ne contestera la quasi-inexistence, en France, des études d'impact, notamment économique, de l'immigration. Pour autant, la réflexion ne se réduit pas à des chiffres. L'usage de la statistique n'est lui-même jamais neutre, même si la directrice de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED) affirme en rester aux faits. Derrière sa dénonciation de l'aveuglement, de la "falsification ou présentation incorrecte" de la réalité, elle-même s'inquiète d'une supposée perte de souveraineté de l'Etat-nation, prenant ainsi une posture idéologique.

Ainsi Michèle Tribalat insiste-t-elle sur le changement fondamental de notre régime migratoire, qu'elle qualifie d'"auto-engendrement des flux familiaux" : si hier l'immigration familiale suivait l'entrée de travailleurs, désormais une bonne partie de l'immigration étrangère passe par la création ou l'activation de liens familiaux. Un phénomène que l'on aurait sous-estimé en "rusant avec les chiffres pour relativiser l'immigration étrangère aux yeux de l'opinion publique".

Mais derrière ce constat, c'est "l'intrusion croissante du contrôle judiciaire" et le déclin des autorités nationales en faveur d'une gouvernance européenne que pointe Michèle Tribalat. Les entrées sur le territoire pour motif familial étant attachées à des droits supranationaux, l'Etat ne pourrait plus, selon elle, avoir prise sur ces flux.

Michèle Tribalat pourfend, avec des accents souverainistes, "l'idéologie progressiste transnationale" que véhiculerait l'idée de gouvernance mondiale, associant pays de départ, pays d'accueil et migrants. Mais la gestion des migrations peut-elle relever exclusivement des seuls Etats nationaux, et a fortiori des seuls pays d'accueil ? La réponse de Michèle Tribalat est, de ce point de vue, un peu courte. Regarder lucidement l'immigration n'interdit pas d'adopter à l'égard de cette réalité sociale une approche plus constructive.


LES YEUX GRANDS FERMÉS. L'IMMIGRATION EN FRANCE de Michèle Tribalat. éd. Denoël, 240 p., 19 €.