mardi, mars 28, 2006

L'immigration choisie se heurte à la réalité des besoins

Le constat est tranché : « La France n'a plus, dans l'état actuel de son économie, les moyens d'accueillir des immigrants. » Celui qui le dresse, Richard Castera, inspecteur général de l'administration, s'était vu confier en septembre 2005 une mission d'évaluation des « capacités d'accueil de la France et ses besoins » par le ministre de l'intérieur.

Si l'analyse de M. Castera ne fait encore l'objet que d'un rapport d'étape, dont Le Monde a eu copie, le ministère de l'intérieur s'est bien gardé de l'ébruiter. Ses premières conclusions battent en brèche l'idée d' « immigration choisie » que Nicolas Sarkozy entend promouvoir à travers le nouveau projet de loi qu'il devrait présenter en conseil des ministres en avril.

Pour M. Castera, la France doit prendre acte du fait que ses capacités d'accueil ne lui permettent pas d'intégrer dans de bonnes conditions le flux migratoire qu'elle admet chaque année - plus de 160 000 personnes en 2004 selon ses estimations. Et elle doit faire des choix pour réduire ce flux. « L'immigration «choisie» ne se substituera pas à l'immigration «subie», elle risque au contraire de créer une vague supplémentaire d'entrée d'immigrés qui ne seront pas à l'abri du chômage », soutient-il.

M. Castera affirme donc que la France « n'a d'autres choix que de réduire, au moins pendant quelques années, le flux des personnes entrant sur son territoire », avant d'ajouter : « Faute de quoi, elle s'expose à de nouvelles explosions comme celle qu'elle a connue en novembre dans les banlieues ».

C'est en particulier dans le domaine du logement, mais plus encore en matière d'emploi, que l'intégration pose problème, relève M. Castera. Son raisonnement est simple. Chaque année, plus de 100 000 étrangers se présentent sur le marché du travail. A l'immigration pour motif professionnel - 11 400 personnes en 2004 -, s'ajoutent les immigrants pour motifs familiaux disposant d'un titre de séjour les autorisant à travailler.

« SITUATION ATYPIQUE »

Or le secteur privé, le seul qui leur soit accessible, ne génère pas suffisamment d'emplois pour satisfaire les demandes : en 2004, il enregistrait 86 000 créations nettes. « Les capacités d'accueil des populations immigrées sont donc totalement saturées. Et les premières victimes de cette réalité sont les étrangers », relève M. Castera, soulignant que le taux de chômage de ces populations est bien supérieur à la moyenne de la population (17,6 % contre 9,7 %).

Dans un autre rapport, « Besoins de main-d'oeuvre et politique migratoire », mis en ligne vendredi 17 mars (www.strategie.gouv.fr.), le Centre d'analyse stratégique (CAS, ex-Commissariat général du Plan) est loin d'être aussi définitif.

« Qu'il s'agisse de sa population totale ou de sa population active, la France ne connaîtra pas, à l'horizon 2015, à la différence d'autres pays européens, de problème démographique global qui justifierait un recours massif à l'immigration », soulignent les experts du centre. Cependant, précisent-ils, « ce constat n'interdit pas à la France de s'interroger sur l'immigration ciblée dont elle a besoin, pour répondre à certaines difficultés sectorielles de son économie ou, de façon plus positive, pour enrichir son développement et sa croissance ».

Bien que vieillissante, la France, observe le CAS, se trouve dans une situation atypique en Europe, avec un accroissement de sa population, peu lié aux flux migratoires. Son taux de fécondité (1,94 enfant par femme en 2005), la place au premier rang européen, à égalité avec l'Irlande. Reste que l'économie française connaît d'ores et déjà des pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs comme le bâtiment et les travaux publics, l'industrie mécanique, l'hôtellerie-restauration, ou le secteur hospitalier et parahospitalier. Un phénomène qui n'ira qu'en s'amplifiant.

Face à ces tensions qui grèvent le développement des entreprises et « ne se résorberont pas à court terme », l'immigration peut constituer « une solution transitoire », selon le CAS. Les auteurs du rapport jugent « indispensable » de faciliter le recours à la main-d'oeuvre étrangère par les employeurs ne parvenant pas à pourvoir leurs postes de travail.

« SOUS-EMPLOI »

D'autant qu'à l'horizon 2015, avec le départ à la retraite des baby-boomers, le nombre de postes à pourvoir devrait augmenter. Ces tensions se feront sentir pour l'essentiel dans des métiers très qualifiés, mais aussi pour des emplois peu qualifiés, en particulier les services à la personne.

Sur ce point, Richard Castera réfute l'idée de faire appel à l'immigration pour compenser les insuffisances de main-d'oeuvre. « Le chômage et le sous-emploi, ainsi que la faiblesse du taux d'activité de certaines catégories de personnes (seniors, femmes, jeunes), offrent des gisements considérables de main-d'oeuvre. Des politiques actives d'emploi et de formation professionnelle peuvent permettre d'ajuster offre et demande si des besoins sectoriels ou spécialisés se font sentir. Si des emplois sont à pourvoir, la priorité doit être impérativement accordée à réduire le chômage, et notamment celui des immigrés déjà présents en France », objecte-t-il enfin.

Une priorité que le CAS met également en avant. Il suggère d'ailleurs d'ajouter au contrat d'accueil et d'intégration un volet insertion professionnelle et d'ouvrir les professions fermées aux étrangers. Il ne manque pas de souligner que l'ouverture du marché du travail aux salariés des nouveaux états membres de l'Union européenne, au plus tard à partir de 2009, permettra sans doute de pourvoir à une partie des besoins. Un « recours accru et ciblé » à l'immigration extra-communautaire n'en est pas moins souhaitable dans les secteurs faisant face à des tensions structurelles, soutient-il.

Pour gérer ces migrations de travail, le centre, peu convaincu par les quotas, défend une « gestion déconcentrée ». Il appelle l'administration à accélérer et simplifier les procédures d'attribution des autorisations de travail. Pour nourrir ce qu'il préconise : « Une immigration plus qualifiée et plus fluide. »

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