Source : Libération, 14 février 2006
par Jacky DURAND
Simple opportunité tactique ou stratégie préélectorale ? En faisant, hier, de la «transparence» le maître mot de la publication du premier rapport mensuel de l'Observatoire national de la délinquance (OND, lire ci-contre), le ministre de l'Intérieur s'est risqué sur un terrain beaucoup plus miné que la simple comptabilité des crimes et des délits : celui des origines ethniques des personnes mises en cause. Interrogé sur RMC-Info quelques minutes avant le début de conférence de l'OND, Sarkozy s'est déclaré favorable à la mention de l'origine des délinquants dans les statistiques de la police : «Il faut faire de la transparence. Il n'y a aucune raison de dissimuler un certain nombre d'éléments qui peuvent être utiles à la compréhension de certains phénomènes.»
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Le 24 janvier, déjà, le ministre de l'Intérieur avait évoqué le «phénomène très préoccupant» de «bandes constituées sur des critères ethniques avec une violence endémique», dans un discours prononcé à l'occasion des voeux du syndicat de gardiens de la paix Alliance. Ce phénomène était, selon lui, démontré par «les dernières arrestations dans les transports en commun notamment». Le ministre de l'Intérieur faisait notamment référence aux violences dans le TER Nice-Lyon, aux premières heures du 1er janvier 2006.
Précédents. Sarkozy n'est pas le premier flic de France à aborder la question des «critères ethniques». En 1990, une polémique avait contraint le gouvernement Rocard à retirer un décret autorisant les Renseignements généraux à ficher «les opinions politiques, philosophiques, religieuses» ainsi que «l'origine ethnique de certaines personnes». Il y a dix ans, la police avait aussi envisagé un système de fichage permettant de répertorier les «origines ethniques» des gardés à vue.
La «transparence» prônée aujourd'hui par Nicolas Sarkozy sur les origines des mis en cause laisse sceptiques les spécialistes de la délinquance, policiers ou chercheurs.
A commencer par le président de l'OND, Alain Bauer, pilier de la pensée sécuritaire, qui fut membre du cabinet de Michel Rocard quand il était à Matignon, et Grand Maître du Grand Orient de France. «Je suis dubitatif sur l'utilité de créer un appareil statistique sur les origines ethniques des mis en cause, indiquait-il hier à Libération. Le risque de provoquer des effets pervers est très important. On a déjà le fichier Canonge qui donne des indications physiques sur les personnes recherchées. Je ne crois pas qu'il existe de mécanisme ethnique ou cultuel dans la construction de la criminalité. Il y a une réalité démographique : les jeunes mâles sont davantage représentés dans les populations issues de l'immigration et, par définition, sont plus remuants que les vieilles dames.»
Conditions de vie. Dominique Achispon, secrétaire général du Syndicat national des officiers de police (Snop, majoritaire), se demande «à quoi pourraient bien servir de telles informations. On arrête un délinquant, pas parce qu'il est noir ou arabe, mais parce qu'il a commis une infraction». Un policier en poste en région parisienne constate : «C'est vrai que dans la délinquance de voie publique que j'observe, trois quarts des mis en cause sont issus de l'immigration, mais ils sont aussi de nationalité française. Ce constat, c'est celui de leurs conditions de vie.»
Laurent Mucchielli, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, affirme (1) que «la part prise par des jeunes issus de l'immigration dans certains types de délinquance est d'abord la conséquence de leur position sociale. Ces jeunes sont avant tout des enfants des quartiers ouvriers, des fils de familles nombreuses, les moins armés scolairement et les plus précaires économiquement».
(1) Dans un ouvrage collectif, La République mise à nue par son immigration (éd. La Fabrique), à paraître début mars.
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