Le projet de loi de Nicolas Sarkozy préconise de développer une immigration « choisie » de personnes hautement qualifiées pour répondre aux besoins supposés de main-d’oeuvre
La politique d'immigration répond-elle aux besoins de l'économie ?
La population immigrée en France se compose aux deux tiers de personnes non qualifiées ayant quitté l'école avant la fin de l'enseignement secondaire. Ce n'est pas le cas dans des pays comparables. En Allemagne, chez les immigrés ayant entre 25 et 64 ans, cette proportion n'atteint que 48 % ; au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, elle tombe à 30 %. Il n'y a guère que l'Italie qui présente une structure migratoire identique à la France, mais la part de l'emploi occupé par des étrangers ne représente que 1 % de l'emploi total, lorsqu'elle atteint 5,7 % en France. Or la France connaît un chômage massif de ses travailleurs non qualifiés et n'arrive pas, en dépit de toutes les tentatives, à le résorber. Avoir une immigration essentiellement non qualifiée aggrave ce problème et renforce la dualité du marché du travail.
Qui plus est, la structure des qualifications est déterminante pour mener une stratégie de spécialisation dans l'économie internationale. La concurrence entre les nations se joue sur deux registres, soit sur les coûts et les bas salaires, soit sur l'innovation et la montée en gamme. Il serait ahurissant que la France s'engage dans la première voie. Mais elle n'a toujours pas fait de choix explicite. Elle reste entre deux eaux quand il lui faudrait s'orienter vers un système productif et un système de formation davantage porteurs d'avenir.
Quels critères d'entrée devraient définir l'attribution de visas ?
Il est souhaitable que la France encourage une immigration de travailleurs qualifiés. Cela pourra faciliter une spécialisation dans les secteurs nécessitant du capital humain et soutenir durablement la croissance. Le Royaume-Uni nous montre l'exemple d'un pays où des flux migratoires, plus importants qu'en France, dynamisent la croissance. Il faut donc recenser les compétences et les professions pour lesquelles la France peut présenter à l'avenir un certain déficit. 36 % de l'emploi est occupé parce que l'OCDE appelle des high skilled workers - des personnes à haut niveau de compétences -, ce qui situe la France dans la moyenne européenne. Mais elle est en deçà des économies plus compétitives comme l'Allemagne. Il faut renforcer le poids des très qualifiés. La désaffection des jeunes français pour les professions scientifiques et technologiques justifierait de faire venir des étudiants étrangers dans ces domaines. De même nous savons que des pénuries vont apparaître dans les fonctions commerciales de haut niveau. Les banques françaises savent concevoir des produits financiers compétitifs sur les marchés internationaux, mais elles ne savent pas les vendre. Or, typiquement, ces postes de vente pourraient être occupés par des salariés venus de l'étranger.
A l'inverse, il faudra durcir les conditions d'entrées pour les immigrés d'âge actif risquant, de par leur manque de qualification, de se trouver en situation de chômage. Ce changement n'est pas facile, et il prendra des années avant de produire ses effets, car les flux migratoires sont soumis, dans certaines de leurs composantes, comme le regroupement familial, à une grande inertie. Ce débat est cependant essentiel. Il est au coeur de la question de l'intégration et au-delà de la réflexion sur le modèle social, dont la pérennité ne peut être assurée avec un tel niveau de chômage.
Comment, concrètement, faudrait-il organiser cette migration des très qualifiés ?
Nécessairement, le dispositif devra être très décentralisé au niveau des branches professionnelles, chacune d'entre elles étant seule à même de définir le niveau de ses besoins. Le système des quotas me semble adapté.
Sur un marché de l'immigration très qualifiée soumis à une forte concurrence, la France est-elle, selon vous, un territoire attractif ? Elle l'est de façon insuffisante. Prétendre attirer les « talents » de la planète suppose d'abord de savoir les accueillir sans tracasseries administratives puis de leur offrir des conditions de travail et des perspectives de carrière correspondant à leurs compétences. Or il suffit de regarder les organigrammes des grandes entreprises françaises pour se rendre compte qu'il est difficile pour un étranger de parvenir au sommet. Les firmes de l'Hexagone apparaissent comme un univers trop sclérosé, notamment en raison de la place occupée par les managers issus des grands corps de l'Etat. Cela est moins vrai pour les sociétés opérant à l'international. De façon qui pourrait paraître anecdotique, mais qui a son importance, la France se classe bien, selon cette étude, au regard des services de santé et d'éducation, mais elle pêche par son manque de lycées internationaux, indispensables pour attirer des migrants anglophones.
Propos recueillis par Laurence Caramel, Entretien avec Michel Martinez, Le Monde du 21 mars 2006.
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