Le 21 février 2006 le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice ont transmis aux préfets (de région, de département, de police), aux procureurs (généraux, et de la république), aux présidents des cours d’appel et des tribunaux de grande instance une circulaire, avec application immédiate, sur les « Conditions de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière, garde à vue de l’étranger en situation irrégulière, réponses pénales. »
Il y est dit : « Dans certaines circonstances, l’interpellation est source de difficultés procédurales et de risques (...) Il est demandé aux préfets et aux procureurs de procéder ou de faire procéder chaque fois que nécessaire aux interpellations aux guichets de la préfecture, au domicile ou dans les logements, foyers et les centres d’hébergement »
Le quotidien Libération décrivait ce texte de 17 pages comme « le parfait petit manuel pour éviter [aux représentants de l’Etat] tout risque d’annulation de la procédure d’expulsion ou de reconduite à la frontière ». En d’autres termes, ce texte a pour but de verrouiller autant que possible les procédures d’expulsion, en préconisant des actes et des mesures policières ignobles, puisqu’il met à l’ordre du jour la délation jusque dans les foyers et l’arrestation des personnes jusque dans le hôpitaux. La circulaire propose une liste interminable d’exemples et de situations, avec force de détails et son style maniaque et vétilleux n’est pas sans rappeler les sordides manuels de l’inquisition, que l’on croyait appartenir à d’autres temps.
Sont licites les interpellations et les arrestations d’étrangers dans les préfectures même lorsque l’étranger s’y présente volontairement pour déposer ou renouveler une demande de titre de séjour, dans un hôpital ou un centre d’accueil pour toxicomanes, dans les autres espaces publics, comme les halls d’accueil ou les salles d’attente, jusque dans un « bloc opératoire, la Cour de cassation a refusé de considérer l’existence d’une violation de domicile, le bloc n’étant pas assimilable à un domicile privé, bien que son accès en soit limité ». Il n’y aura pas d’arrestations massives d’étrangers dans les blocs opératoires, mais la mise en avant d’un tel exemple dans une circulaire ministérielle doit être dénoncée, parce qu’elle met à l’ordre du jour des calculs ignobles, conduisant à la violation des règles humanitaires les plus simples. Doivent être également condamnés les appels aux gestionnaires des établissements publics et des logements-foyers et des centres d’hébergement pour étrangers, invités à « solliciter l’intervention des forces de police et de gendarmerie » pour interpeller les étrangers en situation irrégulière. La pratique a déjà lieu dans certains établissements scolaires, elle vise à être étendue à la plupart des lieux publics et administratifs.
La Cimade, association pour la défense et l’information sur le droit des étrangers en situation irrégulière, lance un appel aux personnels des établissements publics, afin qu’ils prennent position ouvertement contre cette circulaire ; elles les invite à faire une déclaration de désobéissance civile, en refusant de s’inscrire dans cette sinistre escalade, en dénonçant cette circulaire.
Diffusez l’appel (lire ci-dessous), apportez votre signature :
Une circulaire monstrueuse sur les interpellations d’étrangers
A quelle mascarade juridique conduit l’utilitarisme migratoire
La circulaire des ministres de l’intérieur et de la justice du 21 février 2006 relative aux « conditions de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière, garde à vue de l’étranger en situation irrégulière, réponses pénales » se caractérise par un véritable détournement du droit. Elle vise, en effet, à extraire d’un certain nombre de décisions de la Cour de cassation un habillage juridique pour les arrestations les plus ahurissantes d’étrangers en situation irrégulière - à leur domicile, dans les locaux d’associations, dans les foyers et résidences collectives, et jusque dans les blocs opératoires des hôpitaux. Elle puise aussi dans la jurisprudence des recettes destinées à piéger ces étrangers par des convocations d’apparence anodine dans les préfectures pour les y interpeller en vue de leur éloignement.
Deux ministres du gouvernement Villepin poussent le cynisme jusqu’à signer un texte où les convocations-piège sont définies comme « loyales ».
Cet abus de langage rend bien compte de l’esprit qui anime le gouvernement. Tous les moyens lui sont bons pour éloigner les étrangers au point que, dans ce domaine au moins, le respect de l’Etat de droit se limite à celui de la forme juridique des actes. Du moment que la forme est sauve, il est possible de commettre les forfaits les plus graves sur le fond : qu’importent le respect de la vie familiale ou de la vie privée, les risques en cas de retour au pays, ses conséquences sur la santé...
De ce point de vue, cette circulaire se situe parfaitement dans la ligne « philosophique » utilitariste de la réforme en cours du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). On y prend l’exacte mesure de ce sur quoi elle repose et de ce vers quoi elle conduit. L’étranger n’ayant d’autre valeur que celle que lui confère l’utilité qu’il présente pour l’économie, il n’a plus de droits par lui-même. Dès lors, pour peu que les règles de la chasse soient respectées, la chasse est ouverte. Elle l’est sans limitations de temps et de lieu, selon le modèle utilisé en matière d’élimination des nuisibles.
Cette lutte qui tourne à la guerre empêchera toute régularisation plus sûrement encore que la suppression de la règle des dix ans de séjour. La consigne donnée aux préfets de convoquer les étrangers pour les interpeller et de saisir toute occasion de le faire dissuadera évidemment ces étrangers d’aller faire examiner ou réexaminer leur situation en vue d’une éventuelle délivrance de titre de séjour.
A quoi rime un tel déploiement de violence ? A réduire le nombre des sans-papiers ou à les multiplier ? Même si, à force d’inhumanités, l’administration parvient à expulser davantage d’étrangers, elle en éloignera de toute évidence moins qu’il n’y aura de nouveaux arrivants. Dissuadés d’avance, en raison des dangers qui vont peser sur eux, de se signaler, ils rejoindront leurs compatriotes déjà privés de papiers. C’est ainsi qu’au nom d’une illusoire répression de l’irrégularité, on finit par la développer.
La morgue des auteurs de la circulaire interdit d’espérer d’eux le moindre respect pour les étrangers qu’ils condamnent ainsi à une vie d’angoisse et de peur permanentes, à des emplois aux horaires et aux salaires hors la loi. Cette morgue interdit également au gouvernement de penser que les résidents de France - Français et étrangers en situation régulière - acceptent d’être les témoins et les victimes d’une société dans laquelle des milliers de personnes seraient mises au ban et marginalisées et où, à des contrôles policiers multipliés, s’ajouterait la délation rendue obligatoire, en violation du secret professionnel auquel ils sont tenus, de la part des travailleurs sociaux ou des personnels des établissements d’hébergement. Contre une telle dérive de l’Etat de droit, contre une telle atteinte aux libertés et à l’égalité, qui sont également au coeur de la réforme du CESEDA, une réaction d’ampleur s’impose.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire