vendredi, mars 10, 2006

Le modèle migratoire français est-il adapté ?

Jean-Christophe Dumont

OUI

Le projet de loi de Nicolas Sarkozy préconise de développer une immigration « choisie » de personnes hautement qualifiées pour répondre aux besoins supposés de main-d’oeuvre
a politique d'immigration répond-elle aux besoins de l'économie ?

Il faut d'abord distinguer les migrations à fin d'emploi et celles qui relèvent d'autres catégories comme le regroupement familial ou l'accueil de réfugiés. Les migrations de travail ne représentent qu'une faible part de l'immigration totale : en 2004, 7 000 permis de travail ont été délivrés pour un nombre d'entrées avoisinant 140 000. Cela posé, si l'un des objectifs implicites de cette politique migratoire est de satisfaire aux besoins de court terme du marché du travail, les instruments utilisés pour y parvenir parviennent bon an mal an à répondre à la demande des entreprises.

Ces instruments sont d'ailleurs très semblables à ceux mis en oeuvre par les autres pays développés. Les entreprises ont en effet la possibilité, si elles ne trouvent pas de main-d'oeuvre, de recruter dans un pays tiers si cette demande est avalisée par l'Agence nationale pour l'emploi, qui vérifie qu'aucun ressortissant local ou européen ne peut occuper cet emploi, et par la délégation départementale de l'emploi et du travail. Pour les secteurs ayant besoin de personnels hautement qualifiés, des procédures simplifiées ont été introduites : mais le seul critère utilisé actuellement est celui du salaire, qui doit être supérieur à 5 000 euros brut mensuels. Au Royaume-Uni, le principe est le même, à cette différence près que la procédure simplifiée s'applique à une liste précise de professions. Ce système fonctionne plutôt bien et si ses conséquences sont très variables d'un pays à un autre c'est avant tout parce que la situation du marché du travail n'est pas la même. En 2003, le Royaume-Uni a accordé 45 000 titres de travail et la France 7 000, mais le taux de chômage y est deux fois moindre...

Le gouvernement va soumettre un projet de loi reposant sur l'idée qu'il faut développer une « immigration choisie » en opposition à une « immigration subie ». Comment analysez-vous cette volonté ?

Plutôt que d'immigration choisie ou subie, je préfère parler d'immigration discrétionnaire - c'est-à-dire qu'elle est décidée en fonction d'objectifs déterminés, par opposition à une immigration non discrétionnaire, résultant de droits comme le regroupement familial ou la liberté d'installation au sein de l'Union européenne...

La part « discrétionnaire » est, en France, beaucoup plus faible que dans les autres pays : 17 % contre 50 % au Royaume-Uni, 60 % en Australie. Il existe deux façons d'augmenter cette proportion. La première consiste à restreindre l'accès au territoire national pour les migrants prétendant relever de catégories « non discrétionnaires », mais cette première voie est limitée car les droits des migrants sont encadrés par le droit français et les directives européennes. En exigeant des conditions de ressources et de logement plus contraignantes, le gouvernement a déjà utilisé une bonne part de ses marges de manoeuvre.

La seconde consiste à augmenter les migrations sélectionnées, mais il faut savoir qu'au total, cela conduira à une augmentation du volume des flux migratoires et non à une substitution, comme pourrait le laisser croire une lecture un peu rapide de ce projet.

Quels devraient en être les objectifs ?

Ils peuvent être multiples : un pays peut vouloir attirer des migrations de peuplement pour des raisons démographiques - c'est le cas du Canada ou de la Nouvelle-Zélande ; il peut faire venir des profils très diplômés parce qu'il considère, à l'instar du Royaume-Uni, que c'est un atout pour son économie.

La France n'a pas encore énoncé ses objectifs. Ce serait pourtant un préalable pour discuter des instruments de sélection. Mais il ne faut pas oublier que les besoins futurs en main-d'oeuvre ne sont pas limités aux professions hautement qualifiées. De plus, la France dispose d'importantes réserves de main-d'oeuvre et elle est loin de l'objectif de Lisbonne fixé en termes de taux d'emploi, 70 % d'ici à 2010. Les taux de déclassements (c'est-à-dire les personnes employées à un niveau inférieur à leurs compétences) y restent importants : environ 12 % des actifs employés. Au total, 44 % des personnes nées à l'étranger et diplômées du supérieur sont soit inactives, soit au chômage, soit déclassées.

La mobilisation de cette main-d'oeuvre ne constitue pas seulement un impératif en termes d'équité sociale, elle s'impose pour des motifs d'efficacité économique. La formulation d'une politique migratoire sélective doit prendre en compte ces paramètres. Enfin, il ne faut pas croire qu'il suffit d'ouvrir ses portes pour que viennent les candidats désirés : l'environnement doit être attractif, de vraies opportunités doivent être offertes. La France commence à prendre conscience de cela comme le montrent les nouvelles dispositions concernant les étudiants étrangers et les travailleurs très qualifiés, mais dans un marché où les pays se disputent les meilleurs, elle a encore davantage besoin d'attirer que de sélectionner.

Propos recueillis par Laurence Caramel, le Monde du

Aucun commentaire: