La HALDE au secours du droit des étrangers de mener une vie familiale normale
Les récentes délibérations et saisines en matière de droit des étrangers illustrent le rôle de mise au pilori des comportements discriminatoires de l’administration ou du droit français que joue la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE).
Une délibération du 1er septembre 2008 invite à s’interroger sur la portée des recommandations de la HALDE en matière de droit des étrangers.
Le droit aux prestations familiales des mineurs étrangers
A l’occasion de saisines de plusieurs parents d’enfants de nationalité étrangère, auquels le droit aux prestations familiales a été refusé par les caisses d’allocations familiales au motif qu’ils ne pouvaient justifier d’une entrée régulière sur le territoire français, la HALDE vient de réaffirmer la position qu’elle soutient depuis sa délibération du 11 décembre 2006. Elle « recommande » (délibération du 1er sept. 2008 préc.) au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports d'initier une modification des dispositions du code de la sécurité sociale qui conditionnent le versement de prestations familiales au titre d'un enfant étranger à la régularité de sa présence en France.
L’exclusion des mineurs étrangers du bénéfice de ces prestations familiales date de la loi Barzach du 29 décembre 1986. Les parents étrangers doivent fournir un certificat médical de l’Office des migrations internationales (OMI) remis dans la procédure du regroupement familial. Or, de nombreux enfants viennent vivre avec leurs parents en dehors de cette procédure depuis que le droit au regroupement familial est devenu plus restrictif. La question de la légalité de cette réglementation française a été soulevée à plusieurs reprises devant les juridictions françaises au regard du principe d’égalité et au regard des textes internationaux (V. art. 14 Conv. EDH). Ces dispositions sont applicables aux prestations sociales (CEDH 16 sept. 1996, Gaygusuz, 371/90, n° 17).
Les articles L. 512-2 (mod. par l’art. 89 de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006) et D. 512-2 du code la sécurité sociale (CSS) n’ont pas mis fin à cette restriction. L’article L. 512-2 a, certes, étendu le bénéfice des prestations familiales à d’autres catégories d’allocataires mais a continué à en refuser le bénéfice aux mineurs étrangers hors regroupement familial. Le droit aux prestations familiales est ainsi étendu à l’enfant de l’étranger réfugié (art. D. 512-1 CSS), apatride (art. L. 313-11, 10° du code d'entrée et séjour des étrangers et droit d'asile [CESEDA]), et au bénéficiaire de la « protection subsidiaire » (art. L. 313-13 CESEDA). Pour leurs enfants, l’article D. 512-2 du code la sécurité sociale prévoit la production du livret de famille, ou à défaut d’un acte de naissance, délivré par l’OFPRA. Pour l’enfant du titulaire de la carte vie privée et familiale « scientifique » et « conjoint de scientifique » (art. L. 313-8 et L. 313-11, 5,° CESEDA), il est demandé la production d’un visa délivré par l’autorité consulaire et comportant le nom de l’enfant. Enfin, l’enfant d’un étranger titulaire d’une carte vie privée et familiale attribuée sur le fondement du droit à une vie privée et familiale (art. L. 313-11, 7,° CESEDA) pourra bénéficier de ces prestations familiales si l’attestation délivrée par la préfecture précise que l’enfant est entré en France avant que le parent ait été régularisé à ce titre et au plus tard en même temps que l’un de ses parents admis au séjour à ce titre.
Notons que, sur la méconnaissance du principe d’égalité et du droit de mener une vie familiale normale, le Conseil constitutionnel a déclaré valide la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 (15 déc. 2005, § 11 à 19).
La position de la HALDE, en 2006, en opposition avec celle du Conseil constitutionnel n’était pas isolée. Elle est venue corroborer celle de la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, du 16 avril 2004. Par la suite, dans un arrêt du 18 mai 2005, la Cour de cassation a reconnu l’application directe de la Convention internationale des droits de l’enfant, notamment l’article 3.1. Le rapport spécial de la HALDE publié en annexe de sa délibération rappelle que ce principe est valable en matière de protection sociale comme l’a appuyé la défenseure des enfants, dans un avis du 9 juin 2004.
Malgré tout, cette irrégularité au regard des textes internationaux subsiste et les caisses d’allocation familiales ont continué à appliquer le droit français tel que dénoncé par la HALDE, laquelle ne manque pas de rappeler, d’ailleurs, que dans « huit délibérations, le collège de la Haute Autorité a relevé le caractère discriminatoire de ces positions et a recommandé au ministère de la santé, de la jeunesse et des sports d’initier une modification législative et réglementaire ». Les différents courriers adressés au ministère concerné sont restés sans réponse. Finalement le Directeur de la sécurité sociale a fourni des justifications concernant les articles litigieux du code de la sécurité sociale qui n’ont pas satisfait la HALDE, laquelle a sollicité leur modification en mars 2008.
Face au silence de l’Administration, il semblerait que la médiatisation de la publication au Journal officiel de la délibération de la HALDE, ainsi que du rapport spécial, soient l’ultime recours pour convaincre le gouvernement de régulariser une situation jugée par cette autorité, par la Cour de cassation, par la CJCE et par la CEDH, illégale au regard des textes internationaux.
La mise au ban des couples franco-étrangers sans papiers
La saisine de la HALDE par le mouvement des « Amoureux au ban public », soutenue par quatre-vingt chercheurs et universitaires, porte quant à elle sur la différence de traitement infligée aux couples franco-étrangers par rapport aux couples unissant un ressortissant de la Communauté européenne avec un étranger sans-papiers. Le manifeste de soutien constate que le durcissement des lois sur l'immigration et des pratiques administratives rend ineffectif le droit de mener une vie familiale normale pour ces couples, spécifiquement la multiplication des obstacles pour l'obtention d'un titre de séjour.
Parallèlement, l’UE ne cesse d’assouplir sa législation en matière de circulation et de séjour des ressortissants européens. Dans une jurisprudence récente, la CJCE a rappelé que la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 s’oppose à la réglementation d’un État membre qui exige du ressortissant d’un pays tiers, conjoint d’un citoyen de l’Union séjournant dans cet État membre dont il n’a pas la nationalité, d’avoir au préalable séjourné légalement dans un autre État membre avant son arrivée dans l’État membre d’accueil pour bénéficier des dispositions de cette directive.Le droit de vivre en famille en France serait ainsi garanti quels que soient le lieu et la date de leur mariage ainsi que la manière dont le ressortissant d'un pays tiers est entré dans l’UE (CJCE 25 juillet 2008, Metock, aff. C-127/08). Remarquons toutefois que cette solution n’est pas valable dans le pays d’origine du ressortissant européen. Elle encourage donc tous les européens dont le conjoint est en difficulté dans son pays d’origine de s’installer dans un autre pays de l’UE afin de se prévaloir de cette jurisprudence.
Le manifeste rappelle également que depuis la révolution française, le droit de vivre en famille des couples franco-étrangers dans les mêmes conditions que les couples de français a toujours été garanti et encouragé par le droit français. La Constitution française, la Convention européenne des droits de l'homme (art. 8), ainsi que les principes généraux du droit communautaire s'opposent à toute limitation abusive de ce droit. Le droit de mener une vie familiale normale a été reconnu comme un principe général du droit par le Conseil d’Etat. De son côté le Conseil constitutionnel a rappelé dans deux décisions du 13 août 1993 (n° 93-325 DC) et du 22 avril 1997 (n° 97-389 DC) que « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale ». Jusqu’en 2006, les conjoints de Français disposaient du droit automatique à la délivrance d’une carte de « résident » valable dix ans. Depuis 2006, ils doivent attendre trois ans avant de l’obtenir.
Certaines décisions jurisprudentielles relèvent parfois de la caricature comme l’illustre l’affaire relevée par les signataires de ce manifeste. C’est le cas de l’affaire d’une veuve béninoise menacée d’expulsion au printemps dernier. Elle s’est vue refuser le renouvellement de son titre de séjour deux ans après son entrée légale sur le territoire français. Le tribunal administratif avait rejeté son recours en annulation de la décision du préfet d’Indre-et-Loire. Un titre de séjour temporaire lui avait été délivré et son renouvellement était conditionné par une communauté de vie continue, interrompue de fait par le décès de son mari. Ainsi, contrairement au veuf ou à la veuve d'un résident étranger, elle ne pouvait bénéficier d'un renouvellement de plein droit de son titre de séjour « vie privée et familiale » d’un an renouvelable tous les ans pendant trois ans. Rappelons qu’en l’espèce la médiatisation de cette affaire a conduit le ministre de l’immigration à intervenir afin de faire régulariser par le préfet la situation de la requérante au motif que le préfet avait commis une erreur manifeste d'appréciation en considérant que le décès du mari de la requérante justifiait le non-renouvellement d'une autorisation de séjour de son conjoint étranger en situation régulière.
Il reste à savoir si la HALDE condamnera ces distorsions juridiques et si la publication au Journal officiel de ses recommandations, largement médiatisées, serviront la cause des mineurs étrangers.
Zéhina Aït-El-Kadi
Source : Le Blog Dalloz
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