Gérer conjointement l'immigration, par Louis Michel
LE MONDE | 08.10.08
Il y a quelques semaines à peine, un week-end, 311 immigrés clandestins, originaires pour la plupart des pays de la région subsaharienne, ont été repêchés au large des îles Canaries alors qu'ils tentaient de gagner l'Europe, promesse d'une vie meilleure. Ceux-là ont eu de la chance : on ne compte plus les hommes, les femmes et les enfants qui ont perdu la vie au cours de leur voyage vers l'espoir. Ces scènes sont devenues monnaie courante, que ce soit au large des côtes espagnoles, italiennes ou maltaises.
Certains hommes politiques aimeraient faire croire qu'il est possible, en dernière analyse, de contrôler l'immigration clandestine en renforçant encore la sécurité autour de la "forteresse Europe". Je peux vous assurer qu'il s'agit d'un voeu pieux destiné à détourner l'attention du public choqué par les images de centaines d'Africains épuisés, à l'agonie, venant échouer sur les plages. Tout citoyen européen devrait se demander en quoi ces femmes et ces hommes sont tellement différents de nos ancêtres - qui ont quitté tout ce qui leur était si cher pour se lancer dans l'aventure d'une vie nouvelle et meilleure dans un autre pays, sur un autre continent.
La seule réaction intelligente et honnête face à cette immigration est d'instituer un dialogue réciproque avec les pays d'origine ou de transit, d'examiner les perspectives offertes par une coopération judiciaire renforcée et de fournir une meilleure aide au développement. L'ouverture, cette semaine, au Mali d'un centre pilote d'information et de gestion des migrations illustre concrètement la manière dont l'Europe et l'Afrique tentent, en partenariat, d'aider les immigrés de manière légale, équitable et digne, avantageuses pour toutes les parties concernées.
Je souhaiterais tout d'abord préciser clairement le rôle que ce centre ne jouera pas. Il ne s'agit que d'une "agence pour l'emploi" comme il en existe dans les villes des différents pays européens. Les Maliens qui s'y rendront n'en ressortiront pas avec, comme par magie, un emploi dans une capitale européenne. Il est totalement faux d'affirmer que cette structure pourrait avoir des conséquences négatives sur l'emploi des citoyens européens.
L'objectif de ce centre est d'informer et d'aider les éventuels candidats à l'immigration. Ainsi, il donnera des renseignements sur les risques liés aux réseaux d'immigration clandestine contrôlés par une mafia sans pitié, sur certaines perspectives d'immigration légale en Europe ou ailleurs, sur les possibilités de formation professionnelle et d'emploi au Mali même. Cette structure sera également en mesure d'aider les autorités maliennes à négocier des accords d'immigration de main-d'oeuvre avec chacun des Etats membres de l'Union européenne et divers pays tiers. Les accords bilatéraux qui seront conclus à l'avenir dans ce domaine accroîtront les possibilités et permettront, par exemple, de répondre de manière équitable, légale et sûre à une augmentation de la demande de main-d'oeuvre saisonnière.
Par ailleurs, le Mali jouit d'une position géographique idéale pour un tel projet pilote. La région subsaharienne prend de plus en plus conscience des avantages que l'immigration est susceptible d'apporter pour le développement, tels que les flux de trésorerie considérables générés par la diaspora de retour dans son pays d'origine. Le Mali est le deuxième plus grand pays d'Afrique de l'Ouest. C'est un pays d'origine, de transit et de destination des flux migratoires, du fait de sa position centrale et de la perméabilité de ses vastes frontières. Il est important de signaler que sur 12 millions d'habitants, quelque 4 millions de Maliens sont des migrants, dont 3,5 millions vivent en Afrique de l'Ouest et 200 000 seulement en Europe. Il est donc fallacieux d'affirmer que la majorité des Africains veulent émigrer en Europe. Tel n'est pas leur souhait. C'est pour cette raison que la couverture géographique de ce centre ne sera pas limitée aux pays européens mais s'intéressera à ce phénomène également sous un angle régional.
Ce centre constitue un premier pas, certes modeste, mais important dans la coopération instaurée entre l'Europe et l'Afrique pour gérer de façon appropriée la question de l'immigration. Cette structure rompt avec les formules traditionnelles qui alimentent depuis plusieurs années la tactique de la peur utilisée par certains. Elle propose une véritable solution de rechange à une politique de lutte contre l'immigration fondée sur des mesures répressives et dictées par la sécurité.
Je crois sincèrement qu'aucune mesure coercitive, répressive ou sécuritaire ne permettra jamais d'empêcher quiconque d'essayer d'améliorer son sort. L'immigration n'est pas un phénomène criminel. Elle existe depuis la nuit des temps. Les grandes civilisations ont toujours été celles qui ont soutenu les migrations et ont finalement tiré profit de ces échanges d'informations et de savoir-faire.
Ce centre est un investissement dans les qualités du Mali tout autant qu'un investissement en Europe.
En définitive, il s'agit d'un investissement en faveur de notre compréhension des flux migratoires, à savoir que la prise en compte de l'immigration plutôt que la lutte contre ce phénomène pourra, à terme, être bénéfique pour tous.
Louis Michel est commissaire européen chargé du développement et de l'aide humanitaire.
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