LE MONDE | 17.11.05
Le gouvernement et sa majorité n'ont pas tardé à trouver une explication à la flambée de violence de ces dernières semaines : l'"insuffisante maîtrise des flux migratoires". Le thème est désormais placé au premier rang des "préoccupations" nécessitant une réponse législative rapide, deux ans après la loi du 26 novembre 2003 sur la maîtrise de l'immigration, présentée par Nicolas Sarkozy, qui avait sensiblement durci les conditions d'entrée et de séjour des étrangers.
"L'intégration et l'assimilation sont mises en difficulté par un volume d'immigration qui va au-delà des capacités d'absorption, estime le président du groupe UMP de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer. Si on veut intégrer, il faut ralentir significativement les flux d'immigration." Deux causes sont rendues responsables de l'"arrivée massive" de nouveaux immigrants : le regroupement familial et la polygamie. Un lien qui ne fait aucun doute pour M. Accoyer : "Parmi les mineurs impliqués dans les délits, il y a une surreprésentation d'enfants issus de familles polygames", souligne le député de Haute-Savoie.
Ainsi la proposition de loi relative à la "lutte contre la polygamie" déposée le 8 juin 2004 par Chantal Brunel (UMP, Seine-et-Marne) — qui depuis n'avait fait l'objet d'aucun examen — connaît-elle un subit regain d'intérêt : la commission des lois de l'Assemblée nationale pourrait rapidement s'en saisir. "Les violences ont eu cet avantage que l'on ose à présent parler de certains problèmes jusque-là tabous, se félicite Mme Brunel. On va enfin pouvoir se recentrer sur nos valeurs."
Depuis l'ordonnance de 1945, il est interdit de faire venir en France plus d'une femme au titre du regroupement familial. Le nombre de familles polygames, difficilement chiffrable, est cependant estimé à 30 000 par des associations militant contre cette pratique. "Il convient d'envisager des mesures dissuasives complémentaires", estime Mme Brunel. Son texte prévoit d'étendre les sanctions pénales s'appliquant à l'aide au séjour irrégulier d'un étranger en France (cinq ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende) à tout étranger faisant venir plus d'une épouse. Il propose également la mise sous tutelle des prestations familiales en cas de polygamie.
Le ministre de l'intérieur, pour sa part, prépare pour le début 2006 un nouveau texte sur l'immigration, qui pourrait intégrer tout ou partie de ces dispositions. L'idée de légiférer sur le regroupement familial, dont M. Sarkozy estime qu'il constitue "une nouvelle filière d'immigration", est d'ores et déjà acquise. Jacques Chirac, dans sa déclaration solennelle du 14 novembre, en appelait à "être strict dans l'application des règles du regroupement familial". Le ministre de l'intérieur envisage, lui, de rendre ces règles plus contraignantes. Ainsi les critères d'admission exigés, en termes de ressources et de logement d'accueil disponibles, seraient-ils réévalués à la hausse.
M. Sarkozy souhaiterait en outre ajouter "une condition d'intégration". Une notion difficile à définir, mais qui a déjà été introduite dans la loi de novembre 2003 sur l'immigration pour l'obtention d'une carte de séjour de dix ans. Aujourd'hui, l'obtention d'un tel titre est subordonnée à "l'intégration républicaine de l'étranger dans la société française", laquelle est "appréciée au regard de sa connaissance de la langue française et des principes qui régissent la République française". Les maires pourraient se voir attribuer un rôle accru : "En matière de regroupement familial, ceux-ci doivent déjà donner un avis sur le logement. On pourrait envisager qu'ils le fassent également sur la bonne intégration de l'étranger déposant une demande", explique-t-on Place Beauvau.
M. Sarkozy entend aussi durcir la législation sur les mariages mixtes et allonger le délai pour l'acquisition, par le conjoint étranger, de la nationalité française. Quatre ans de vie commune — au lieu de deux actuellement — si les conjoints vivent en France, et cinq ans — au lieu de trois — s'ils résident dans un autre pays seraient ainsi requis. Selon le ministère de l'intérieur, sur les 88 000 titres de séjour délivrés pour des raisons familiales en 2004, 50 000 l'auraient été au titre du conjoint, 25 000 au titre du regroupement familial proprement dit (conjoint et enfants) et 25 000 à celui d'un lien personnel familial. Depuis la fin des années 1970, l'immigration pour raison familiale est la première cause de délivrance de titres de séjour. En 2004, selon les statistiques que le gouvernement s'apprête à présenter dans le cadre de son rapport annuel sur l'immigration, alors que 11 000 étrangers ont obtenu une carte de séjour pour des raisons professionnelles, ils sont 88 000 à s'être installés en France au titre de l'immigration familiale, 103 000 en tenant compte des mineurs, non soumis à un titre de séjour.
Une telle réforme est cependant délicate à mettre en oeuvre. Car le regroupement familial répond au "droit qu'a toute personne, quelle que soit sa nationalité, de mener une vie familiale normale". Un droit considéré comme inaliénable par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme.
Patrick Roger et Laetitia Van Eeckhout
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