vendredi, novembre 18, 2005

Portrait des jeunes Français issus de l'immigration

La principale difficulté rencontrée par la « deuxième génération » est d'accéder à un emploi

"Votre couleur, c'est notre douleur », lançait un jeune Marocain sur le plateau de France 3, mercredi 9 novembre. La traduction - en langue académique - de ce mal-être peut se lire dans plusieurs recherches récentes. Parce qu'il est nécessaire de rester dans le « politiquement correct », les mots employés par les experts sont choisis avec prudence. Mais le constat est sans appel : l'accès à l'emploi est beaucoup plus difficile quand on s'appelle Mohamed plutôt que Joao ou Quentin.

Cette évidence intuitive est ainsi minutieusement démontrée par trois chercheurs de l'Institut national d'études démographiques (INED), Dominique Meurs, Ariane Pailhé et Patrick Simon, qui viennent de publier « Mobilité intergénérationnelle et persistance des inégalités » : « Nos résultats rejoignent ceux obtenus en 1991 par [le sociologue] Eric Maurin, qui concluait à une «spirale de la précarité˜ à laquelle serait exposée la main-d'oeuvre étrangère et calculait un risque de chômage supérieur de 79 % pour les Maghrébins par rapport à la référence française et inférieur de 49 % pour les Portugais. Près de vingt ans plus tard, la situation ne s'est pas améliorée. » Insistant quelques pages plus loin : « Les déterminants de cette surexposition à la perte ou à l'absence d'emploi ne relèvent pas tous des caractéristiques personnelles, que ce soit la formation initiale, l'origine sociale, l'âge ou la composition familiale. Toutes choses égales par ailleurs, les écarts atteignent des niveaux impressionnants en ce qui concerne les immigrés non européens, et restent élevés pour les « deuxièmes générations » d'origine maghrébine, turque ou africaine. » Bref, concluent-ils, « avoir hérité d'une origine non européenne constitue un handicap sur le marché du travail que l'accession à la nationalité française n'efface pas ».

Lire l'étude réalisée par deux chercheurs de l'Insee, Denis Fougère et Julien Pouget, renvoie à la même certitude : « Les jeunes Français d'origine maghrébine sont deux fois et demi plus souvent en chômage que les jeunes Français d'origine française, quel que soit leur niveau d'études. » « L'éducation, modèrent-ils néanmoins, semble toutefois mieux jouer son rôle protecteur au sein du groupe des personnes plus âgées : dans la classe d'âge 36-50 ans, alors que 15,4 % des Français non qualifiés d'origine maghrébine sont au chômage, cette même proportion n'est que de 2,3 % pour ceux qui ont fait des études supérieures. » Dès lors, on comprend mieux l'insistance avec laquelle les jeunes des cités qui témoignent, expliquent détester le mot « intégration ». « Nous sommes des enfants de la France qui réclamons juste le droit de nous insérer économiquement et socialement. »

Mais quand ils y parviennent, quels métiers occupent-ils ? Les emplois publics ne leur étant guère accessibles, c'est donc vers le secteur privé qu'il faut se tourner.

Là encore, instructions de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) obligent, les organisations professionnelles ne s'avancent sur aucune statistique « officielle ». Qu'il s'agisse de la Fédération nationale du bâtiment (FNB), de l'Assemblée permanente des chambres de métier (APCM) qui rassemble les artisans ou encore de l'Union des métiers de l'industrie hôtelière (UMIH). Chacun reconnaît « off » employer beaucoup de jeunes issus de l'immigration, mais ne « dispose pas d'étude les recensant ». « Je sais bien qu'aucun chiffre n'est donné, raconte ce patron d'une entreprise de sécurité qui emploie 400 personnes. Mais sur les 140 000 agents que compte notre secteur - véritable industrie de main-d'oeuvre -, où le taux d'encadrement est très faible, 75 à 80 % d'entre eux, essentiellement des hommes jeunes, sont originaires du Maghreb ou d'Afrique noire. »

Alors que leurs parents avaient été embauchés sur des postes faiblement qualifiés - travail à la chaîne, etc. - au sein de cathédrales industrielles, les restructurations poussent les jeunes issus de l'immigration vers des emplois de services, en contrats précaires courts, mal rémunérés.

En réalité, comme on peut le découvrir dans l'enquête de « Migrations/Etudes », no 121, publiée en mars 2004, il faut parler de niches ethniques. Il y a d'abord « les secteurs où ces jeunes sont peu visibles ou «invisibles˜ » : télémarketing, cuisines, grande distribution ; ceux où « le rapport d'ethnicisation est particulièrement fort » : sécurité, entretien et nettoyage, travail social ; et les plus pénibles, « salissants », qui nécessitent la plus grande flexibilité : industrie, manutention, service aux personnes, etc. Certes, ces résultats sont directement liés à la surreprésentation de cette deuxième génération parmi les Français ne disposant d'aucune ou d'une faible qualification. Mais, là encore, cette seule explication ne suffit pas. « Les jeunes d'origine maghrébine cumulent un temps d'accès au premier emploi plus long que celui des jeunes d'origine française (4 mois contre 3,3 mois) et ils occupent plus souvent un emploi aidé », notent les chercheurs de l'INED, précisant immédiatement que ces différentiels restent valables « lorsque les niveaux de diplôme sont pris en compte ».

Marie-Béatrice Baudet
LE MONDE, 15.11.05

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