LE MONDE ECONOMIE | 16.11.05
D'un sommet à l'autre, l'immigration fait partie des priorités affichées par l'Union européenne (UE). En reprenant le message lors du sommet informel des chefs d'Etat et de gouvernement européens de Hampton Court le 27 octobre, Tony Blair, hôte de la rencontre, n'a donc pas fait preuve d'originalité. Quelques semaines après l'assaut de plusieurs milliers de migrants africains sur les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, au Maroc, cette volonté renouvelée rencontre une urgence qu'il semble cependant devenu difficile d'ignorer.
L'Espagne comme l'Italie en première ligne de cette poussée de migrations clandestines ne veulent plus avoir à traiter seules un problème qu'elles jugent européen voire "mondial", comme l'a affirmé le premier ministre espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero. Si l'antienne de la lutte coordonnée contre les migrations illégales n'est elle non plus pas nouvelle, elle ne s'annonce pas cette fois-ci uniquement sous la forme du bâton : la sanction des migrants et des pays laxistes dans le contrôle de leurs frontières. Comme si les gouvernements de l'UE avaient pris conscience des limites d'une seule réponse sécuritaire. Il y a trois ans, lors du sommet de Séville, le Royaume-Uni et l'Espagne avaient même suggéré, sans être suivis, de pénaliser à travers l'aide au développement les pays d'immigration ou de transit jugés insuffisamment coopératifs. C'est aujourd'hui le contraire qui est proposé. Les Européens convenant désormais que le moyen durable de freiner les flux de clandestins consiste à mener une politique de développement plus ambitieuse dans les pays d'où proviennent les immigrés. Le 12 octobre, le commissaire européen au développement, Louis Michel, a présenté une "stratégie pour l'Afrique" dont l'un des objectifs est de doubler l'aide au continent d'ici à 2010. Le chef du gouvernement espagnol a confirmé cette nouvelle approche, en exposant lors du sommet de Hampton Court son plan de lutte contre l'immigration clandestine, qui devrait être examiné lors du Conseil européen de décembre : renforcer le contrôle aux frontières extérieures de l'Europe ; conclure des accords de rapatriement des migrants avec les pays d'origine ; aider ces Etats mais aussi ceux de transit comme le Maroc ou la Tunisie à gérer leurs flux migratoires ; enfin accroître l'aide au développement.
Si la meilleure réponse à la misère des migrants est sans nul doute d'aider leur pays d'origine à construire des économies capables de leur offrir un travail, il est certain que cela prendra du temps. Et que l'Europe ferait bien d'ici là de se doter des moyens de gérer cette population dont elle a d'ailleurs en partie besoin. Les régularisations massives de sans-papiers en Italie et en Espagne au cours des deux dernières années ont montré que les entreprises utilisaient ce réservoir pour résoudre leurs pénuries de main-d'oeuvre, à des conditions souvent inférieures aux obligations légales du droit du travail local. Dans plusieurs Etats membres de l'UE la Suède, la Finlande et l'Allemagne , des syndicats ont ouvert dans les pays dont sont originaires les migrants, des bureaux de représentation afin d'informer de leurs droits les candidats au départ. En Espagne, les confédérations syndicales gèrent des centres répartis sur l'ensemble du pays pour assister les travailleurs étrangers dans leurs démarches administratives : permis de travail, couverture sociale... Mais ces initiatives représentent des exceptions que le Bureau international du travail (BIT) pointe d'ailleurs en exemple dans un projet de "cadre multilatéral pour les migrations de main-d'oeuvre", présenté le 31 octobre à Genève. Un cadre qui, s'empresse de préciser l'un des rédacteurs du projet, Ibrahim Awad, conscient de la méfiance des Etats sur le sujet, "ne serait pas contraignant" .
En matière de politique migratoire, les vingt-cinq Etats membres ne sont pas vraiment prêts à s'imposer des règles communes. Six ans après l'adoption du "Programme de Tampere" censé poser les jalons d'une action commune, les progrès réalisés se cantonnent aux questions du droit d'asile et du contrôle de l'immigration où des décisions peuvent être prises depuis peu à la majorité qualifiée. Pour le reste, la souveraineté de chacun reste entière. Début 2005, la Commission européenne a mis sur la table des discussions un Livre vert explorant une approche communautaire des migrations économiques. Dans la perspective d'une future directive. Tony Blair, le 27 octobre, a également fait allusion dans ses priorités pour relever les défis de la mondialisation à "l'utilisation des migrations légales pour l'économie européenne". D'autant plus à l'aise que son pays a adopté une stratégie d'ouverture très audacieuse au regard de ce qui se pratique chez ses partenaires.
Les Européens se doivent de mener une réflexion à un double horizon. A court terme, afin de répondre aux pénuries ponctuelles de main-d'oeuvre. La grande diversité des marchés du travail et des performances économiques, des taux de chômage allant de 4,3 % en Irlande pour le plus faible à 17,5 % en Pologne pour le plus élevé, laissent entrevoir la difficulté à avancer sur la voix de l'harmonisation. En revanche, tous doivent se préparer, à un horizon plus éloigné, au vieillissement démographique du continent. "Pour conserver une population active identique d'ici à 2025, il faudra trouver 21 millions de personnes supplémentaires", explique Philippe Fargues, démographe, en invitant les gouvernements de l'UE à considérer la jeunesse des pays de la rive sud de la Méditerranée non comme une menace mais comme une possible solution. Les Européens tout autant que leurs voisins peuvent avoir quelque chose à y gagner.
Laurence Caramel
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