Immigration: Dessine-moi un mouton… noir
Par Mouna Hachim, écrivain-chercheur, Source : L'Economiste
Mouna Hachim est universitaire, titulaire d’un DEA en littérature comparée à la faculté des lettres de Ben M’Sick Sidi Othmane. Depuis 1992, elle a éprouvé sa plume dans les métiers de la communication (en tant que concepteur-rédacteur) et dans la presse écrite, comme journaliste et secrétaire générale de la rédaction dans de nombreuses publications nationales. Passionnée d’histoire, captivée par notre richesse patrimoniale, elle a décidé de se vouer à la recherche et à l’écriture, avec à la clef, un roman, «Les Enfants de la Chaouia», paru en janvier 2004. Une saga familiale couvrant un siècle de l’histoire de Casablanca et de son arrière-pays. En février 2007, elle récidive avec un travail d’érudition, le «Dictionnaire des noms de famille du Maroc» qui donne à lire des pans essentiels à la compréhension de l’histoire du Maroc sous le prisme de la patronymie.
L’histoire s’esquisse sur le drapeau suisse: il s’agit de trois petits moutons blancs, boutant hors du territoire, à coup de vigoureuses pattes arrières, un quatrième mouton noir, sous le slogan: «Pour plus de sécurité».
C’est avec cette imagerie de loup dans la bergerie plus que significative que le premier parti de la Suisse, l’Union démocratique du centre, niché dans la catégorie droite populiste, mène sa campagne en vue des élections parlementaires du 21 octobre, jouant ainsi avec le feu de la xénophobie.
Dans cette recherche de victimes expiatoires, l’UDC avait exigé, par ailleurs, de couper la tête aux minarets, symboles visibles et agressifs de la présence conquérante de l’étranger.
Donnant une dimension internationale à l’affaire, le rapporteur spécial de l’ONU contre le racisme et juriste sénégalais, Doudou Diène, demande, le 14 septembre, le retrait de cette affiche, jugée de nature à «susciter la haine raciale et religieuse»; tandis que les violents affrontements, opposant le samedi 6 octobre à Berne, les manifestants des deux bords vinrent écorner cette pittoresque image, de paisible patrie des Helvètes.
Sans avoir de contact avec l’UDC, le parti néonazi allemand vint démontrer qu’il broutait de la même herbe, en s’inspirant de son affiche moutonnière, détournée par simple ajustement du dessin et application d’un nouveau slogan: «Social ne peut rimer qu’avec national».
Il faut dire que l’UDC a l’art de servir de muse inspiratrice aux plus extrêmes. C’est ainsi que son chef Christoph Blocher sert de modèle à Jean-Marie Le Pen, lequel cite en exemple sa politique d’asile; alors que l’initiative anti-minarets des populistes suisses fit des émules en Autriche où l’ancien leader, Jörg Haider, projette la mise en place d’une loi interdisant la construction de mosquées dans son fief de Carinthie.
En revanche, nous cherchons «désespérément» à savoir d’où l’UDC a bien pu piocher l’inspiration pour son annonce publicitaire-choc de mars 2007, destinée aux municipales: «Nettoyons nos villes! Pour un coup de Karcher, votez UDC».
Autres cieux, même thématique, toujours liée à l’immigration. En Belgique, les quatre partis qui peinent depuis les élections législatives du 10 juin à former un gouvernement sont au moins d’accord sur une chose: le durcissement de la politique d’immigration. Wallons et Flamands, libéraux et chrétiens-démocrates peuvent se féliciter, à défaut d’une sortie de crise, d’avoir trouvé un terrain d’entente en disant d’une seule voix, «Non» à la commission de régulation des sans-papiers, «Oui» au renforcement des conditions du regroupement familial et encore un «Oui» à l’ouverture des frontières en faveur de l’immigration économique, palliant les besoins en main-d’œuvre.
Comment ne pas penser alors à la Douce France dont l’actualité nous colle à la peau pour des raisons culturelles évidentes et dont les débats et contre-débats liés à la nouvelle loi sur l’immigration ne peuvent laisser indifférent hors Hexagone.
Pour comprendre l’ampleur de nos interrogations, il faut remonter à fin octobre 2005, depuis l’éclatement des violences urbaines qui ont prouvé l’échec d’une longue politique de l’autruche face à la réalité socio-économique de la banlieue.
Offrant l’outil conceptuel et idéologique pour se défausser du problème, le philosophe français Alain Finkielkraut, refile alors la responsabilité des émeutes à une autre partie de la population. Dans un entretien accordé au journal israélien Haâretz, il déclare dans des propos jugés nauséabonds par leur racisme: «On voudrait réduire les émeutes en banlieue à leur dimension sociale or la plupart des émeutiers sont Noirs ou Arabes avec une identité musulmane. C’était une révolte à caractère ethnique et religieux».
La levée de boucliers provoquée par ce dérapage n’aura d’égal que l’ampleur du soutien d’intellectuels et d’hommes politiques tels que Sarkozy ou Kouchner, ainsi que la démesure de la tribune médiatique offerte à notre philosophe qui ne procède pourtant à aucune autocritique, allant même jusqu’à crier au lynchage. Tendant vers cette association de la montée de l’insécurité aux origines ethniques, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, annonce le 13 février 2006 sur radio RMC-Info, être favorable à la mention de l’origine ethnique des délinquants dans les statistiques. Un verrou vient de sauter, celui d’«une vérité cadenassée par la loi républicaine, limitée par le risque d’exploitation politique, verrouillée par la peur d’une stigmatisation et étouffée par le politiquement correct. Les enfants d’immigrés sombrent apparemment plus souvent dans la délinquance que les autres français», ainsi que l’expose, quatre jours auparavant, le journal L’Express dans son article «L’Origine des délinquants».
Pour éviter des «événements» comme ceux qui ont éclaté dans les banlieues, le candidat aux présidentielles prône alors une «immigration choisie» comme thèse centrale de son projet de loi présenté le 29 mars 2006. Il renforce également les décrets de sa loi de novembre 2003, relatifs à la lutte contre l’immigration clandestine et à la recherche d’une meilleure maîtrise de l’immigration familiale.
Mais Sarkozy ne parle pas de quotas ethniques qu’il juge contraires à la tradition humaniste française et se distancie du modèle américain. Il s’oppose de même au principe d’immigration zéro, ardemment défendu en son temps, par son prédécesseur Charles Pasqua.
Qui dit immigration, dit Islam, alors Nicolas Sarkozy se distingue en créant le Conseil français du culte musulman et se montre favorable au financement des mosquées par l’Etat et par les collectivités publiques. Son discours sur le métissage des cultures laisse rêveur pour son esprit d’ouverture, teinté de rêve de multiculturalisme à l’anglo-saxonne, si ce n’est quelques couacs enregistrés ci et là, notamment son association des musulmans à l’excision, au mariage des filles de force et aux moutons égorgés dans les baignoires, surfant ainsi sur la même vague qu’un Philippe De Villiers, lequel doit lui-même cette rhétorique à un certain Jean-Marie Le Pen.
Par ailleurs, si l’idée d’«égalité des chances» paraît conforme avec l’idéal républicain, celle de «discrimination positive», en faveur des Français issus de l’immigration, ne tarde pas à susciter quelques réserves.
Concept inspiré de la pensée du philosophe John Rawl, il tend vers une meilleure allocation des fonds et vers une sélection optimale des bénéficiaires. Idée qui paraît louable a priori, si ce n’est cette dangerosité décelée par quelques détracteurs, arguant que le modèle républicain s’interdit toute référence à des critères ethniques ou religieux, préservant ainsi l’unité de la nation, garantie par la Constitution qui ne connaît que le peuple français, composé de citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Avec la proposition de la création d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, en mars 2007, un nouveau pas est encore allègrement franchi. Une association douteuse est de fait opérée entre les immigrés de tous bords et les questions identitaires, ressuscitant cette peur obsessionnelle de l’Etranger, stigmatisant les immigrés, au mépris de l’histoire de la France, construite depuis les grandes migrations du haut Moyen Age (avec les envahisseurs dits «barbares» comme les Burgondes, les Wisigoths ou les Francs qui ont d’ailleurs laissé leur nom à la France), jusqu’à nos jours, au rythme des vagues successives des populations et de leurs brassages.
Saluons à ce titre l’ouverture ce 10 octobre, de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, premier musée du genre en France, initié en 1989 par le conseiller municipal, Zaïr Kedadouche, soutenu par des historiens comme Pierre Milza ou Gérard Noiriel. Ce dernier fait d’ailleurs partie du groupe des sept chercheurs démissionnaires le 18 mai des instances dirigeantes de l’établissement afin de protester contre la création, jugée «inacceptable», d’un ministère mêlant les notions d’immigration et d’identité nationale.
Le projet de musée, sorti des tiroirs en avril 2002 par Jacques Chirac, fut mis en route deux ans plus tard par Jean-Pierre Raffarin, avant d’être piloté par l’ancien ministre Jacques Toubon avec pour vocation de «valoriser l’immigration en lui faisant sa place dans la mémoire nationale».
Déplorons tout de même cette absence marquante d’inauguration officielle, annoncée après coup par Brice Hortefeux à la fin des travaux, soit au début de l’année 2009.
Cette ouverture «clandestine», titre la presse hexagonale, aurait quelque chose de «choquant» selon l’historien Patrick Weil et ne peut avoir que valeur de symbole. Car, selon les mots du maire de Paris, Bertrand Delanoë: «Alors que l’enjeu de la Cité est celui d’un rassemblement tourné vers l’avenir autour d’une histoire commune, la politique gouvernementale divise la France et alimente la tentation de faire de l’étranger le bouc émissaire».
Pendant ce temps-là, de l’autre côté de la Méditerranée, dans ce monde globalisé, tout en étant sensibles à la volonté légitime des Etats de maîtriser les flux migratoires, nous ne pouvons être sourds à ces polémiques tonitruantes où s’associent tests ADN, quota par régions du monde et politique du chiffre relative aux expulsions. Soit, en substance, la criminalisation des étrangers, la «biologisation» des faits sociaux, l’emploi à l’encontre des immigrés de méthodes interdites pour les nationaux selon la loi de la bioéthique, la chosification de l’espèce humaine transformée en marchandise comme une autre.
Des questions qui resteraient franco-françaises, si elles n’obscurcissaient pas cette tendre image que nous avons de la patrie des Droits de l’Homme, berceau des Lumières et traditionnelle terre d’accueil.
Des débats qui nous seraient étrangers, s’ils n’impliquaient pas cette ambition pavée de bonnes intentions, de délester le Continent africain de son élite intellectuelle, comme hier de ses ouvriers, pour réserver le sort que l’on sait à leurs familles respectives, conjoints et enfants, transformés en brebis galeuses, sans avoir à y redire, car, comme dans la fable du loup et de l’agneau, la raison du plus fort est toujours la meilleure.
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Ces «pieds-noirs» du quartier Maârif…
Les migrations humaines ont comme partout ailleurs marqué la terre marocaine et façonnée son histoire. Avec l’infiltration impérialiste au XIXe siècle, la présence des Européens prit peu à peu l’ampleur que l’on sait, représentée dans un premier temps par les diplomates, les commerçants et les aventuriers.
Suite au recensement des villes effectué en janvier 1917, le Bulletin Officiel du Maroc a publié des résultats où il ressort que la population citadine totale du pays, indigène et européenne, avoisinait les 525.000 personnes, soit 388.500 musulmans, 74.900 Israélites et 62.030 Européens.
Concernant la population européenne, elle se décomposait elle-même en 35.780 Français, 13.450 Espagnols, 8.955 Italiens, 1.005 Anglais et 2.840 de nationalités diverses, en majorité des Portugais et des Grecs.
Considérée comme un Eldorado et un Far West de toutes les aventures, Casablanca reste en tête avec 37.500 Européens dont 21.000 Français.
Recevant au début du XXe siècle, entre autres catégories de populations, des hommes d’affaires à l’affût d’une terre encore plus libérale et des pionniers de tout bord venant quêter l’aventure, la Ville Blanche accueillit avec la Deuxième Guerre mondiale, des Européens fuyant les horreurs de la guerre et des réfugiés espagnols chassés par la dictature franquiste et par la guerre civile. Ils seront répartis en fonction de leur statut social ou de leur origine, dans les quartiers huppés de l’ouest ou du centre-ville ou dans les quelconques nouveaux quartiers périphériques pour ouvriers spécialisés ou pour petits commerçants démunis de l’Europe de l’Est et du Sud.
Parmi ces quartiers, l’un des plus cosmopolites est indéniablement le quartier Maârif. Acheté d’une somme modique en 1911 par les négociants juifs anglais, Murdoch et Buttler, à une fraction de la tribu Oulad Maâroufi, il est situé à environ deux kilomètres et demi du centre-ville.
Ce quartier marécageux ne tarda pas à recevoir dès lors, des familles immigrées européennes, logées dans des baraquements en bois.
Loti à partir de 1915, il continua à attirer les petites bourses, incapables de s’aligner sur les prix pratiqués au centre-ville, chasse gardée de l’élite coloniale et fierté du plan urbanistique de l’architecte Henri Prost, non exempt de ségrégation spatiale, étroitement lié qu’il est, à une société à castes, que refusent encore de reconnaître certains adorateurs béats des œuvres «philanthropiques» des bâtisseurs.
Qui dit petites bourses, dits principalement des immigrés originaires d’Europe du Sud, souvent arrivés via l’Algérie «française».
Trois langues étaient initialement pratiquées au Maârif: le français, l’espagnol, l’italien, tandis que l’arabe, étranger sur sa propre terre était cantonné dans le quartier voisin de Derb Ghallef.
Majoritairement catholique en effet, la population ne tarde pas à être dotée en 1917 de sa fameuse église bâtie par le père Bonaventure Cordonnier de la Mission franciscaine, avant de connaître un grand essor, principalement à partir de 1927.
Le quartier Maârif, dit «La Petite Sicile», reste ainsi le fief de ceux que l’on nomme les «pieds-noirs», soit selon le pied-noir de son état, Paul Robert, dans son fameux dictionnaire, «Les Européens fixés en Afrique du Nord», par distinction des français de France, surnommés Patos (en espagnol, canards) ou Francaoui.
L’appellation «pied-noir», honnie par certains, devenue pratiquement synonyme de «rapatrié» avec l’Indépendance de l’Algérie, est emprunte d’une marque péjorative envers ces populations, soit françaises d’origine, nées au Maghreb; soit européennes naturalisées françaises de manière automatique depuis la loi de 1889, étant nées sur un sol décrété «français»; soit juives indigènes auxquelles la citoyenneté française fut accordée avec le Décret Crémieux de 1870. Cette origine métissée ne tarda pas, en tous les cas, à provoquer les éternelles angoisses ethnicistes de certains politiques qui ont évoqué à ce titre, le «péril étranger».
Quant à l’origine de l’expression, «pied-noir», loin de faire l’unanimité, «le Maroc pourrait (en) revendiquer la paternité, selon le professeur d’histoire contemporaine, Guy Pervillé, «puisque, Emmanuel Roblès se souvient qu’en 1937, à Casablanca, dans le quartier du Maârif, on appelait «pieds-noirs» les nouveaux immigrants originaires du Portugal, du sud de l’Espagne et aussi de l’Oranie, qui arrivaient les pieds noirs de poussière».
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