La France et l'immigration : la fin d'une époque
Le Monde du 18.07.07
L'Etat a toujours participé à la construction d'une identité nationale. Aujourd'hui, ce souci est officiel
e ministère de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du codéveloppement n'ouvre pas sur une nouvelle période mais, bien au contraire, traduit la fin d'une époque, celle où la droite française ne pensait l'immigration qu'en termes de répression. Aujourd'hui, à ce volet policier sont raccordées une gestion internationale des flux migratoires et l'ouverture à la « diversité » aux plus hautes fonctions de l'Etat. Cette configuration n'est nullement spécifique à la France. Elle est maintenant quasi générale dans l'ancienne Union européenne des Quinze.
Ce ministère de l'immigration ne fait au fond que centraliser ce qui existait déjà sous l'autorité de différentes administrations. Après tout, un ministère de l'immigration et de l'intégration n'eût été infamant pour personne. Nous n'aurions été ni les seuls ni les premiers en Europe, sans que l'existence d'un tel ministère fasse du continent européen un espace d'Etats racistes. C'est l'apparition et l'insertion de la thématique de l'« identité nationale » constituée comme enjeu d'Etat susceptible d'une gestion politique et bureaucratique qui a créé la surprise et, à juste titre, l'indignation.
Mais à quoi renvoie, pour ce ministère, l'identité nationale ? La réponse n'est pas difficile à trouver. Pour dire les choses rapidement, l'Etat a la charge, et depuis longtemps, de l'identité nationale, sans pour autant que cela soit stipulé et codifié comme tel : tout simplement en permettant sous certaines conditions l'inclusion de l'autre chez soi. Par quel moyen ? En usant légitimement du monopole des conditions juridiques et symboliques d'accès à la nationalité française. Mais alors, pourquoi avoir objectivé sous forme de souci d'Etat officiel la protection de l'identité nationale ? Parce que c'est par l'accueil des nouveaux venus dans l'ordre national, et donc dans leur nouvelle nationalité, que vient se loger et se traduire pour l'actuel gouvernement la défense nationaliste de l'identité nationale.
DÉCOMPLEXER LA DROITE
Devenir le national d'une nation par la naturalisation, à y regarder de près, relève non pas tant du langage du droit que du langage de l'honneur et de la puissance : c'est un honneur qu'il faut mériter et dont il faut prouver, avant et après, qu'on l'a bien mérité. Celui ou celle qui se voit attribuer la nationalité française est ainsi honoré par cette nouvelle qualité et cette nouvelle dignité. C'est exactement la même logique politique et symbolique qui préside à l'exercice du droit d'asile et à l'octroi du statut de réfugié.
Trois raisons peuvent contribuer à expliquer sa création effective. Tout d'abord, une remise en cause culturelle par les forces de droite de leurs schèmes de perception dans les domaines de l'immigration, de la nation et de l'autorité institutionnelle. La Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI) doit en grande partie son existence à la ténacité de Jacques Toubon, ancien ministre de droite. Ensuite, c'est-à-dire en face, la gauche et l'extrême gauche sont installées depuis des années dans un vide réflexif sidérant quant à ces mêmes problématiques, ainsi que celles de la mondialisation des flux migratoires et de la question nationale. Leur discours dominant demeure celui de l'indignation et de l'imprécation.
Enfin, et cette réalité n'a jamais été examinée, l'élite issue de l'immigration, celle insérée depuis une vingtaine d'années dans les appareils, les cabinets ministériels et les cercles confidentiels de réflexions, a sans aucun doute grandement contribué à décomplexer la droite en matière d'immigration, d'appartenance nationale, de moeurs et de religion. Rachida Dati et Rama Yade, que tout sépare de Tokia Saïfi et d'Azouz Begag, en sont la traduction la plus éclatante. Rachida Dati est membre de l'Institut Montaigne, du club Le Siècle et fondatrice du Club du XXIe siècle, dont Rama Yade est une des animatrices. Autant d'espaces fermés de socialisation politique et de rencontres providentielles.
Mais de même, au sein de ce gouvernement, tout sépare le parcours de ces deux femmes d'avec celui de Fadela Amara (type de scolarisation, appartenance politique, etc.). Cette dernière est la seule des trois femmes issues de l'immigration à avoir eu un parcours politique à gauche. On aurait tort de mobiliser la grille inopérante de la fascination du pouvoir et de la carrière pour expliquer sa présence au côté de M. Sarkozy. En tout état de cause, son ralliement n'a strictement rien à voir avec celui de M. Kouchner, de M. Bockel et de M. Besson.
Ces derniers sont à la fois l'expression et la traduction d'une redéfinition des frontières et des critères qui ont pendant longtemps fondé les différences politiques et culturelles entre la gauche et la droite. Rachida Dati et Rama Yade sont dans ce gouvernement par adhésion depuis toujours aux idées de Nicolas Sarkozy. Quant à Fadela Amara, elle traduit à sa manière non pas la cécité de la gauche, mais son refus tout à fait volontaire de ne pas laisser « entrer » et accéder à des positions de pouvoir une partie de l'élite issue de l'immigration qui avait cru qu'elle pouvait être naturellement accueillie à gauche.
Aussi, cette nouvelle donne ne peut être réduite à un « coup » politico-médiatique. Si cette perspective n'est pas dénuée de fondement, elle est en réalité infiniment plus que cela. Elle traduit des transformations profondes et « contradictoires » de la société française à l'oeuvre depuis une trentaine d'années (restriction du droit de séjour et mondialisation des flux migratoires, perméabilité des frontières et maintien de l'identité nationale, etc.). La gauche a pris beaucoup de retard dans la compréhension de ces bouleversements sociaux. Elle a cinq ans devant elle.
Smaïn Laacher
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