- Droit à un recours effectif, (article 13 de la Convention), combiné avec l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) : violation ;
- Droit à la liberté et à la sûreté (article 5 § 1 f) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : non-violation.
Dans l’arrêt X... c. France - req. n° 25389/05, rendu le 26 avril 2007, la Cour européenne des droits de l'homme conclut à l’unanimité à la violation de l’article 13 (droit à un recours effectif), combiné avec l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) de la Convention et à la non-violation de l’article 5 § 1 f (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention.
Le requérant, ressortissant érythréen, est actuellement hébergé à Paris par une organisation non gouvernementale.
En 1998, comme de nombreuses autres personnes, lui et sa famille furent déplacés d’Ethiopie en Erythrée. Il y travailla comme reporter-photographe pour le journal indépendant Keste Debena, dont le rédacteur en chef était alors le journaliste Milkias Y... Les deux hommes furent arrêtés en 2000 en raison semble-t-il de leur activité journalistique ; M. Y... fut incarcéré durant huit mois et le requérant pendant six mois. En septembre 2001, M. Y... fuit le pays. Arrêté et interrogé au sujet de son ami journaliste, le requérant aurait été torturé. Il fut emprisonné pendant six mois et réussit à s’évader de l’hôpital de la prison où il avait été transféré après avoir contracté la tuberculose.
Après avoir séjourné au Soudan, le requérant, sans papiers d’identité, serait, selon ses dires, arrivé en France à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle le 29 juin 2005. Le 1er juillet 2005, il demanda l’autorisation d’entrer en France au titre de l’asile. Le 5 juillet 2005, l’OFPRA (Office français des réfugiés et apatrides), estimant que les propos du requérant contenaient certaines incohérences, rendit un avis de non-admission sur le territoire français. Le lendemain, le ministère de l’intérieur rejeta la demande du requérant et décida de le renvoyer « vers le territoire de l’Erythrée ou, le cas échéant, vers tout pays où il sera légalement admissible ». Le recours formé par le requérant contre cette décision fut rejeté par le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, le 8 juillet 2005.
Le 15 juillet 2005, la Cour européenne, devant laquelle le requérant avait introduit une requête, indiqua au gouvernement français qu’en application de l’article 39 (mesures provisoires) du Règlement, il était souhaitable de ne pas renvoyer l’intéressé vers l’Erythrée avant la réunion de la chambre compétente. Le 20 juillet 2005, les autorités françaises autorisèrent le requérant à entrer sur le territoire national puis lui délivrèrent une autorisation provisoire de séjour. Le 7 novembre 2005, l’OFPRA lui reconnut la qualité de réfugié.
Devant la Cour européenne, le requérant invoquait l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention, dénonçant l’absence en droit français d’un recours suspensif contre les décisions de refus d’admission sur le territoire et de réacheminement. Par ailleurs, sous l’angle de l’article 5 § 1, il se plaignait d’avoir été privé de liberté illégalement, d’une part, du fait de son maintien en zone internationale entre le 29 juin et le 1er juillet 2005 et, d’autre part, du fait de son maintien en zone d’attente jusqu’au 20 juillet 2005.
Sur l’article 13 combiné avec l’article 3 :
- Sur la recevabilité du recours fondé sur la combinaison des articles 13 et 3 de la Convention :
La Cour ne suit pas les autorités nationales qui alléguaient que le requérant, n’étant plus exposé à un risque d’expulsion, n’avait plus la qualité de victime au sens de la Convention. Elle estime que « pour qu’une décision ou une mesure favorable au requérant suffise à lui retirer la qualité de victime, il faut en principe que les autorités nationales aient reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation alléguée de la Convention.
Il est manifeste en l’espèce que ces conditions ne sont pas remplies s’agissant du grief tiré des articles 13 et 3 combinés » (paragraphe 56).
- Sur le fond :
La Cour expose qu’en droit français, « une décision de refus d’admission sur le territoire fait obstacle au dépôt d’une demande d’asile ; elle est en outre exécutoire, de sorte que l’intéressé peut être immédiatement renvoyé dans le pays qu’il dit avoir fui » (paragraphe 54). Elle constate qu’en l’espèce, suite à l’application de l’article 39 du Règlement de la Cour, le requérant a été admis sur le territoire et a ainsi pu déposer une demande d’asile devant l’OFPRA, lequel lui a reconnu la qualité de réfugié en novembre 2005.
La Cour rappelle que dans sa décision sur la recevabilité, elle a estimé que le requérant avait perdu la qualité de victime de la violation alléguée de l’article 3 de la Convention, puisqu’en application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, il ne pouvait plus être expulsé vers son pays d’origine dès lors qu’il avait la qualité de réfugié.
Cependant, une question se pose en l’espèce quant à l’applicabilité de l’article 13 pris en combinaison avec l’article 3 de la Convention.
Selon le droit français, pour déposer une demande d’asile devant l’OFPRA, un étranger doit se trouver sur le territoire français. En conséquence, s’il se présente à la frontière, il ne peut déposer une telle demande que s’il lui est préalablement donné accès au territoire. S’il n’est pas en possession des documents requis à cet effet, il doit déposer une demande d’accès au territoire au titre de l’asile ; il est alors maintenu en « zone d’attente » durant le temps nécessaire à l’examen du caractère « manifestement infondé » ou non de la demande d’asile qu’il entend déposer ; si l’administration juge la demande d’asile « manifestement infondée », elle rejete la demande d’accès au territoire de l’intéressé, lequel est d’office « réacheminable » sans avoir eu la possibilité de saisir l’OFPRA de sa demande d’asile.
Les personnes concernées par cette procédure dite « procédure de l’asile à la frontière » ont la possibilité d’exercer un recours contre la décision ministérielle de non-admission mais également de saisir le juge des référés. Si cette dernière procédure présente a priori des garanties sérieuses, la Cour relève cependant que « la saisine du juge des référés n’a pas d’effet suspensif de plein droit, de sorte que l’intéressé peut, en toute légalité, être réacheminé avant que le juge ait statué (...) » (paragraphe 65).
« Compte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 de la Convention et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements (...) l’article 13 de la Convention exige que l’intéressé ait accès à un recours de plein droit suspensif » (paragraphe 66). Considérant que le requérant n’a « pas eu accès en « zone d’attente » à un recours de plein droit suspensif, les juges de Strasbourg estiment qu’il n’a pas disposé d’un « recours effectif » pour faire valoir son grief tiré de l’article 3 de la Convention » (paragraphe 67) et concluent, à l’unanimité, à la violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.
Sur l’article 5 § 1 f :
Eu égard aux éléments du dossier, la Cour estime que rien ne permet de considérer que le requérant est arrivé à l’aéroport avant le 1er juillet 2005 et considère que la privation de liberté du requérant a débuté à la date de son placement en « zone d’attente » le 1er juillet 2005 et qu’elle prit fin le 20 juillet 2005, date à laquelle l’intéressé fut autorisé à pénétrer sur le territoire français. Dès le vingtième jour suivant son placement en zone d’attente, le requérant se vit autoriser à pénétrer sur le territoire français et délivrer un sauf-conduit, ce qui mit fin à sa privation de liberté. « Ainsi, non seulement la durée globale de la détention qu’il a subie n’a pas excédé le maximum légal de 20 jours, mais en plus, son maintien en zone d’attente du 15 au 20 juillet 2005 reposait sur une décision juridictionnelle » (paragraphe 75).
Par ailleurs, elle expose que le requérant étant dépourvu de tout document d’identité, la Cour ne voit pas de raison de douter de la bonne foi du gouvernement en ce qu’il affirme que l’admission du requérant sur le territoire nécessitait que les autorités procèdent préalablement à des vérifications quant à son identité. Enfin, elle estime que « dans les circonstances de la cause, la durée du maintien du requérant en zone d’attente à cette fin n’a pas excédé la limite du raisonnable ». Son maintien en zone d’attente après le 15 juillet 2005 constituait donc une « détention régulière » « d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire ».
En conséquence, la Cour conclut, à l’unanimité, à la non-violation de l’article 5 de la Convention.
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