Par Edward Mortimer
New York Times-Jeune Afrique-27-05-07
Neuf pour cent des personnes qui vivent dans l’Union européenne (UE) et 13 % de celles qui vivent aux États-Unis sont nées à l’étranger. Il s’agit là de niveaux historiquement élevés et qui vont probablement être dépassés.
Est-ce un problème ? Certainement pas pour les employeurs qui peuvent compter sur un afflux apparemment inépuisable de main-d’œuvre à bon marché. Et pas, globalement, pour les pays d’accueil et pour les pays d’origine. Ces derniers bénéficient d’une aide massive à leur développement sous la forme des transferts d’argent des émigrés, tandis que les premiers voient leur productivité et leur économie dopées, puisque les immigrés sont à la fois des producteurs et des consommateurs.
Moins tangibles, mais non moins importants, sont les avantages que le pays qui reçoit retire d’une population culturellement diverse qui inclut beaucoup d’individus pleins de ressources ayant des liens avec d’autres régions du monde. Aussi importants sont les bénéfices que le pays d’où elle est partie peut tirer d’une diaspora vivant dans un riche pays du Nord, dont les membres qui réussissent le mieux deviennent des investisseurs dans leur ancienne patrie - et ses avocats. Beaucoup de ces pays du Nord offrent la possibilité aux émigrants et à leurs descendants de garder la double nationalité.
Et pourtant, beaucoup d’Européens et d’Américains voient dans ce boom actuel de l’émigration une crise majeure. Ils ont même fait de gros efforts pour y mettre fin. Beaucoup de barrières ont été construites. Non seulement à la frontière américano-mexicaine, mais aussi à la frontière hispano-marocaine. Les frontières méditerranéennes et orientales de l’UE sont étroitement surveillées.
Le Nord devrait être reconnaissant à l’égard de ces émigrés qui continuent malgré tout d’affluer - en payant souvent des sommes exorbitantes à des passeurs et en s’entassant sur des embarcations de fortune, ou en s’étouffant dans des compartiments hermétiquement clos à l’arrière des camions. Ils forment la grande armée des « illégaux » - « clandestins », « sans-papiers » - qui font le ménage dans les bureaux et la « plonge » dans les restaurants, ou gardent les enfants et les parents âgés. Ces gens n’ont effectivement aucun droit, puisqu’ils ne peuvent pas porter plainte contre leurs employeurs sans risquer l’expulsion. La plupart des habitants des pays riches ferment les yeux sur ces pratiques, ce qui est un tort. Quand une société déclare que quelque chose est illégal, mais en tire quotidiennement avantage, ce n’est pas seulement immoral, c’est incohérent. C’est déconsidérer la loi et laisser pratiquement le contrôle de l’immigration aux passeurs et aux trafiquants.
Un grand nombre d’émigrants prennent aujourd’hui pour destination des pays nouveaux. L’Espagne, qui, il y a dix ans, était encore un pays d’émigration nette, reçoit aujourd’hui 4,5 millions d’immigrants : c’est le record après les États-Unis. Dans des pays comme l’Espagne, l’identité nationale fait l’objet d’un vrai débat. Beaucoup disent que les immigrants doivent s’adapter. Mais l’identité n’est pas éternelle ou immuable. Beaucoup d’Américains et d’Européens d’aujourd’hui sont différents à bien des égards des combattants de la Seconde Guerre mondiale. L’absorption ou l’intégration d’immigrants sont des facteurs d’un changement qui ne peut pas être à sens unique. Les Américains peuvent le faire plus facilement parce que les États-Unis sont un pays qui a conscience d’avoir été formé par des vagues successives d’immigrants, et dispose d’un répertoire de mots et de symboles grâce auxquels des citoyens d’origine différente peuvent se constituer des liens. En Europe, au contraire, on tend à s’agacer des expressions publiques de patriotisme, parce qu’elles rappellent les nationalismes qui ont été à l’origine des deux guerres mondiales.
Il y a aussi le fait qu’une forte proportion des immigrants qui affluent en Europe vient de pays musulmans. Les violences extrémistes - les attentats du 7 juillet 2005 à Londres, l’assassinat de Theo Van Gogh aux Pays-Bas - et les émeutes, globalement non religieuses, qui ont été fomentées en France par des jeunes ghettoïsés et marginalisés ont amené beaucoup d’Européens à craindre une mainmise islamique sur leurs sociétés et à se demander s’il est possible à un musulman d’être européen.
Mais, dit Tariq Ramadan, l’avocat bien connu d’un islam modéré européen, « la question est déjà dépassée ». Des millions de musulmans sont nés dans l’Union et ont grandi en Europe. Il ne peut être de l’intérêt de personne de leur donner le sentiment qu’ils ne sont pas chez eux.
* Ancien rédacteur des discours du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan et vice-président des programmes du Salzburg Seminar.
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