jeudi, octobre 06, 2005

En Guyane, le dossier explosif de l'immigration clandestine

Article paru dans l'édition du Monde 20.09.05

Le président socialiste de la région, Antoine Karam, a proposé de « refermer les frontières »
Nous sommes au bord de la rupture de l'équilibre sociologique de la population guyanaise. » Comme la plupart des élus locaux, Antoine Karam, président du conseil régional et secrétaire général du Parti socialiste guyanais (PSG), devient alarmiste dès qu'il évoque le problème de l'immigration clandestine.

Département français situé entre le Suriname et le Brésil, la Guyane attire de nombreux immigrants venus des pays voisins et de la zone caraïbe. Sur les 180 000 personnes vivant en Guyane, d'après l'Insee, 30 % sont étrangères, sans compter plusieurs dizaines de milliers de clandestins, « une population très importante et difficilement chiffrable », selon un document interne du tribunal de Cayenne. Les estimations varient, selon les sources, de 25 000 à 50 000 clandestins, dont 8 000 à 10 000 orpailleurs clandestins vivant en forêt.

Avec une croissance démographique record, au niveau national, de 3,5 % par an, alimentée par l'immigration et une forte natalité, la population guyanaise devrait doubler avant vingt ans. De nombreux Guyanais craignent à terme d'être marginalisés sur leur territoire. « La Guyane ne peut pas continuer à subir ce que j'appelle le génocide par substitution du peuple guyanais », indiquait le sénateur Georges Othily, en février 2004, à l'occasion de la campagne des régionales.

A la pression de l'immigration clandestine s'ajoute une insécurité grandissante. Figurant parmi les premiers départements français pour le taux de criminalité, la Guyane a enregistré 84 homicides en 2004 (le tiers de ces homicides ont un lien direct ou indirect avec l'orpaillage illégal), soit autant qu'aux Antilles pour une population quatre fois moins nombreuse. En juillet, des dizaines de personnes se sont regroupées dans un collectif, dont la première action a consisté à expulser des squatters d'un immeuble de Cayenne, pour la plupart des étrangers sans papiers.

Aujourd'hui, tout en se défendant publiquement de faire un lien direct entre insécurité et immigration, la plupart des élus demandent une pause dans l'immigration. « On a une inondation dans un appartement, on veut réparer pour éponger, donc on demande que le robinet soit fermé momentanément », explique Jean-Claude Lafontaine, le maire de Cayenne. L'Association des maires dénonce le poids de l'immigration sur les budgets des communes, qui peinent à suivre la croissance démographique, notamment en matière d'infrastructures scolaires. Peu après la rentrée, le rectorat a estimé le nombre d'enfants non scolarisés entre 2 500 et 5 000.

« PRATIQUE SCANDALEUSE »

Dans ce contexte, la proposition de François Baroin de remettre en cause le droit du sol est accueillie plutôt favorablement, même si elle n'est pas jugée suffisante. « C'est une partie de la solution, confie M. Karam, mais cela ne réglera pas le problème , car la différence de niveau de vie est trop importante avec les pays voisins, et il y aurait des moyens de contourner l'absence de droit du sol, notamment les mariages blancs. »

« Il n'y a jamais eu de véritable politique d'immigration concertée entre les élus et l'Etat », regrette le président de la région, qui appelait, le 19 mai, dans les colonnes du quotidien France-Guyane à « refermer les frontières » puis à « régulariser tous les étrangers présents depuis plus de cinq ans en Guyane ». Pour Jean-Pierre Roumillac, le président de l'Association des maires, « François Baroin a eu l'audace et le courage de poser le problème ». « Les gens viennent pour les avantages soci aux, ne faut-il pas aussi limiter l'accès à ces avantages ? », s'interroge-t-il.

Favorable à la proposition du ministre de l'outre-mer, le secrétaire départemental de l'UMP et conseiller régional Rémy-Louis Budoc rappelle la revendication déjà ancienne de Léon Bertrand, le ministre du tourisme et maire de Saint-Laurent-du-Maroni, de classer l'hôpital de la ville frontière avec le Suriname en « hôpital international ». « Il s'agit de faire cesser cette pratique scandaleuse qui consiste pour des clandestins à venir accoucher à Saint-Laurent pour avoir des enfants en situation régulière et bénéficier des aides sociales, explique M. Budoc. Nous ne sommes plus dans une logique humanitaire, mais dans un système mafieux, fait de trafics en tout genre. »

Des trafics qui bénéficient parfois de complicités locales : en 2004, plusieurs fonctionnaires de la préfecture de Guyane ont été mis en examen dans le cadre d'une affaire de délivrance présumée frauduleuse de cartes de séjour.

« En entendant les propos de François Baroin, on a tous mal à la tête, lâche un élu, membre du PSG, parti majoritaire sur les bancs de la région. Nombre d'entre nous, nés de parents étrangers, ont bénéficié du droit du sol pour devenir français. En même temps, le système est au bord de la rupture... »

Députée (PRG) de Guyane, Christiane Taubira fustige quant à elle la remise en cause de ce droit. « Si l'outre-mer est hors du territoire de la République, alors il faut le dire, aller au bout du raisonnement, et sortir du droit commun. Sinon, on applique le droit », analyse l'ancienne candidate à la présidentielle.

Laurent Marot

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