Mais c'est quoi, au fait, le « modèle social français » ?
Article paru dans l'édition du Monde du 04.10.05
Les politiques menées depuis une vingtaine d'années ont montré leurs limites
ancinante question des politiques : le modèle d'intégration à la française a-t-il vécu ? En novembre 2004, dans un rapport sur « L'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'immigration », la Cour des comptes dressait un constat alarmiste sur la machine à intégrer française. Elle y décrivait une « situation de crise » qui n'est pas le produit de l'immigration mais « le résultat de la manière dont l'immigration a été traitée (...). L'Etat se limite à superposer des dispositifs, avec des allers-retours en matière d'accès et de séjour, en laissant l'intégration se faire elle-même ».
Les ratés de l'intégration touchent tous les domaines de la vie sociale. Spatialement déjà, avec la concentration des populations issues de l'immigration dans certains quartiers. A l'école ensuite : pour un enfant de famille étrangère entrant au collège, la probabilité de sortir du système éducatif sans qualification est deux fois plus élevée que pour un enfant de parents français (15,1 % contre 8,7 %).
Une récente étude du ministère de l'éducation nationale tempère ce constat, en montrant qu' « à situation sociale et familiale comparable », les enfants d'origine étrangère « ont des chances au moins égales à celles des autres élèves de préparer un baccalauréat général et présentent un risque moins élevé de sortie précoce du système éducatif ». Mais ces situations ne sont pas, justement, comparables. Le taux de chômage des immigrés - y compris pour les cadres - demeure près de deux fois plus élevé (16,4 %) que pour les nationaux. Comme le soulignait la Cour des comptes, « l'emploi des immigrés ne figure -dans les politiques publiques- que sous l'aspect de la lutte contre les exclusions et les discriminations », qui a pris peu à peu le pas sur les politiques d'intégration. En témoigne le débat autour de la discrimination positive qui anime aujourd'hui la classe politique.
Cette notion n'est pas neuve en France. Elle fonde depuis une vingtaine d'années un certain nombre de politiques publiques d'équité à vocation sociale, telles que les zones d'éducation prioritaires, la politique de la ville, la réglementation du marché du travail. Mais les dénonciations des discriminations ethno-raciales ont contribué à porter sur le devant de la scène une autre conception de la discrimination positive désignant, à l'instar de l' affirmative action américaine, le fait d'accorder des avantages compensatoires spécifiques à des individus considérés comme membres de groupes défavorisés. Une conception qui, en heurtant le principe d'égalité des chances, bouscule les fondements du modèle républicain.
« Le problème n'est pas de savoir si on est pour l'égalité, mais comment on y arrive », fait valoir Nicolas Sarkozy qui s'est fait le chantre de la discrimination positive. « Dans la société française, l'égalité des chances consiste à donner la même chose à chacun. Or ce n'est pas ainsi que l'on atteint l'objectif. Assurer l'égalité des chances, c'est être capable de discriminer les moyens en fonction des mérites et en fonction des handicaps », soutient le ministre de l'intérieur. A ces arguments, les défenseurs du modèle républicain répondent que les politiques de discrimination positive entraînent une stigmatisation des populations ciblées.
Dans le premier rapport du Conseil d'analyse de la société (CAS), rendu public le 27 septembre, Luc Ferry, son président, reconnaît que « la tradition républicaine ne suffit plus à réparer un certain nombre d'injustices. Les tenants de la discrimination positive posent une vraie question ». Mais plutôt que la discrimination positive, le président du CAS préfère défendre le concept de « société de la nouvelle chance » pour « redonner à ceux qui sont dans une impasse les moyens de reprendre en main leur destin ».
Pour Jeannette Bougrab, universitaire et membre du Haut Conseil à l'intégration (HCI), il faudrait, avant de parler d'échec du modèle républicain, se poser la question de la réalité de sa mise en oeuvre : « Parler de discrimination positive, relève-t-elle, permet en réalité d'éviter un certain nombre de questions, notamment celle des moyens. »
Laetitia Van Eeckhout
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire