jeudi, octobre 06, 2005

Mayotte, la République et le droit du sol

Point de vue par Paul Kramer
LE MONDE | 05.10.05


Les propos du ministre de l'outre-mer, François Baroin, appelant à une remise en cause du droit du sol ont été largement salués à Mayotte, du moins dans les rangs de la classe politique mahoraise.

Le député Mansour Kamardine a exprimé sa satisfaction, soulignant au passage que "le droit du sol est d'extension récente à Mayotte et n'a pu acquérir la force d'une tradition républicaine" . Une telle déclaration a de quoi surprendre tout citoyen attaché à notre tradition républicaine française.


Il n'est pas inutile de rappeler les principes applicables en matière de droit du sol pour savoir si un durcissement législatif aurait une chance d'être efficace dans la lutte contre l'immigration clandestine, objectif légitime en soi.

Que dit la loi en substance ?

Tout d'abord, les enfants de parents étrangers qui naissent à Mayotte n'acquièrent pas la nationalité française d'un coup de baguette magique, comme semble le laisser entendre le ministre, il s'en faut. Aujourd'hui, M. Baroin n'ignore pas qu'un enfant né en France métropolitaine, comme à Mayotte, de parents étrangers, ne peut obtenir la nationalité française qu'à partir de l'âge de 13 ans, à la condition expresse qu'il vive en France sans interruption et que ses parents effectuent les démarches appropriées. Cette volonté doit, de plus, être réitérée à sa majorité.

A cela s'ajoute la difficulté des démarches à accomplir et des preuves à apporter auprès du tribunal d'instance pour se voir reconnaître la nationalité française, et nombre de Mahorais en font quotidiennement la douloureuse expérience. Aussi, pour lutter contre l'acquisition de la nationalité par le droit du sol, l'arsenal législatif en vigueur a déjà de quoi dissuader les plus courageux.

On ne saurait faire grief au ministre et aux élus mahorais de s'attaquer à un vrai problème : l'émigration massive de Comoriens à destination de Mayotte – ­ seule île de l'archipel demeurée française après le référendum de 1974 sur l'indépendance des Comores. Nul doute que ce petit territoire de 374 km2, confronté à une situation économique et sociale préoccupante, n'est pas en mesure d'accueillir tous les candidats comoriens à l'immigration.

Pour autant, les mesures proposées par le ministre de l'outre-mer seront-elles efficaces pour atteindre l'objectif affiché de lutte contre l'immigration clandestine ?

Interrogé sur l'incidence d'une réforme du droit du sol, Patrick Weil, spécialiste des questions de nationalité et d'immigration (Le Monde du 20 septembre), estime que "l'immigration irrégulière n'est pas liée aux principes régissant l'acquisition de la nationalité française" .

On ne saurait sérieusement contester que les causes de l'immigration vers Mayotte soient à chercher du côté d'une extrême misère sociale aux Comores plutôt que dans la volonté d'"usurper" la nationalité française. Les habitants de Mayotte les moins fortunés ne sont-ils pas les premiers candidats au départ vers la Réunion ou la métropole, plus attractives en raison des avantages sociaux qui y sont accordés à un citoyen français ?

Renforcer les conditions d'accès à la nationalité française en modifiant le droit du sol ne dissuadera jamais les candidats à l'émigration de tenter, même au péril de leur vie, d'échapper à leur sort.

L'aménagement du droit à la nationalité française par filiation est-il sérieusement envisageable ? M. Baroin évoque la possibilité d'aller encore plus loin en limitant "à un délai d'un an après la naissance de l'enfant la période pendant laquelle un Français peut reconnaître un enfant naturel dont la mère est étrangère" .

Cette remise en cause serait motivée par la lutte contre la fraude, pourtant déjà sévèrement réprimée par le droit pénal. Il est à craindre que les conséquences néfastes de la loi n'outrepassent les avantages escomptés. Des enfants seraient privés de la nationalité française à laquelle ils pourraient légitimement prétendre. Des pères français mettraient au monde des enfants "étrangers" sur le territoire français, par le simple fait d'avoir choisi une femme étrangère. A l'heure où le premier ministre s'efforce d'encourager la natalité chez les métropolitains, les enfants de familles mahoraises connaissent les pires difficultés à faire valoir leur identité française. C'est bien la preuve d'une discrimination flagrante qui tend à éloigner Mayotte du giron de la République.

Et, précisément, l'un des dangers de la remise en cause du droit du sol pour les Mahorais, c'est qu'elle reviendrait à écarter la collectivité de Mayotte du chemin de la départementalisation. Il paraît paradoxal de revendiquer des droits sociaux équivalents à ceux accordés en métropole tout en réclamant par ailleurs un régime dérogatoire en matière de droit de la nationalité. Le risque serait grand de voir l'Etat français opposer à Mayotte ses "particularités" pour lui refuser demain un rattrapage du smic, des prestations sociales équivalentes, un droit à une assurance-chômage etc.

Si Mayotte veut appartenir à la République à part entière, elle ne saurait se contenter de nouvelles "adaptations" qui perpétuent déjà tant de handicaps et d'inégalités avec d'autres départements français.

Les mesures proposées par le ministre de l'outre-mer seraient au mieux inefficaces, au pis dangereuses pour les Mahorais. Pour sortir de l'impasse de l'immigration clandestine, il faut explorer d'autres solutions. Par exemple, améliorer l'efficacité de la coopération régionale, afin de favoriser un développement réel des Comores.

Mais rejeter sélectivement l'héritage républicain, c'est risquer de compromettre l'intégration pleine et entière de Mayotte à la France et par là même priver son peuple de l'accès à des droits économiques et sociaux indispensables à son développement.


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Paul Kramer est avocat au barreau de Mayotte.

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