LE MONDE | 07.10.05
L'afflux croissant de candidats à l'immigration aux frontières méditerranéennes de trois pays de l'Union européenne – l'Espagne, l'Italie et Malte – oblige les Vingt-Cinq à réexaminer leur politique sur l'immigration.
Les nombreux naufrages d'immigrés clandestins qui essaient de gagner la Sicile ont conduit l'Italie à se tourner vers la Libye, principal pays de transit vers l'Europe dans cette partie de la Méditerranée, pour tenter de freiner le mouvement migratoire. Les graves incidents survenus au Maroc au seuil des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, qui, jeudi 6 octobre, ont fait six morts, appellent également une collaboration accrue entre Madrid et Rabat. Mais au-delà des nécessaires accords bilatéraux entre les Etats européens et les pays voisins par lesquels transitent les migrants, issus le plus souvent de l'Afrique subsaharienne, l'Union est appelée à l'aide pour harmoniser les législations et coordonner les actions.
Le ministre espagnol des affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, a ainsi invité l'Europe à se mobiliser pour faire face à la crise. "Il est urgent, a-t-il déclaré à Strasbourg, devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, que l'Union européenne joue un rôle de premier plan dans ce domaine tant en ce qui concerne les politiques de migrations que pour l'élaboration d'un ambitieux plan de coopération avec l'Afrique". Selon M. Moratinos, "il s'agit d'une priorité pour l'Europe, et pas seulement pour l'Espagne" . Le ministre demande aux Vingt-Cinq de "gérer ensemble ce phénomène qui risque sinon de nous dépasser et nous entraîner dans des effets dévastateurs".
Le commissaire européen à la liberté, la justice et la sécurité, Franco Frattini, a répondu positivement à la demande du gouvernement espagnol en annonçant notamment qu'une mission technique, issue de la nouvelle agence européenne de gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures, en cours d'installation, allait se rendre sur place. Il a également indiqué qu'une aide de 40 millions d'euros serait débloquée pour aider le Maroc à contrôler ses frontières et qu'un accord de réadmission des immigrants clandestins, en négociation depuis un an et demi, pourrait être conclu avant la fin de l'année avec Rabat. "L'Europe est prête à s'engager rapidement sur le terrain , a-t-il déclaré, mais elle exige aussi du Maroc un engagement fort et clair à lutter contre l'immigration clandestine."
Dans un entretien au quotidien italien La Stampa, M. Frattini, qui lorsqu'il était ministre des affaires étrangères de M. Berlusconi a dû faire face, à ce titre, aux pressions migratoires, affirme que "personne en Europe ne peut se sentir protégé à l'intérieur d'une forteresse parce que la forteresse s'est écroulée". Les images de Ceuta et Melilla, ajoute-t-il, montrent que "la force du désespoir est vraiment grande" et que "l'Europe ne peut plus penser s'y opposer par des fils de fer barbelés" .
Invité à commenter des propos du ministre italien de l'intérieur, Giuseppe Pisanu, qui s'est plaint, dans une lettre au même quotidien, de la "somnolence" de l'Europe sur cette question, le commissaire européen lui donne raison en jugeant que certains pays d'Europe, parce qu'ils sont "géographiquement éloignés" des lieux où se rencontrent le désespoir et le trafic d'êtres humains, manifestent peu d'empressement à affronter ce problème. Il souhaite que les Vingt-Cinq donnent à la Commission "des pouvoirs effectifs de coordination". Il se dit également d'accord avec l'idée lancée par M. Pisanu d'un "plan Marshall" pour aider l'Afrique subsaharienne.
"UN PACTE EURO-AFRICAIN"
La Commission, qui adoptera mercredi 12 octobre, à l'initiative du commissaire au développement, Louis Michel, une communication définissant "une stratégie pour l'Afrique" et proposant "un pacte euro-africain pour accélérer le développement de l'Afrique" , considère qu'au-delà de la lutte contre l'immigration illégale, du contrôle des frontières et du rapatriement des clandestins le principal moyen de freiner les flux migratoires est de mener une politique de développement plus ambitieuse dans les pays d'où proviennent les immigrés. L'UE a notamment engagé, en juin 2005, un dialogue avec la Libye sur ces questions.
En se prononçant, à cette occasion, pour "une approche globale et intégrée de l'immigration dans la région méditerranéenne" , les ministres de l'intérieur des Vingt-Cinq ont souligné la nécessité d'"intensifier la coopération avec les pays situés aux frontières méridionales de l'Union européenne, de même qu'avec un certain nombre de pays d'origine et de transit importants du continent africain" . Il s'agit, expliquaient-ils, de "renforcer la capacité de ces pays" pour leur permettre de "mieux gérer l'immigration" et d'"offrir une protection aux réfugiés". Dans le cas de la Libye, la "portée" et l'"évolution" d'une telle coopération devait dépendre des engagements de Tripoli en matière d'asile et de droits fondamentaux.
Thomas Ferenczi
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