lundi, octobre 31, 2005

La Cité de l'immigration devrait ouvrir en avril 2007

La Cité nationale de l'histoire de l'immigration (CNHI), longtemps voeu pieux, puis projet de papier, semble se concrétiser. Une équipe est réunie, sous la direction d'un responsable, Jacques Toubon. Des fonds ont été dégagés. Un bâtiment a été investi : le Palais de la Porte-Dorée, d'abord pavillon d'accueil pour l'Exposition coloniale de 1931, devenu Musée des colonies, puis Musée des arts d'Afrique et d'Océanie. Un calendrier serré a été fixé : la Cité devrait être ouverte au public en avril 2007, à quelques semaines de l'élection présidentielle.


L'idée d'un centre dédié à l'immigration a été lancée voilà quinze ans. Dès le début des années 1990, une Association pour un musée de l'immigration était créée à l'initiative d'historiens comme Gérard Noiriel et Pierre Milza et de représentants des milieux associatifs issus de l'immigration. Le petit groupe estime qu'à l'instar du Musée de l'immigration d'Ellis Island, situé sur un îlot en face de New York, il faut un lieu pour combler le trou de mémoire français. Il s'agit pour eux de relancer le modèle français d'intégration qui semble en panne tandis que prospèrent les thèses du Front National. Un rapport est remis en 1991. Sans résultat : la gauche au pouvoir estime que le projet est prématuré ; pour la droite, qui va gagner Matignon puis l'Elysée, il est impensable.

En 1998, après la victoire en Coupe du monde de football par une équipe française métissée et la brève euphorie black-blanc-beur, Philippe Bernard, journaliste au Monde alors chargé de l'immigration, et Patrick Weil, directeur de recherche au CNRS, estiment que c'est le moment de relancer les démarches. Ils écrivent à Lionel Jospin, nouveau premier ministre.

Celui-ci est plutôt séduit, son cabinet est partagé. L'administration culturelle, notamment celle des musées, est plus que réticente. M. Jospin commande pourtant un nouveau rapport, rédigé par Rémy Schwartz, maître des requêtes au Conseil d'Etat, et Driss El Yazami, délégué général de l'association Génériques et vice-président de la Ligue des droits de l'homme. La rédaction de ce document est précédée par une vaste consultation, notamment auprès des associations d'immigrés. Il en ressort que la demande est très forte. Pourtant le rapport, remis en 2001, sera relégué à son tour dans un tiroir. M. Jospin, préoccupé par l'élection présidentielle, saisit mal le sens politique de ses propositions.


UNE SORTE DE CONSENSUS


Après le coup de tonnerre qui accompagne l'élection présidentielle de 2002, l'élu, Jacques Chirac, comprend qu'il y a là une partie à jouer. Il confie une mission à Jacques Toubon, qui n'a plus de mandat électoral. En avril 2004, l'ancien ministre de la culture remet un nouveau rapport, largement nourri des précédents. Dans la foulée, le premier ministre Jean-Pierre Raffarin crée une mission de préfiguration. L'un des rédacteurs du rapport est Luc Gruson, responsable de l'Agence pour le développement des relations interculturelles (ADRI), aujourd'hui directeur du Groupement d'intérêt privé (GIP) de la Cité de l'immigration. "Il y avait une fenêtre de tir étroite, explique-t-il aujourd'hui. Jacques Toubon a su accélérer le processus et obtenir le Palais de la Porte-Dorée."

L'historienne Marie-Claude Blanc-Chaléard, pour qui la Cité vient bien tard, estime que "Jacques Toubon a fait sauter un grand nombre de verrous grâce à ses réseaux, ses appuis et son dynamisme personnel. Il donne le sentiment d'être convaincu par le projet, et il faut saluer sa capacité d'écoute." L'ancien ministre comprend très vite l'enjeu politique de la Cité : le métissage des racines françaises, l'histoire conflictuelle de la colonisation, sans parler de ce que la droite pourrait récupérer sur le plan électoral. Dans la classe politique, la Cité suscite désormais une sorte de consensus, que rompt Pascal Blanchard, chercheur associé au CNRS de Marseille, président de l'Association pour la connaissance de l'histoire de l'Afrique, en lui reprochant vertement le choix de son siège. "La Porte-Dorée n'est pas un bâtiment neutre, indique-t-il. L'occuper au nom de l'immigration, c'est évacuer la mémoire coloniale, celle qui est au centre du débat." La polémique va monter d'un cran le 11 octobre, quand M. Blanchard, au cours d'un forum, accuse les historiens liés à la Cité de soutenir la loi du 23 février 2005 destinée à présenter la colonisation comme positive. Alors que ces historiens, à commencer par M. Noiriel, pétitionnent contre ce texte.

M. Gruson souligne que le premier colloque organisé par la future Cité doit être consacrée, en 2006, à ce fameux passé colonial : "Mais l'immigration n'est pas réductible à la seule colonisation, même si elle en est une composante très importante. L'immigration des Italiens, des Espagnols, des Polonais, des Juifs d'Europe de l'Est ou des Arméniens n'a rien à voir avec l'Empire français."

En dépit d'une définition encore imprécise de l'immigré ­ - faut-il évoquer l'immigration intérieure des Auvergnats, Corses, Bretons..., celle des Antillais, des rapatriés ­ - le concept de la Cité s'articule autour de deux pôles. Le musée, confié à Hélène Lafont-Couturier, ancienne responsable du Musée d'Aquitaine à Bordeaux, doit rendre lisible l'histoire de l'immigration. Destiné à un large public, il sera conçu sur un mode évolutif, avec des révisions permanentes tous les dix-huit mois. Il doit répondre à trois problématiques. Celle de l'immigré lui-même, son trajet personnel ; celle de la France, pays d'immigration, et de la place des immigrés dans la nation, xénophobie comprise ; celle d'une identité française façonnée par la diversité. Des expositions temporaires aborderont des thèmes plus précis. Le musée doit être accompagné d'une médiathèque.

Le deuxième pôle est immatériel. Il s'agit de créer un réseau avec les associations, mais aussi avec d'autres institutions (universités, archives, musées, centres de documentations, sites Internet) et d'élaborer une politique de production, (livres, films, exposition). La Porte-Dorée doit enfin être un lieu public de rencontres et d'échanges. Le forum de toutes les immigrations.

Des questions subsistent. Le ministère de la culture pourra-t-il supporter seul cette charge supplémentaire (20 millions d'euros d'investissement, 7 millions de fonctionnement annuel) ? Et comment le tissu associatif va-t-il réagir à l'existence de cette Cité ? Sans lui, la CHNI ne sera qu'une coquille vide.



Emmanuel de Roux
Article paru dans l'édition du 01.11.05, Le Monde

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