lundi, février 26, 2007

Canada : Les yeux du monde rivés sur la Cour suprême

de Laura-Julie Perreault
Source : Cyberpresse, La Presse

La Cour suprême du Canada rendra ce matin une des décisions les plus attendues de l'année. Et pas seulement au pays. À Washington et à Londres, tout comme à Sydney et à Copenhague, on surveillera de près le verdict du plus haut tribunal du pays sur les certificats de sécurité.

>>>>La décision: les certificats de sécurité sont inconstitutionnels

Après huit mois de délibérations, la Cour déterminera ce matin si la mesure utilisée par le gouvernement pour détenir et expulser de présumés terroristes est compatible avec les droits de la personne et les obligations internationales du Canada.

«Tous les pays occidentaux ont adopté à peu près les mêmes mesures pour faire face au terrorisme et là, une de ces mesures passe le test d'un tribunal important. La décision va faire le tour de la planète en quelques minutes», affirme François Crépeau, professeur de droit à l'Université de Montréal.

La décision canadienne, qui sera disponible sur Internet dès 9 h 45, enrichira la jurisprudence internationale et pourrait influencer les parlements occidentaux dans l'élaboration de nouvelles lois liées à la lutte contre le terrorisme, soutient M. Crépeau.

Selon l'organisation Human Rights Watch, qui surveille de près la contestation des certificats de sécurité devant la Cour suprême depuis plus d'un an, le verdict canadien tombe à point. «Il y a une tendance mondiale à utiliser le droit de l'immigration pour mener la guerre au terrorisme, car ce droit offre moins de garanties de protection. La Norvège, la Suède et les Pays-Bas essaient de rendre le renvoi d'étrangers plus facile», explique Julia Hall, de Human Rights Watch, jointe à New York cette semaine.

Mesure exceptionnelle

Julia Hall rappelle que les certificats de sécurité n'existent que dans la loi canadienne sur l'immigration et la protection des réfugiés et ne touchent que les individus qui ne détiennent pas la citoyenneté. Selon la loi, le gouvernement peut délivrer ces certificats afin d'interdire l'accès au territoire à des personnes jugées dangereuses pour la sécurité nationale.

Le gouvernement n'a pas à porter d'accusations contre les individus ni à leur intenter de procès. Il doit cependant prouver que le certificat, basé sur des soupçons, est raisonnable. Pour ce faire, les autorités exposent à un juge de la cour fédérale l'ensemble de la preuve amassée au sujet de l'individu. Si certaines informations sont jugées «sensibles», elles sont présentées à huis clos, sans la présence de la personne soupçonnée. À la suite de cet examen, si le juge détermine que le certificat est raisonnable, la personne peut être expulsée.

Pendant l'étude du certificat, l'individu peut être détenu. Une personne visée par un certificat peut quitter le pays à tout moment.

Pour l'instant, cinq hommes musulmans, soupçonnés d'entretenir des liens avec des organisations terroristes, font l'objet de certificats de sécurité au Canada. Trois d'entre eux sont détenus. Les deux autres ont été mis en liberté, mais doivent respecter des conditions sévères. Tous affirment qu'ils seront torturés s'ils sont retournés dans leur pays d'origine.

Vies en jeu

Ces cinq hommes seront les premiers touchés par la décision de la Cour suprême. «La décision m'angoisse tellement que j'en ai perdu l'appétit. C'est mon avenir qui se joue», a dit mercredi à La Presse Adil Charkaoui, un Montréalais d'origine marocaine visé par un certificat depuis 2003.

M. Charkaoui est à l'origine de la contestation des certificats de sécurité devant la Cour suprême. Il espère que la loi dans sa forme actuelle sera abolie et qu'il retrouvera son entière liberté.

Mais la plupart des avocats impliqués dans la cause croient que la Cour suprême en décidera autrement. Lors des audiences en juin dernier, le gouvernement canadien a demandé aux juges du plus haut tribunal du pays de lui accorder un délai d'un an pour ajuster le tir si les magistrats concluent que des parties de la loi sont inconstitutionnelles.

Le gouvernement canadien souligne qu'il n'utilise les certificats que très rarement, et en cas de nécessité absolue.

Depuis 1978, il n'en a délivré que 27.



La Cour suprême donne un an au gouvernement fédéral pour réécrire sa loi sur les certificats de sécurité parce qu'elle juge certaines de leurs dispositions inconstitutionnelles.

Ces certificats permettent la détention ou l'expulsion d'étrangers et de résidents permanents considérés comme dangereux, sur la base de simples soupçons raisonnables.

Dans une décision unanime, le plus haut tribunal du pays a conclu que les personnes visées par des certificats de sécurité n'avaient pas suffisamment accès à la preuve contre elles et que cela constituait une violation de leurs droits fondamentaux.

>>> Pour lire le jugement

D'après la juge en chef Beverley McLachlin, pour respecter la Charte canadienne des droits et libertés, «il faut soit communiquer les renseignements nécessaires à la personne visée, soit trouver une autre façon de l'informer pour l'essentiel. Ni l'un ni l'autre n'a été fait en l'espèce».

La Cour considère par ailleurs que les juges ne disposent pas des informations nécessaires pour rendre des décisions équitables quand ils sont appelés à décider du caractère raisonnable des certificats.

De l'avis des magistrats, le Canada pourrait trouver une meilleure manière d'assurer sa sécurité tout en respectant les droits de la personne sur son territoire. La Cour laisse toutefois au parlement le soin de décider de la méthode à privilégier.

«C'est au législateur qu'il appartient de déterminer précisément quels correctifs doivent être apportés, mais il est évident qu'il doit faire davantage pour satisfaire aux exigences d'une société libre et démocratique», peut-on lire dans le jugement de 77 pages.

Fait à noter: la Cour a jugé que la détention prolongée de personnes soupçonnées de terrorisme ne constituait pas un châtiment cruel et inusité à condition qu'elle soit réexaminée périodiquement par un juge.

Réactions

La constitutionnalité des certificats de sécurité a été questionnée en cour par le Montréalais d'origine marocaine Adil Charkaoui, ainsi que par l'Algérien Mohammed Harkat et le Syrien Hassan Almrei, tous trois considérés comme des suspects terroristes.

Aucun des trois hommes n'était présent à la Cour suprême vendredi. MM. Charkaoui et Harkat sont en liberté surveillée tandis que M. Almrei est toujours incarcéré à Kingston, en Ontario.

Me Johanne Doyon, qui représentait Adil Charkaoui, a décrit le jugement de vendredi comme «une victoire presque totale». «Ce ne sont pas tous nos points de droits qui ont été acceptés par la Cour mais c'est correct, a-t-elle confié. Le principal, c'est celui que la Cour a retenu, celui de l'équité.»

La femme de Mohammed Harkat, Sophie, a confié que la décision allait au-delà de ses espérances. «C'est la meilleure décision qu'on pouvait imaginer, a-t-elle déclaré aux journalistes. Je ne m'attendais pas à ce que la loi soit déclarée inconstitutionnelle.»

Le jugement n'entraînera cependant pas de changements immédiats dans la vie de son mari ni dans celles des cinq autres hommes visés par des certificats de sécurité au pays.

Ainsi, ceux qui sont détenus le demeureront, tandis que ceux qui ont été libérés devront continuer à respecter leurs conditions. Tous ont cependant la certitude que les certificats émis contre eux seront annulés dans un an.

Si le gouvernement souhaite limiter leur liberté à nouveau, il devra le faire en usant un nouveau processus.

En théorie, MM. Charkaoui, Harkat et Almrei pourraient être expulsés du pays d'ici là. Mais d'après leurs avocats, un tel geste de la part du gouvernement serait renversant, compte tenu de la décision de la Cour suprême.

Le ministre de la Sécurité publique Stockwell Day a assuré que le gouvernement étudierait la décision et qu'il y répondrait avec «célérité et détermination». Il a ajouté dans un communiqué que le gouvernement demeurait «inébranlable dans sa volonté de protéger la sécurité nationale».

Pour sa part, l'opposition a indiqué qu'elle avait l'intention de faire pression sur le gouvernement pour qu'il agisse plus rapidement que ce que demande la Cour suprême.

Le Bloc québécois et les libéraux parlent principalement de trouver des solutions acceptables, telles que la désignation d'avocats spéciaux ou la tenue d'audiences exceptionnelles.

De son côté, le Nouveau parti démocratique va même jusqu'à demander l'annulation des certificats de sécurité parce qu'il juge que le Code criminel contient déjà toutes les mesures nécessaires à la lutte contre le terrorisme.

Aller plus loin :

- Un seul jugement, plusieurs enjeux
- Les certificats de sécurité inconstitutionnels

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