L'immigration des travailleurs polonais, un pari gagnant pour l'économie irlandaise
LE MONDE | 23.05.07
eureux comme un Polonais en Irlande ! C'est un slogan qui ne choquerait pas Marcin, 26 ans, serveur dans un grand hôtel de Dublin. Arrivé de Cracovie il y a deux mois, embauché sur-le-champ, il trouve la ville à son goût. Sa fiancée, qui l'accompagne, travaille dans un casino. Malgré la vie chère, le couple épargne chaque mois, en vue, le jour venu, du retour au pays, mariage compris. Grâce à leur futur pécule, Marcin espère alors ouvrir un bar ou un restaurant.
Ce jeune homme fait partie des quelque 30 % d'immigrants polonais qui n'envisagent pas de s'éterniser en Irlande. Un sur deux, en revanche, souhaite rester dans l'île quelques années, voire s'y enraciner. L'Irlande, qui vote jeudi 24 avril pour le renouvellement de son parlement, est le seul pays, avec la Suède et le Royaume-Uni, à avoir ouvert librement son marché du travail aux ressortissants des dix nouveaux pays membres de l'UE dès l'élargissement de 2004. Depuis, 330 000 Polonais sont venus travailler ici, attirés par le plein-emploi. Il en reste officiellement autour de 100 000, dûment enregistrés. En réalité, ils sont nettement plus.
Selon les chiffres de la FAS, le service gouvernemental de l'emploi, la main-d'oeuvre étrangère représente 11 % de la population active, dont près de 5 % sont Polonais. D'après une enquête éclair, conduite en 2006 en une seule journée dans l'ensemble des agences de la FAS, les demandeurs d'emploi représentaient 94 nationalités différentes.
Sur cette terre d'émigration séculaire, où le phénomène contraire était inconnu jusqu'au renversement de tendance des années 1990, fruit d'un essor économique aussi étincelant que soudain, les Polonais, "migrants modèles", blancs et catholiques, sont les bienvenus et s'intègrent parfaitement. Ils n'étaient pas visés par l'unique manifestation d'inquiétude survenue depuis 2004 à propos des travailleurs de l'Est. En décembre 2005, les syndicats, le gouvernement et l'opinion s'étaient mobilisés face au projet de remplacer les employés d'Irish Ferries par des équipages lettons sous-payés. La grève se transforma en une protestation contre le sort réservé aux malheureux marins baltes.
Un immigrant polonais sur deux est un travailleur manuel, notamment dans l'agriculture, l'industrie alimentaire et la construction. Beaucoup ont trouvé un emploi dans les services : hôtellerie, restauration ou commerce de détail. Certains, déjà très bien formés dans leur pays d'origine, sont ingénieurs, architectes ou informaticiens. La plupart gagnent entre 1 000 et 2 000 euros net par mois, soit entre cinq et dix fois plus que chez eux.
La maîtrise de l'anglais est un atout essentiel, qui permet aux Polonais, à travail égal, de gagner presque autant que les Irlandais. "Nous mettons l'accent sur l'apprentissage ou la mise à niveau linguistique", souligne Roger Fox, l'un des directeurs de la FAS. En attendant, le pays d'accueil s'efforce aussi de s'adapter. Les ministères, les banques, voire la police, donnent des cours de polonais à leurs employés ou embauchent des agents bilingues.
L'immigration polonaise a stimulé certains secteurs d'activité. La demande immobilière s'est accrue. Les compagnies aériennes à bas coût prospèrent. Ryanair assure, à elle seule, des liaisons avec neuf villes de Pologne. Les importations de produits alimentaires venus de Pologne ont augmenté. Les banques, les assurances et les entreprises de télécommunications ont trouvé de nouveaux clients, et les églises, de nouveaux fidèles. Les médias ont de nouveaux lecteurs. Des sites Internet ont fleuri, ainsi que les journaux édités en polonais.
Dans ce jeu sans perdants, chacun trouve son compte. Les Polonais rapatrient chaque année dans leur pays quelque 70 millions d'euros. Pour l'Irlande, en plein boom, les Polonais sont une chance, le flux des migrants satisfaisant à peu près la demande de main-d'oeuvre. Sans eux, l'économie aurait sans doute perdu plusieurs points de croissance.
Le recours à l'immigration de masse est l'une des réponses du gouvernement à l'érosion récente de la productivité. Puiser dans un vivier de main-d'oeuvre sensiblement moins payée que les salariés irlandais donne de l'air aux entreprises. Reste à savoir combien de temps tout cela durera. La réponse dépend plus du rythme des progrès de l'économie polonaise que du marché du travail irlandais, encore promis à un bel avenir.
Jean-Pierre Langellier
Source : Le Monde, Article paru dans l'édition du 24.05.07
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire