vendredi, avril 15, 2005

Mémoires et migrations

La passion du passé, le goût du souvenir, le souci des patrimoines sont des traits d'époque et la quête de mémoire une activité très prisée. David Lepoutre, enseignant de sociologie à l'université d'Amiens et auteur d'un excellent livre sur la culture des jeunes de banlieue (1), reconnaît avoir cédé à cet engouement quand il était professeur d'histoire-géographie dans un collège de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis. Là, en 1997, il a organisé avec deux autres collègues un atelier d'écriture et de recherche documentaire sur la mémoire familiale, dans une classe de troisième.

C'était une « classe-monde », les familles des adolescents venaient d'un peu partout, d'Afrique noire, du Maghreb, du Sud-Est asiatique, de l'Océan indien ou du Cantal français. Une belle mosaïque de mémoires en perspective : lancée dans l'enthousiasme, l'expérience avait une double visée ethnographique et pédagogique. Elle devait être couronnée par une exposition, célébrant la diversité des cultures après avoir contribué à l'épanouissement des enfants.

Il fallut déchanter, amender le projet, renoncer à cette conception exclusivement patrimoniale de la mémoire familiale, avec sa continuité, ses lieux et ses aïeux, qui correspond à un modèle social abusivement généralisé. Car, pour les élèves de ce collège de ZEP (zone d'éducation prioritaire), en majorité français et enfants d'immigrés, diverses ruptures sociales et culturelles compliquent l'accès au passé. Beaucoup ne connaissent pas le lieu où habitaient leurs grands-parents, ils ont eux-mêmes fréquemment changé de logement, quant aux maisons construites par certaines familles au pays, elles font partie du présent, non de l'histoire ancienne. A cet effacement des traces résidentielles s'ajoute une profondeur de la connaissance généalogique très variable, due notamment à la mortalité précoce des grands-parents ou à l'existence de familles monoparentales. En outre, le souvenir de la migration, parce qu'il est socialement dévalorisé, illégitime ou douloureux, est souvent tu par les parents et les adolescents ne sont guère enclins à rompre ce silence.

INTÉRACTIONS DU QUOTIDIEN

Ils ne sont pas pour autant sans histoire et sans repères. Car les transmissions intergénérationnelles passent aussi par les interactions du quotidien, les canaux de l'éducation ordinaire ou ces montages de mémoire « à rebours » et par l'image, à l'initiative des jeunes amateurs de photos et de vidéo. Outre leurs témoignages écrits et les entretiens informels qu'ils ont eu avec David Lepoutre au restaurant Quick du coin, ils ont d'ailleurs apporté des photographies à leurs professeurs. Gardant les strates de l'expérience pédagogique dont il est issu et les étapes de la réflexion sociologique qu'elle a suscitée, le livre réunit les textes des élèves, les documents qu'ils ont choisis et les analyses de David Lepoutre. Il est ainsi feuilleté comme la mémoire.

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