Immigration: leçons d'Amérique, par un "exilé" français
Par Antoine Lesuffleur (chercheur) 23H51 27/09/2007
"J’ai suivi depuis les Etats-Unis le débat de "Ripostes" sur France 5 dimanche dernier. Je suis un chercheur français expatrié aux Etats-Unis car mon épouse, également chercheur, a eu le plus grand mal à s’intégrer en France après notre mariage. Elle était de nationalité ukrainienne. Nous nous sommes rencontrés dans un laboratoire en Suisse où nous travaillions tous les deux. Nous sommes donc bien loin du mariage de complaisance car mon épouse n’avait en rien besoin de se marier avec moi pour pouvoir émigrer à la vue de ses compétences professionnelles.
Nous avons souffert au niveau des démarches administratives (carte de séjour avec autorisation de travailler, carte de résident puis nationalité française). Parallèlement et suite à ce parcours du combattant mon épouse a recherché intensivement un emploi en France sans pouvoir jamais en obtenir un. Elle maîtrisait parfaitement la langue française six mois après son arrivée sur le territoire français.
Il nous est même arrivé des épisodes incroyables où on lui demandait plus de papiers qu’à moi pour obtenir une carte d’identité ou pour tout simplement s’inscrire sur les listes électorales ! J’ai personnellement été choqué par cette situation. Face à l’évidence, nous avons du prendre la décision déchirante (et j’insiste sur ce qualificatif) de nous expatrier pour que mon épouse puisse poursuivre sa carrière de chercheur.
De droite mais choqué par le débat sur l'immigration
Je me permets de vous écrire pour vous faire partager mon expérience personnelle qui est loin d’être singulière. Je vous écris aussi car je suis désespéré de voir combien le débat sur l’immigration est malsain en France. Pour être honnête avec vous, je suis plutôt de droite bien que modéré dans mes opinions politiques. Mais cette nouvelle loi sur "la maitrise de l’immigration" me choque profondément et je me suis retrouvé dans bon nombre de vos propos.
Contrairement à beaucoup de français qui parlent d’immigration, je suis passé par le système d’immigration français au travers du cas de mon épouse que j’ai géré personnellement. Je suis également aujourd’hui un immigrant aux Etats-Unis et je l’ai également été au Canada. Je suis d’accord avec le fait qu’il faille maitriser l’immigration à un certain point. A mon avis cela signifie le contrôle des flux mais aussi l’attractivité auprès des immigrants que nous désirons faire venir ainsi que le respect du droit des citoyens français qui se marient avec une personne de nationalité étrangère.
Or d’après mon expérience, il me semble que les compétences professionnelles ne sont jamais prises en compte et tout le monde est au même guichet si je peux me permettre cette formulation. De plus, je me suis senti comme un français différent car j’avais épousé une étrangère, comme si cela était une faute.
France-Etats-Unis, une comparaison défavorable
Je souhaiterais vous faire part d’une comparaison que je peux faire tous les jours entre les systèmes américain et français. Certains prétendent que les pressions migratoires en France et aux Etats-Unis sont différentes mais je ne suis pas de cet avis. La pression migratoire à la frontière mexicaine est très forte et il y a de nombreux immigrants illégaux aux Etats-Unis. Néanmoins, à travers mon expérience, j’ai constaté une très nette différence entre le système américain et le système français.
Nous sommes arrivés aux Etats-Unis avec une offre d’emploi à mon nom pour effectuer des travaux de recherches dans le domaine des nanotechnologies appliquées au biomédicale et mon épouse est donc entrée aux Etats-Unis avec un visa en tant que dépendante de travailleur temporaire. Elle fut à peu prés dans la même situation que lors de son arrivée en France à ceci près que mon statut en France était évidemment celui de citoyen français. Et c’est la que l’efficacité et le pragmatisme américains font toute la différence.
Tout d’abord pour l’obtention du visa, le consulat américain nous a posé quelques questions et nous a envoyé notre visa quelques jours après. En Ukraine, nous avons du relancé plusieurs fois pour obtenir le visa de mon épouse. Je suis resté plus de trois mois en Ukraine pour pouvoir faire les démarches administratives avant et après notre mariage.
Une fois sur le territoire américain, mon épouse a fait une demande d’autorisation de travail qu’elle a obtenu en 6 semaines. Au contraire, à son arrivée en France, mon épouse avait demandé une carte de sejour et une autorisation de travail qu’elle avait obtenues après six mois et suite à des relances multiples de ma part car manifestement, notre dossier avait été laissé au point mort. Certes, on lui a délivré un récépissé qu’il a fallu renouveler à cause des délais de délivrance pour la carte de séjour. Mais chercher un travail avec un récépissé valable quelques mois, cela ne fonctionne pas beaucoup dans notre profession.
Une fois que mon épouse a obtenu son autorisation de travailler aux Etats-Unis, elle a trouvé un travail de chercheur dans le département R&D d’une très grande entreprise américaine et cela après moins d’un mois de recherche d’emploi. En France, elle a intensivement cherché pendant deux ans sans résultat.
Une différence de mentalité
Je pense qu’il y a deux éléments qui font une très grande différence entre les Etats-Unis et la France à ce sujet. La première est l’organisation de l’immigration. Aux Etats-Unis, les officiers vont considérer l’apport de l’immigrant à l’économie nationale. Les démarches sont plus simples de mon point de vue et surtout, il y a beaucoup plus de visibilité sur l’état réel de notre demande.
La seconde concerne la mentalité. Une fois entrés aux Etats-Unis, nous avons été considérés et valorisés pour ce que nous sommes. Etre des immigrants ne constitue en aucun cas un désavantage dans notre vie professionnelle et quotidienne. Mon épouse et moi-même avons également travaillé au Canada pendant une année. A travers ces expériences de "chercheur immigrant", j'ai compris une chose.
La France souhaite attirer des travailleurs qualifiés mais elle ne sera pas attractive. Toutes ces politiques d'immigration sont très vite connues de tous les immigrants. Des immigrants comme moi et mon épouse ne s’intéressent pas en premier lieu à la gastronomie raffinée, aux musées mais à l'accueil qui nous recevons de la part des autorités du pays où nous immigrons, des possibilités qui nous serons offertes et de la façon dont nous serons traités. Or dans ces domaines, la France ne fait pas envie et j'ai pu le constater à travers de nombreux échanges que j'ai eu avec des étudiants et chercheurs chinois, indiens, coréens et de plusieurs autres parties du monde.
Arrogance française et méconnaissance
Cela fait partie a mon sens de l'arrogance française que de prétendre que les travailleurs qualifiés voudront tout de même venir en masse en France malgré les conditions dégradées que la France leur offre par rapport à l'Amérique du Nord, l'Australie ou certains pays d'Europe autant au niveau des salaires, de l'avenir de leurs enfants que de la simplicité et de la visibilité des procédures administratives.
Mais finalement, quand j'ai entendu certaines aberrations sur le plateau de Ripostes comme par exemple l'amalgame entre la population noire américaine et la population immigrée aux Etats-Unis, j'ai bien vite compris que la pluparts des français qui parlent d'immigration n'y connaissent rien et n'ont aucune expérience personnelle à ce sujet. L'immigrant américain a pour finalité de devenir un citoyen américain et je n'ai pas non plus compris la comparaison avec le système britannique.
Finalement vous avez la lourde tache d'élever le niveau de connaissance des français à ce sujet et je mesure combien votre travail est difficile. Pour ma part, l'immigration est devenue un de mes sujets favoris au travers du cas de mon épouse que j'ai trouve aberrant et de mes expériences d'immigrant. La comparaison des systèmes d'immigration me fascine et je suis stupéfait de la naïveté française à ce sujet.
Dans ma profession, l'échange culturel est très important car il nous oblige à penser différemment, à prendre les problèmes sous des angles inédits. Mes compétences et ma créativité scientifiques se sont approfondies au contact d'étudiants ou de chercheurs indiens, chinois, américains canadiens, coréens, nigérians...Cette richesse provenant du contact avec des personnes d'origines et d'horizons différents, je souhaite la faire partager autour de moi.
Mais je suis en colère à propos de la teneur du débat en France car je pense que les pays qui sauront le mieux composer et harmoniser l'immigration seront les champions de demain. J'ai beaucoup apprécie la lecture du livre du professeur Richard Florida "The flight of the creative class" qui évoque aussi tous ces sujets.
Enfin, je voudrais terminer cette lettre par une anecdote assez révélatrice. Quand mon épouse a passé son entretien d’embauche ici aux Etats-Unis, les recruteurs lui ont demandé pourquoi elle était restée sans travailler pendant deux années. Elle leur a alors raconté ses diverses démarches sans succès en France. Ils ont eu d’abord du mal à la croire et face à l’évidence et ils ont dit être surpris par ce mode de fonctionnement.
Pour nous, cela a été d’un profond réconfort car nous avons alors compris que nos déboires ne venaient pas de nous mais du système français. Excusez-moi d'avoir pris quelques minutes de votre temps mais je tenais tout d'abord à vous dire que des personnes comme vous ont a mon avis un travail très important et très difficile sur ce sujet. Je voulais aussi vous dire combien c'est rassurant d'entendre les propos d'un expert du sujet à propos de l'immigration dans un débat télévisé.
Je rêve d'un jour où la France comprendra les problématiques liées à l'immigration et ne traitera plus ce sujet de cette façon. J’aime certainement le pays qui m’a vu naître, la France mais je suis touché et j’apprends tous les jours à aimer un peu plus, un pays, les Etats-Unis d’Amérique, qui me donne une chance de pouvoir construire un avenir avec mon épouse et une famille. Nous ne parviendrons peut-être pas à rester aux Etats-Unis mais nous leur sommes reconnaissants de nous donner une chance réelle. Sur ce point, je pense que les Nord-Américains ont compris plus de choses que les Français."
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