mardi, septembre 25, 2007

USA : Les immigrants qualifiés marchent sur Washington

Les immigrants qualifiés marchent sur Washington
25/09/2007 - Moira Herbst - © BusinessWeek

Les avocats d’immigrants multiplient les demandes de cartes vertes, les entreprises technologiques souhaitent davantage de visas de travail. Les travailleurs immigrés manifestent dans la rue. Le débat ne fait que commencer.
Frustrés par l’immobilité de la réforme fédérale sur l’immigration, des milliers d’immigrés hautement qualifiés ont, le 18 septembre, défilé vers la capitale des Etats-Unis pour demander un changement radical de la manière dont ils sont traités par le pays. Les protestataires - des ingénieurs, développeurs de logiciels, programmeurs informatiques et autres - revendiquent un doublement du nombre de cartes vertes qui leurs sont attribuées chaque année, afin de pouvoir rester de manière permanente dans le pays.

Ils affirment que la liste d’attente pour les cartes vertes, qui peut atteindre cinq ans ou plus, nuit aux carrières et met des vies en suspens.
Les manifestations marquent un changement notable de stratégie. Début 2007, des groupes représentant des immigrants qualifiés et non qualifiés ont travaillé côte à côte dans le but de faire passer une réforme au Congrès. Aujourd’hui, les travailleurs qualifiés se détachent de l’ensemble en espérant ainsi se tenir à l’écart de la controverse sur le problème des 12 millions de travailleurs peu ou non qualifiés qui séjournent déjà illégalement dans le pays.
"Nous souhaitons donner une impulsion à la prise de conscience de ces problèmes et montrer qu’il est urgent qu’ils soient résolus", déclare Aman Kapoor, fondateur d’Immigration Voice, un groupe d’avocats, fer de lance du ralliement. "Avec des centaines de milliers de travailleurs dans l’attente, on assiste à un immense gaspillage de talents."

Que Kapoor et les autres pétitionnaires puissent faire progresser les choses, cela reste incertain. L’immigration est devenue un problème "radioactif" à Washington. Même si le président George W. Bush et un groupe bipartisan de sénateurs ont, cet été, soutenu de tout leurs poids la mise en place d’une réforme de l’immigration, l’effort est parti en fumée quand des groupes anti-immigrants ont exercé de fortes pressions sur certains hommes politiques du pays. Depuis, l’administration a adopté une attitude ferme face à l’immigration illégale, autorisant des raids sur les lieux de travail et mettant en place une répression programmée des employeurs qui engagent des travailleurs avec de faux numéros de Sécurité sociale.

Montée en puissance

Cependant, le groupe de Kapoor ne doit pas être sous-estimé. Immigration Voice est rapidement passée d’une petite communauté Internet, créée pour que les travailleurs qualifiés partagent idées et expériences, à une force politique bien organisée. Durant l’été, le groupe a programmé une série d’événements à l’image des protestations non violentes du Mahatma Gandhi, et a obtenu le changement d’une décision majeure sur le gel des visas prise par le Département d’Etat des Etats-Unis. Aujourd’hui, Kapoor et des membres haut placés sont en contact régulier avec les élus et les dirigeants d’agences gouvernementales comme le Homeland Security Department.

Immigration Voice, majoritairement indien, a organisé conjointement avec la Legal Immigrant Association le rassemblement du 18 septembre. La LLA, fondée au début de l’année, est un groupe de professionnels chinois détenteurs de diplômes américains de haut niveau. "Le marathon pour la carte verte épuise l’énergie et la créativité de personnes talentueuses", déclare Ming Jiang, un membre important de LLA. "Nous souhaitons changer nos vies, et nous le faisons à la manière américaine, à travers ce rassemblement."

Immigration Voice reçoit aussi le soutien d’entreprises technologiques majeures. Avant cette marche de rassemblement, une coalition de sociétés technologiques appelée Compete America s’est associée au représentant Joseph Crowley (démocrate, New York) et au représentant John Shadegg (républicain, Arizona) pour exposer leurs objectifs. Compete America, composé d’Oracle (ORCL), Google (GOOG), Microsoft (MSFT) et Intel (INTC), fera écho à l’appel d’Immigration Voice visant à mettre fin au retard des demandes de cartes vertes. "Nous avons besoin d’une politique d’immigration qui s’adapte à l’économie changeante et qui n’aide pas seulement à remplir des postes, mais qui accueille des innovateurs créant de l’emploi", déclare Robert Hoffman, porte-parole d’Oracle et coprésident de Compete America.

Augmenter le plafond

Kapoor déclare qu’aux Etats-Unis, la situation pour les immigrants qualifiés devient insoutenable, et qu’un changement spectaculaire est nécessaire. Des dizaines de milliers de travailleurs migrants entrent dans le pays chaque année avec des visas de travail temporaires, et nombreux sont ceux qui déposent une demande de carte verte. Mais la réglementation gouvernementale limite le nombre de personnes issues d’un pays étranger susceptibles d’être admises aux Etats-Unis à 9 800. Le résultat est que, pour des pays ayant une forte population comme l’Inde et la Chine, l’attente pour la résidence permanente aux Etats-Unis peut se prolonger jusqu’à huit ans. Pour aider à réduire l’attente, Immigration Voice demande au Congrès de faire passer le plafond annuel de cartes vertes de 140 000 à 300 000. Ils souhaitent aussi rendre disponibles 218 000 cartes vertes que le gouvernement n’a pas émises de 2001 à ce jour.

Cependant, l’objectif des travailleurs qualifiés et celui des entreprises technologiques ne convergent pas toujours. Le point majeur de divergence est que Compete America et Immigration Voice préconisent une augmentation du nombre de cartes vertes, tandis les compagnies technologiques demandent aussi au Congrès plus de visas temporaires de travail, connus sous le nom H-1B. Le programme du visa H-1B a été fortement critiqué, car il bloque les travailleurs immigrants dans les mêmes emplois le temps qu’ils obtiennent une autorisation de résidence permanente, et qu’il permet ainsi aux employeurs d’engager des travailleurs bon marché venus de l’étranger.

Certains experts estiment que la pression des sociétés pour un nombre plus élevé de visas pourrait occulter l’appel plus spécifique d’Immigration Voice sur le nombre de cartes vertes. "Le problème fondamental, avec ce débat politique, est que Compete America a essayé d’estomper les distinctions entre les H-1B et les cartes vertes", déclare Ron Hira, professeur en politique publique à l’Institut de technologie de Rochester. "Mais ces visas et les cartes vertes, ainsi que les questions politiques qui y sont liées, sont des problèmes très différents."

Trouver la bonne formule

Plusieurs élus importants ont fait part de leur soutien aux objectifs d’Immigration Voice. La représentante Zoe Lofgren (démocrate, Californie), présidente du sous-comité pour l’immigration à la Chambre, déclare que même si elle comprend que les visas H-1B ont un rôle, délivrer plus de cartes vertes est une meilleure solution. "Une dépendance excessive aux visas conduit certains travailleurs à être bloqués à leurs postes et à être sous-payés", déclare Lofgren, dont le district comprend la Silicon Valley. "Il y a certainement une meilleure manière de faire cela. Nous devons nous demander pourquoi nous faisons attendre des personnes auxquelles nous reconnaissons des capacités exceptionnelles."

Lofgren et ses collègues du Congrès travaillent sur une réforme de la législation. Ils doivent décider si la réponse adéquate est d’augmenter le nombre de cartes vertes, celui des visas ou une sorte de combinaison des deux. Mais ils travailleront sous la pression de groupes qui s’opposent à l’augmentation de l’immigration, incluant le Computer Programmers Guild, qui représente des travailleurs techniques natifs des Etats-Unis.

Même si la réforme en faveur des travailleurs qualifiés semble être une mesure législative de bon sens, un long et difficile débat sur une méthode correcte ne fait que commencer. "Nous cherchons un consensus politique pour avancer", déclare Lofgren. "Mais rien n’est jamais facile, même si cela donne l’impression du contraire."

Herbst est reporter chez BusinessWeek.com à New York.

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