Source : Marianne, Mercredi 23 Janvier 2008
Philippe Cohen
Le directeur de la police générale de la préfecture de police de Paris n'était pas du clan. Il a osé dire la vérité sur la politique d'immigration. Son éviction lui a été signifiée par téléphone...
Yannick Blanc, le directeur de la police générale de la Préfecture de police de Paris (DPGPP), a appris à la fin de la semaine dernière qu'un décret présidentiel mettait fin brutalement à ses fonctions, dans des conditions inédites pour un haut fonctionnaire de son rang. Yannick Blanc paye, avec retard, un crime de lèse-Sarkozy qui date de l'été 2006 : alors que le ministère avait évoqué quelques centaines de régularisations, son interview, mise à la une du Monde , en prévoyait des milliers. Une déclaration qui avait provoqué la colère de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur. Dix-huit mois plus tard, ceux qui le servent, et en premier lieu Michel Gaudin, le préfet de police de Paris, ont jugé que l'heure de la vengeance du Maître avait sonné. Yannick Blanc sera donc affecté à l'Inspection générale de l'administration, une sorte de goulag administratif pour hauts fonctionnaires non sarkozystes. Entre juillet 2006 et aujourd'hui, il y a eu dix-huit mois de coups tordus pour parvenir à une éviction qui finit d'homogénéiser la hiérarchie de la police. Désormais, celle-ci est totalement acquise au nouveau régime.
Les préfets appelés à faire du chiffre
Tout a donc commencé par une polémique sur les chiffres, ce « signifiant-maître », comme diraient les lacaniens, de la politique sarkozyste : le directeur général de la Préfecture de Paris avait dit tout haut ce que chacun sait dans l'administration, à savoir que la rhétorique volontariste sur les reconduites aux frontières se heurte à la fois à la législation européenne, qui permet et favorise la circulation des étrangers, et aux passe-droits (4000 par an à Paris tout de même) des gouvernants, qui servent aussi à contenir la contestation des associations sans-papiéristes et à complaire aux demandes des politiques et de la jet-set qui veulent régulariser leurs domestiques. A l'été 2006, la circulaire du 13 juillet 2006 qui ouvrait aux préfectures une nouvelle latitude permettant d'instruire avec souplesse les dossiers concernant les parents étrangers d'enfants scolarisés. Au lieu de se taire, en annonçant que plusieurs milliers de régularisations allaient survenir à la suite de cette circulaire, Yannick Blanc montrait les contradictions de la politique d'immigration. Gérant, entre autres, le service des « affaires réservées », il était bien placé pour savoir que les ministres et les hommes politiques, si vindicatifs sur les reconduites aux frontières, ne sont pas les derniers à exiger des faveurs concernant leurs femmes de ménage ou pour celles de leurs amis, people ou pas.
l'immigration, un maquis législatif
Yannick Blanc n'a rien d'un « sans-papiériste ». Mais l'affichage rhétorique, aux accents plus ou moins musclés selon les périodes et les ministres, n'y change rien : la volonté de maîtriser les flux migratoires ne saurait faire oublier que l'administration use de son pouvoir discrétionnaire pour déroger au maquis législatif effrayant qu'est devenu notre droit des étrangers, soumis à un interventionnisme boulimique du législateur.
Cette frénésie n'a d'égale que la complexité du dossier de l'immigration. Il est parfaitement légitime que l'État fixe des limites aux flux migratoires pour préserver une politique d'intégration cohérente ainsi qu'un certain niveau de rémunération du travail. Il n'en reste pas moins vrai que l'action de l'État se heurte aux réalités de l'Union européenne (liberté de circulation, effacement des frontières intérieures) ainsi qu'à la structure et aux besoins des marchés du travail.
Si bien que le principal obstacle au volontarisme affiché par le gouvernement en matière d'immigration réside dans l'Etat de droit lui-même, qui permet aux étrangers en situation irrégulière de contester devant le Tribunal administratif un Arrêté préfectoral de reconduite à la frontière. Sait-on que même en centre de rétention, le Juge des libertés peut annuler l'exécution d'une mesure de reconduite et que 40% des procédures de reconduite ont été ainsi annulées en 2007 ?
Comment dès lors dépasser le simple stade de la posture volontariste ? Tel est peut-être le sens de l'inflexion donnée récemment par le législateur en autorisant au cas par cas les préfectures et les directions départementales (DDTE) à régulariser une immigration dite de travail afin de répondre à des besoins segmentés (une liste des métiers ouverts à cette régularisation est annexée à la loi). La remise du rapport Attali risque d'ailleurs de relancer ce débat et de provoquer une certaine gêne dans les rangs de la majorité.
Une micro-bulle médiatique
En réalité, le ministère n'avait aucune charge professionnelle réelle contre le travail du directeur général. Il restait les coups tordus. Yannick Blanc ne payait donc rien pour attendre. Il allait être mouillé à l'instruction d'une affaire crapuleuse de façon à faciliter son éviction.
A la suite d'une instruction judiciaire, plusieurs agents du service des affaires réservées (celui-la même qui gère la partie dérogatoire de l'activité de la Préfecture de Police en matière de droit des étrangers) allaient être placés en garde à vue et certains mis en examen. Présomption de trafic de titres de séjour, présomption de corruption ont alimenté ainsi une micro-bulle médiatique aboutissant à égratigner Blanc, puisque, innovation suprême à la Préfecture de Police, il fut entendu lui-même et placé pendant 48 heures en garde à vue dans les locaux de l'Inspection Générale des Services, sans qu'aucune poursuite judiciaire ne soit finalement lancée contre lui par le magistrat instructeur.
Mais, comme Marianne l'avait écrit à l'époque (« Comment la jet-set régularise ses femmes de ménage »), débarquer Blanc eût été impensable en 2006 : la Préfecture de Police était à l'époque tenue par Pierre Mutz, qui avait été choisi par Jacques Chirac pour faire échec à la nomination de Claude Guéant, alors directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, qui guignait le poste. Le résultat de cette nomination est connue : elle aboutit à faire de Claude Guéant, grand préfet de la République éconduit, haut fonctionnaire loyal, un personnage central du dispositif de Nicolas Sarkozy.
Bruyamment médiatisée, la garde à vue de Yannick Blanc permettait de brosser un portrait de l'infortuné haut fonctionnaire, suspecté d'avoir cautionné certaines dérives, légèreté évidemment explicable par un tempérament laxiste caractérisé par une trop grande perméabilité au chantage des associations, doublée d'une mauvaise gestion interne. En tout état de cause, après 48 heures de garde à vue, la position de ce haut fonctionnaire était affaiblie, et la radio-moquette de la préfecture le jugeait déjà « inadapté au poste ». Pire, il était supposé manquer d'ardeur pour satisfaire aux exigences de Brice Hortefeux en matière de reconduite. L'arrivée de Michel Gaudin à la Préfecture de Police, héritant du cas Blanc, érigé pour l'occasion en vilain mouton noir, ne pouvait que précipiter sa deuxième mise à mort administrative. Cette fois sous la forme d'un décret présidentiel mettant sèchement fin à ses fonctions.
Un bilan 2007 calamiteux
Complot sarkozyste ? Le Président ne s'est sans doute pas directement occupé du cas Blanc. Mais on peut soupçonner le zèle, le cynisme et la brutalité des nouveaux affidés, soucieux de devancer le désir du Prince. Sur ordre du préfet Michel Gaudin, Yannick Blanc a appris sa disgrâce par un coup de fil. Au nom du fameux principe de gouvernance sakozyste : « Qui n'est pas avec moi est contre moi. » Quelques heures plus tard, il faisait ses cartons.
Blanc parti, nul doute que le chiffre va devenir l'horizon indépassable de la politique de l'immigration. Le pari de Brice Hortefeux, est, à ce niveau, risqué : alors que l'objectif de la Préfecture de police était de 3680 reconduites, seules 2800 ont été effectives en 2007, et parmi elles, un bon millier de reconduites de gitans dont on sait pas avance qu'ils reviendront au pays. Au passage, pour « aider » le préfet à « faire son chiffre », Patrick Stéphanini, secrétaire général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration, avait doublé la prime financière accordé à l'immigré quittant la France. Voilà comment on a aidé ces Roumains à «prendre quelques vacances au pays», comme on en plaisante à la préfecture, pendant que le bon peuple croit sincèrement, aidé en cela par les gesticulations des associations de défense de sans-papiers, que le gouvernement a musclé sa politique d'immigration.
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