vendredi, juin 09, 2006

Les principales caractéristiques de la loi allemande sur le contentieux des étrangers

Les principales caractéristiques de la loi allemande sur le contentieux des étrangers (AufenthaltsGesetz = AG) - Etude de Jean-Claude PRIVESSE, Premier conseiller à la Cour administrative d’appel de Paris

samedi 6 mai 2006

A première vue, la construction générale du droit des étrangers en Allemagne semble être tout à fait comparable, au moins dans son éventail de catégories de mesures, au droit français correspondant, tel qu’il résulte des dispositions reprises tout au long des modifications de l’ordonnance du 2 novembre 1945.

Bien sûr, quelques différences importantes apparaissent, comme l’absence de toute mesure régularisant un séjour irrégulier sur le territoire de plus de dix ans, et dans l’autre sens, la pérennisation du séjour, sous condition, après une durée de mariage minimum de deux ans.

Cependant, des différences sensibles et notables se font jour en ce qui concerne l’application des mesures, et surtout la philosophie même de cette application.

On pourra ainsi distinguer un moins grand recours au formalisme des décisions, gage d’efficacité, complété par des moyens plus conséquents pour administrer les situations et les juger.

Préliminaires

Avant d’aborder ces questions, une précision s’impose quant à la structure fédérale du pays, composé de 16 Länder, dont trois se confondent avec de grandes villes (Berlin, Hambourg et Brême). Mais, ce caractère fédéral n’a guère d’influence sur le droit applicable, justement de nature principalement fédéral et donc uniforme, lequel découle de la « loi sur le séjour, l’activité rémunérée et l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral », du 30 juillet 2004, (AG), applicable au 1er janvier 2005, reprenant et modifiant les dispositions de la loi antérieure de 1990.

De la même façon qu’en France, la juridiction administrative est appelée à se prononcer sur l’ensemble des contentieux relatifs aux étrangers, à l’exception évidemment du volet pénal, et conformément à la « loi sur la juridiction administrative » (LJA ou VwGO), pendant du CJA français. (Verwaltungsgerichtordnung = VwGO)

Par ailleurs, il convient également de s’entendre sur la signification des mots, recouvrant les principales catégories de situations, et qui, comme nous l’avons dit, sont similaires :
en premier lieu, la distinction entre « expulsion » et « reconduite à la frontière (RF) » existe de même en droit allemand : « Ausweisung » et « Abschiebung ». Ils recouvrent les mêmes réalités distinctes (la situation d’un étranger ayant commis un délit dans le premier cas, et l’étranger dépourvu de droit au séjour, dans le second, soit respectivement 1 § 55, 56 et 1 § 58 de la AG).

de la même façon, les Allemands font également la distinction entre détention et rétention, selon qu’il s’agit de privation de liberté à la suite d’une décision judiciaire, ou à la suite d’une décision administrative (Haft - terme générique - et Abschiebungshaft pour la reconduite notamment).

De même qu’en France, c’est au juge judiciaire que revient l’appréciation du bien-fondé de la mise en rétention (§ 62 de la AG), et de sa prolongation (d’abord 6 semaines, puis jusqu’à six mois renouvelables ensuite jusqu’à un an, soit en tout 18 mois).

Enfin, il convient de signaler que dans le domaine des étrangers, comme dans les autres domaines du droit administratif allemand, le recours préalable (Widerspruch = contredit) est obligatoire (dans le mois suivant la décision),

soit auprès de la même autorité que celle ayant délivré l’acte (pour les étrangers : l’autorité commune du Land = Landratsamt = simple bureau, mais ce peut être aussi l’administration de la commune = Stadtverwaltung),
soit auprès de l’autorité hiérarchique, c’est-à-dire le Regierungspräsidien ( équivalent du préfet), à moins que ce ne soit directement le gouvernement du Land (Landsregierung).

L’étranger devra ensuite attendre la décision sur contredit (Widerspruchsbescheid) qui devra intervenir « dans un délai raisonnable » après l’introduction du contredit (pas de délai fixé par la réglementation, mais en général la décision intervient dans un délai moyen de six semaines), et alors introduire, toujours dans le délai d’un mois, un recours auprès du TA compétent ratione loci (il y a plusieurs TA par Land, par exemple 4 dans le Bade-Würtemberg). [Pour les conditions du délai raisonnable, ou l’absence de « Widerspruchsbescheid », voir § 75 VwGO].

Il convient enfin de signaler qu’aussi bien la décision sur contredit, que l’introduction du recours auprès du TA (Anfechtungsklage) ne sont nullement suspensifs de la décision initiale. Pour obtenir un effet suspensif, le requérant devra expressément demander par référé, que la décision de refus initiale soit suspendue, le temps de son jugement par le TA ( § 80 de la LJA ou VwGO).

Enfin, pour ce qui concerne les demandes d’asile, elles relèvent (de façon similaire à la France), de « l’office fédéral pour la migration et les réfugiés ».

Un formalisme moindre

La loi française distingue d’abord l’étranger entré irrégulièrement en France ou dont le visa a expiré, n’ayant jamais demandé de titre de séjour (TS), ..... de celui qui en a demandé un.

Cette distinction n’existe pas vraiment en Allemagne, car tout étranger sans document de séjour valide, une fois pris en illégalité, est supposé être en position de demande de TS, ne serait-ce que parce qu’il peut toujours, au moins, demander l’asile (AsylVfG = AsylVerfahrenGesetz).

Le seul cas que les autorités allemandes ont alors à traiter, est celui de l’étranger à qui l’on refuse un TS, .... car par définition, celui qui en a un, n’a pas besoin d’un juge, ... a priori.

Le refus de titre de séjour peut comporter deux ou trois parties, et constitue pourrait-on dire un « package » qui se suffit à lui-même, comprenant :

le refus de TS proprement dit, avec sa motivation,
l’obligation de quitter le territoire allemand (OQTA), qui a un effet exécutoire, dans le délai d’un mois, (le délai pour partir est fixé par l’autorité et peut aller jusqu’à six mois),
et dans la plupart des cas, sans que cela soit obligatoire, « l’avertissement de reconduite à la frontière » (Abschiebungsandrohung = AA), qui constitue l’exécution forcée de l’OQTA.

Le refus de TS et l’OQTA sont toujours présents dans la décision.

L’avertissement de RF est rajouté dans le cas, assez général, où l’autorité dispose d’indices non négligeables selon lesquels le départ volontaire de l’intéressé (e) n’aura pas lieu, ou lorsqu’il y a nécessité de surveiller son départ (sécurité publique). Conséquence de l’OQTA, le délai de contestation de l’AA est le même, soit un mois.

Il faut alors comprendre qu’à la suite de cette seule décision, constituée donc généralement de trois parties et qui, comme nous l’avons dit, se suffit à elle-même, aucune autre décision n’a à intervenir, soit pour la modifier, soit pour la compléter.

Là se situe une importante différence avec le droit français. D’une façon concrète, cette différence est à l’image même de celle qui existe sur les autoroutes ! Prenons le cas allemand : avant la sortie d’autoroute, un panneau indicateur mentionnera les directions que l’on peut prendre à la prochaine sortie ; il faut être extrêmement attentif à ces indications qui ne se renouvelleront pas ensuite, c’est-à-dire comme en France, tout près de la sortie elle-même ... Pas de seconde chance donc !

Or, dans la configuration française légale actuelle, l’étranger pris en situation d’illégalité, se verra dans un premier temps notifier un refus de séjour, puis quelque temps plus tard, une RF indépendante, fondée sur le refus, et lui précisant ... « la direction de la sortie » (avec le pays de destination), au cas où il n’aurait pas compris la signification du refus de séjour.

On voit bien dès lors, que la réunion des trois volets (généralement) en une seule décision, correspond à un formalisme moindre : si l’étranger n’a pas attaqué la décision de refus de TS comprenant également l’OQTA et la RF, dans le délai d’un mois, en introduisant un « contredit », puis une requête auprès du TA, il ne pourra plus, par la suite, contester cette décision, devenue définitive. Une seule indication, pas davantage.

Ce type de procédure répond ainsi à une exigence d’efficacité, non seulement pour l’administration elle-même, qui peut à tout moment (sous réserve de l’effet suspensif demandé ou pas) mettre à exécution la RF, sans le formalisme supplémentaire français de l’APRF (arrêté préfectoral de reconduite à la frontière), mais également pour le juge, qui se prononcera, le cas échéant, sur une seule décision, et dans des conditions bien différentes de la « version française ».

Dans la même veine d’un formalisme moindre et d’une efficacité plus grande, il nous faut également aborder la question de l’effet d’une RF.

La reconduite à la frontière du territoire allemand n’est pas aussi « anodine » qu’en France, car elle comporte notamment comme conséquence une véritable interdiction du territoire (Aufenhaltsverbot).

Cela résulte en effet clairement de l’article § 11 AG (qui vise également l’expulsion).

Ainsi et de la même façon qu’une OQTA accompagne un refus de séjour, une reconduite à la frontière emporte automatiquement interdiction, a priori illimitée, du territoire allemand (ITA)

Le juge peut limiter cette interdiction, si toutefois l’intéressé le lui demande (par exemple pour trois ans). Il peut ainsi prononcer une « injonction » (Verpflichtungsklage) envers l’administration (l’autorité concernée) de « procéder à l’action réclamée », en l’occurrence de limiter l’interdiction. (Voir LJA § 113 5°). Toutefois, le juge donnera à l’autorité des instructions pour déterminer cette limitation, mais ne fixera pas précisément celle-ci. L’injonction a ses limites...

Cette description de la question de la RF tranche quelque peu avec la situation française, où par exemple la RF n’a aucun effet dans le cas où elle n’est pas exécutée (par ex CE nº 260 349 M. Idali). Lorsqu’en France, la reconduite est exécutée, elle n’emporte pas pour autant ITF, et n’a d’effet finalement qu’en ce qui concerne l’attribution d’un titre de séjour (CE nº 206 739 M. Ghoraf). En conclusion, si l’on rapproche cette mesure générale d’ITA avec la circonstance que les étrangers n’ayant pas un visa d’entrée d’au moins 30 jours (et bien plus souvent d’au moins 3 mois) n’ont aucun espoir de se voir délivrer un TS ... (voir AG § 5 alinéa 2 surtout, pour les visas § 6), a fortiori ceux entrés irrégulièrement, on en déduit ainsi que le cadre juridique allemand est clairement annoncé dans sa cohérence et ses effets, .... même si ses contours restent volontairement imprécis, dans certaines limites, de façon à laisser le juge agir avec sa pleine appréciation.

Après avoir constaté la volonté d’efficacité de la loi allemande en matière d’accès au territoire, et de refoulement (RF ou expulsion), voyons maintenant ce qu’il en est des moyens mis en oeuvre pour administrer et juger les situations des étrangers présents sur le territoire.

Des moyens plus conséquents pour l’administration et les juges

S’agissant tout d’abord de l’administration, c’est-à-dire des différentes autorités fédérées (Landsbehörden), leur travail d’interpellation et de refoulement des étrangers est simplifié, et rendu plus efficace.

Tout d’abord, les règles sont claires : comme nous l’avons dit, un étranger entré clandestinement sur le territoire ne peut obtenir un titre de séjour (sauf bien sûr l’asile, qui est généralement demandé dans ce cas). Il y ensuite la règle des six mois s’appliquant aux étrangers présents sur le territoire depuis moins de 6 mois, et qui ne peuvent en outre obtenir de décision de statu quo (sursis à exécution = VwGO § 80).

Ensuite, les moyens destinés à lutter contre l’immigration clandestine sont tels que la police peut éviter de remettre volontairement en liberté des étrangers reconductibles ou expulsables en raison d’un manque de place dans les sites de rétention : on estime que chaque année environ 40 000 personnes y sont placées, y restant en moyenne 3 à 4 semaines (le délai maximum, nous l’avons vu étant de 18 mois).

La fameuse question « des voies postales » semble être donc résolue de cette manière ( ?). [« voies postales » = la plupart des reconduites en France, à l’heure actuelle, s’effectue par le biais d’APRF adressés de façon postale aux étrangers qui se trouvent en liberté sur le territoire].

Les sites de rétention sont en outre multiples, permettant une première mise en rétention de quelques jours à proximité des villes, puis le regroupement des étrangers après quelques jours vers des centres plus importants, à proximité des aéroports. Les questions de « pays de destination » n’apparaissent pas problématiques, en général, sauf peut-être pour l’asile.

Mais, pour ceux présents sur le territoire depuis un certain temps, et en situation irrégulière, chaque Land dispose d’une commission dénommée Härtefallskommission c’est-à-dire littéralement une commission s’occupant des cas « dignes d’intérêt » (AG § 23 a), soit pour des raisons humanitaires ou personnelles (maladie, famille, intégration à la société ..). Cette sorte de « commission de séjour » n’intervient pratiquement que pour les étrangers ayant déjà une présence suffisante (environ 3 ans) sur le territoire.

L’administration dispose en outre, et depuis longtemps, des possibilités offertes par les articles AG § 43 à 45 relatifs aux programmes d’intégration des étrangers, de nature fédérale, à travers les cours de langue allemande, mais aussi d’apprentissage des règles de vie en société (notamment en ce qui concerne la connaissance du Rechtsordnung, équivalant à l’instruction civique de jadis ( ! ) en France), de la culture et de l’histoire de l’Allemagne.

La nationalité allemande s’acquiert au bout de huit ans, généralement. Mais les enfants nés en Allemagne obtiennent la nationalité allemande, si les parents sont titulaires d’un permis de séjour illimité (§ 9 AG).

Le regroupement familial (AG § 28) peut être demandé par un étranger au bout de deux ans (auparavant quatre ans). Le « Familiennachzug » est obtenu, comme en France, sous condition de ressources et de logement (voir AG § 27 à 30).

Si un divorce intervient (AG § 31), après une durée de mariage d’au moins deux ans, l’étranger est admis à rester sur le territoire au moins un an de plus, notamment lorsqu’il y a des enfants. Mais, par la suite, son titre de séjour qui dépendait généralement de la présence de son conjoint (AG § 30), [il s’agissait donc d’un titre dépendant de son conjoint = TS « lié »], devient un titre « individuel » (Eigenständiges Aufenthaltsrecht).

S’en suivent toutes les autres catégories de titre de séjour « liés » pour les enfants (articles AG § 32 à 36). La loi règle par exemple, comme en France, le cas des enfants entrés en Allemagne avant leur majorité : il résulte par exemple indirectement des dispositions de l’article AG § 35 que les enfants entrés en Allemagne avant l’âge de 11 ans reçoivent à 16 ans un titre lié au regroupement familial, et à leur majorité, un titre individuel.

Au total, si les obstacles à l’entrée et au séjour des étrangers en Allemagne sont importants, pour ceux qui les franchissent, l’administration (c’est-à-dire.. . les autorités fédérées) dispose des moyens nécessaires pour les intégrer et leur offrir les conditions de l’égalité des droits avec les citoyens. Les juges disposent également des moyens leur permettant d’agir rapidement, dans le respect des garanties.

Il convient tout d’abord de noter que les juges administratifs allemands sont au nombre d’environ 2400 ( 900 en France), l’ordre administratif (Bundesverwaltungsgericht - barkeit) n’ayant pas, au surplus, dans sa compétence les questions fiscales, qui sont réglées, par ailleurs, par un autre ordre administratif (Bundesfinanzhof - barkeit) comprenant lui-même 800 juges.

Le premier article de la LJA (= VwGO) concerne l’indépendance des tribunaux, règle déjà fixée dans l’article 97 de la loi fondamentale.

La règle dans les juridictions administratives est celle de la collégialité : il n’y a pas vraiment d’article la consacrant (voir seulement VwGO § 5), car il s’agit d’un principe.

Cette règle s’applique absolument dans tous les domaines, que ce soient les domaines de fond (par exemple les étrangers) que s’agissant des procédures d’urgence (référés etc...)

Mais ce qui pourra certainement étonner le juge français, c’est que le recours au juge unique ne procède pas de la loi, les députés considérant les juges dans leur indépendance, à la fois d’appréciation mais aussi d’organisation (voir plus haut l’article § 1 de la LJA).

C’est ainsi que s’il y a recours au juge unique, c’est-à-dire « Übertragung auf der Einzelrichter » (= § 6 LJA ou VwGO), ce recours sera comme en France, à l’heure actuelle, limité aux cas ne présentant « pas de difficultés particulières, ni en fait ni en droit, l’affaire n’ayant pas une portée de principe ». [La seule limitation concerne le juge stagiaire qui ne peut être juge unique dans l’année de sa nomination]

Le seul cas de juge unique obligatoire reconnu par la loi, concerne les procédures d’urgence en matière d’asile : loi sur la procédure d’asile (Asylverfahrensgesetz = AsylVfG) § 76 al.4, article relatif à l’ Einzelrichter. Il y est bien indiqué par exemple, qu’en cas de difficulté particulière concernant l’appréciation des faits ou le droit, la collégialité doit reprendre le dessus.

Concrètement, les dossiers étant attribués aux chambres du tribunal, il leur reviendra de trier ces dossiers de façon à déterminer ceux qui seront traités par un juge unique, et ce qui seront en attribution collégiale à la chambre, la proportion du collégial étant variable, mais le plus souvent en matière de titres de séjour légèrement supérieure à 50 %. C’est donc à la chambre de décider, pas à son président.

Il faut surtout noter à propos de cette question de la collégialité, qu’il existe une autre possibilité de juge unique, lorsque l’accord des parties se fait sur ce mode de règlement du litige, permettant ainsi des délais plus courts.

Mais le président de la chambre ou le juge désigné pourra, au cours de la phase dite préparatoire, statuer seul sur les désistements, la suspension de la procédure, les dépens ... (article LJA § 87 « procédure préparatoire »).

Quant aux délais des juridictions, s’agissant d’étrangers, ils sont d’environ un an en matière collégiale, l’urgence se voyant jugée en trente jours en moyenne. L’intervention du juge unique se situe entre quelques heures ou jours (quand il s’agit du départ de l’étranger) à un mois (pour les refus de TS).

Ce bref aperçu de la situation qui prévaut chez nos voisins peut être source d’enseignements dans le cadre de l’actuel débat législatif qui se déroule en France.

Jean-Claude PRIVESSE, Premier conseiller à la Cour administrative d’appel de Paris

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