Avis sur le projet de loi sur l'immigration et l'intégration
I Observations générales
(Adopté le 01 juin 2006)
1. La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), attentive depuis sa création à la question de la situation des étrangers en France, regrette de ne pas avoir été saisie du projet de loi sur l’immigration et l’intégration qui vise à réformer le Code d’Entrée et du Séjour des Etrangers et du droit d’Asile, et d'avoir dû procéder une fois encore par auto saisine et dans l'urgence. Ce nouveau projet, comme les précédents sur lesquels la CNCDH s’était longuement penchée, concerne au premier chef les droits de l’homme et les libertés fondamentales. Elle réaffirme à cette occasion[2], que son rôle n’est pas seulement d’apprécier la conformité des textes législatifs avec la règle juridique. Il est d’abord de veiller au respect des principes universels sur lesquels se fondent les libertés républicaines. Cette mission consultative, préalable au travail parlementaire, est particulièrement nécessaire en une période d’intense activité gouvernementale, où les priorités peuvent tendre à une recherche de l’efficacité immédiate, alors et surtout que le texte examiné par la CNCDH touche aux libertés publiques et fondamentales de manière essentielle.
2. La CNCDH s’est attachée au fil des années à veiller au respect effectif des droits fondamentaux consacré par la constitution, la loi, ainsi que les engagements internationaux de la France (Convention Européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, Pactes, traités et conventions des Nations Unies…). A l’égard de ce nouveau projet de loi, la CNCDH est à nouveau vigilante vis-à-vis du droit d’asile, du droit à la vie privée et familiale, des droits des travailleurs migrants, de la protection contre toutes les formes de discrimination et d’arbitraire.
3. La CNCDH rappelle qu’elle a longuement étudié la gestion des flux migratoires et des conditions d'application du droit d'asile et de ses incidences sur le respect des droits de l'homme. Dès 1996, la CNCDH affirmait conformément à la résolution 48-41 de l’Assemblée générale des Nations Unies du 20/12/93 que « les droits de l'homme, universels et indivisibles, sont applicables à tout être humain, quelle que soit sa situation, dans le respect de la dignité humaine[3] ». Elle rappelle, de manière générale, qu'aucune confusion n'est admissible entre la mise en œuvre du droit d'asile et la conduite d'une politique d'immigration.
4. Enfin, l’introduction du concept d’« immigration subie » utilisée par le législateur pour introduire le concept d’ « immigration choisie » est incompatible avec le respect de la dignité humaine. La CNCDH tient à rappeler que les premiers à « subir » l’émigration sont ces hommes et ces femmes que la misère et l’extrême pauvreté, l’oppression voire la terreur poussent à « choisir » l‘exil et l’éloignement.
5. Ecartant l’idée d’un commentaire détaillé de chacune des dispositions du projet de loi étudié, la CNCDH a préféré regrouper ses principales remarques par thèmes. Elle rappelle ainsi des éléments qui fondent sa doctrine depuis des années en matière de droit des étrangers et de droit d’asile et qui s’appuient sur des principes et des droits universellement reconnus. Elle a cependant jugé utile de commenter certaines des dispositions nouvelles du projet de loi particulièrement caractéristiques des risques qui pèsent sur les libertés fondamentales et les droits de l’homme.
I. OBSERVATIONS GENERALES
L’objectif de maîtrise de l’immigration
6. S’il n’est pas dans les intentions de la CNCDH de s’immiscer dans la définition de la politique d’immigration qu’il appartient au législateur de déterminer, elle entend veiller au respect des principes universels des droits de l’homme. Le Conseil constitutionnel a défini les normes de constitutionnalité applicables en la matière : " Le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques " mais " il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; (…) ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, [et] figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ; (…) en outre les étrangers jouissent du droit à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ; (…) ils doivent bénéficier de recours assurant la garantie de ces droits et libertés [4]". La CNCDH rappelle[5] que l’on ne saurait limiter la politique d’immigration à sa seule dimension policière tant il est vrai que le développement des flux migratoires est dans la nature d’un monde de plus en plus globalisé. La CNCDH s'interroge sur la pertinence d'une approche qui tiendrait pour acquise la liberté des échanges commerciaux, financiers et de l'information, tout en astreignant les hommes à résidence dans leur propre pays.
7. La CNCDH rappelle également que ni le droit d’asile, ni le droit de mener une vie privée et familiale ne sauraient être affectés par des objectifs quantitatifs.
Politique d’immigration et respect du droit d’asile
8. La CNCDH réaffirme qu’il n’est pas acceptable de laisser perdurer la confusion établie entre le droit d’asile et les questions d’immigration et d’intégration. Rappelant que le droit d'asile est une préoccupation cardinale de la CNCDH, elle observe que, sur cette question, il se dégage une ligne directrice, à savoir l’impossibilité de confondre immigration et asile compte tenu de la qualité de droit fondamental de ce dernier.
9. Ainsi, il ne peut y avoir, en matière d'asile, de gestion des flux, même si l'asile peut parfois dissimuler des formes d'immigration clandestine. Il ne peut y avoir de « politique de l'asile », car chaque demande d'asile constitue un cas particulier. On ne peut pas non plus fixer de quotas, ni faire des prévisions. Il faut, au contraire, respecter la règle imposant qu'un demandeur d'asile doit pouvoir accéder au territoire quelles que soient les conditions dans lesquelles il y entre. La CNCDH rappelle[6] que l’asile, dont les causes sont multiples, ne saurait, parce qu’il est un droit, être soumis aux vicissitudes de la politique d’immigration. Le caractère de " droit fondamental " du droit d’asile impose en outre au législateur de ne pas adopter de dispositions qui affectent les garanties essentielles de ce droit, par application de la jurisprudence dite de " l’effet cliquet " dont le Conseil constitutionnel a précisément fait application au droit d’asile en jugeant que " la loi ne peut en réglementer les conditions qu’en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle[7] ».
La complexité croissante du droit des étrangers
10. A nouveau, la CNCDH se montre très préoccupée par la complexité croissante de la législation sur les étrangers. Cette loi constituerait, selon le Conseil d’Etat, la 71eme réforme de l’ordonnance de 1945, ce qui porte gravement atteinte au principe de sécurité juridique auquel il est attaché[8]. Ceci est amplifié par le fait qu’aucune évaluation n’a été faite des réformes successives et que des dispositions de la loi de 2003 n’ont pas encore été accompagnées des nécessaires décrets d’application. La CNCDH constate ainsi que la législation sur les étrangers ne cesse d’être modifiée et qu’elle est de plus en plus complexe, en dépit de la création du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en 2004 qui permet une présentation des principales dispositions applicables dans un texte unique, de maniement aisé. Elle estime cependant que la codification laisse subsister un droit extrêmement touffu, auquel, à l’exception de spécialistes, peu de personnes et surtout pas les principaux intéressés, c’est-à-dire les étrangers, ont la possibilité d’accéder. À cette complexité juridique – accrue par un nombre imposant de textes règlementaires – s’ajoute une suspicion trop fréquente à l’égard des étrangers ainsi qu’un manque de moyens administratifs particulièrement criant. Ceci explique, en grande partie, les différences de traitement que l’on constate d’une préfecture à l’autre. La CNCDH ne peut donc que regretter que le nouveau texte s’ajoute aux règles préexistantes, sans fournir, en contrepartie, l’effort de simplification nécessaire, auquel le Gouvernement affirme son attachement par ailleurs.[9]
Les risques de stigmatisation des étrangers et immigrés
11. La CNCDH insiste sur les dangers d’une stigmatisation des étrangers et immigrés. Elle s'inquiète en particulier du fait que dans un contexte de malaise social et économique fortement ressenti depuis quelque temps, les étrangers et les immigrés soient souvent sinon dénoncés, du moins désignés de manière flagrante[10]. Il en ressort en particulier un climat de xénophobie et de repli sur soi particulièrement inquiétant que la CNCDH a relevé dans son rapport 2005 sur le racisme en France. Enfin la CNCDH s’inquiète de ce que les mesures envisagées procèdent, à l’occasion, d’une suspicion à l’égard des étrangers, ce qui accroît le risque de stigmatisation.
La nécessité de travailler en amont sur le développement dans les pays d’origine, et d’intensifier la coopération nord-sud
12. La CNCDH note avec intérêt que le projet de loi relatif à l'immigration prend en compte l'impératif du co-développement. Elle relève, en particulier, le dispositif permettant de proposer à certains jeunes diplômés étrangers, "dans la perspective de leur retour dans leur pays d'origine, de compléter leur formation par une première expérience professionnelle participant directement ou indirectement au développement économique de la France et du pays dont il a la nationalité" (article 7)
13. Dans la perspective de la mondialisation, il importe, plus que jamais, de veiller au respect des principes fondamentaux de la dignité des personnes, rappelés sans cesse par les instances internationales, telles que l’ONU, le Conseil de l'Europe, l’organisation Internationale de la Francophonie[11], l’Union européenne. Il est par ailleurs nécessaire de ne pas sous-estimer la pression considérable qui existe sur le plan de l'immigration économique liée à l’extrême pauvreté et à la misère qui sévit dans certains pays. Malgré les engagements pris par les pays les plus riches, l’aide au développement reste encore très en deçà de ce qu’il serait souhaitable de faire et trop souvent les engagements pris ne sont pas tenus. La CNCDH rappelle l’importance du traitement des questions économiques dans le cadre de l'aide au développement et de la coopération Nord-Sud. Elle insiste sur le fait que la France devrait s’attacher davantage à perpétuer la tradition républicaine qui l'honore et qui a contribué à son rayonnement.
14. La CNCDH rappelle que la ratification de la Convention Internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille permettrait de formaliser le cadre nécessaire à cette coopération nord-sud. Elle constitue également un enjeu important pour les politiques de coopération et de co-développement. L’accent mis sur les accords bilatéraux de partenariat ne devrait pas constituer un obstacle à la mise en œuvre des engagements pris par les Etats européens en faveur du cadre multilatéral défini par la convention de 1990, comme par les conventions internationales du travail portant sur des matières voisines[12].
15. La CNCDH encourage la promotion d’une meilleure coopération avec les pays d’origine. Il est indispensable de renforcer et de soutenir toutes les actions de coopération internationale et notamment celles qui accompagnent le développement économique, social et culturel local dans le pays d’origine. De nombreuses associations françaises ont, d’ores et déjà, développé des initiatives de cette nature et entretiennent des échanges avec des associations locales. Ces partenariats permettent d’une part de mieux connaître les cultures et les mode de vie réciproques, mais contribuent aussi au développement économique local, souvent à travers des microprojets portés par des femmes. La CNCDH demande que les actions de coopération internationale soient soutenues et encouragées et qu’elles s’accompagnent de mesures de promotion des Droits de l’Homme, notamment pour les personnes en situation de précarisation et d’exclusion[13].
16. Plus particulièrement dans le domaine de la santé, la CNCDH rappelle[14], qu’au-delà d'une solidarité élémentaire avec les pays du Sud, l’enjeu en matière de santé intéresse aussi les pays dits développés. La pandémie du sida, le retour de maladies comme la tuberculose, les risques de contagion de maladies inconnues en occident propagées par les facilités des moyens de communication, imposent aussi une politique de coopération forte dans ce domaine.
L’intégration
17. La CNCDH ne peut que saluer la volonté exprimée de mettre en œuvre des mesures positives pour accueillir et intégrer les étrangers vivant en France. Elle rappelle cependant que toutes ces mesures doivent se faire dans le respect du droit des personnes avec le souci de favoriser au maximum l’accompagnement plutôt que la contrainte[15]. À cet égard le caractère obligatoire du contrat d’accueil et d’intégration et la délivrance d’une carte de résident subordonnée à l’intégration dans la société française suscitent des réserves de la CNCDH qui constate que seuls les préfets et les maires auront ainsi la responsabilité de l’appréciation de la condition d’intégration. Il y a là manifestement un risque de subjectivité ou d’arbitraire préjudiciable à l’appréciation impartiale d’une condition pourtant présentée comme indispensable pour l’intégration et l’obtention d’un titre de séjour.
Aller plus loi sur le site Internet de la CNCDH
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