La politique migratoire souffre d’opacité et de manque de transparence. Le débat est souvent tronqué par la manipulation constante des objectifs.
Parlementaires et citoyens ne sauraient se satisfaire des orientations, des objectifs et donc des réalisations présentés par le gouvernement. Dans cette politique, il convient d’interroger les objectifs eux-mêmes, d’évaluer et d’examiner de manière transparente, tous les termes et tous les fondements de la politique menée. C’est précisément la démarche de l‘Audit de la politique d’immigration, d’intégration et de codéveloppement, que nous avons engagée il y a un an.
Nous avons auditionné 35 chercheurs, experts, témoins, acteurs professionnels, syndicalistes, associatifs qui ont répondu favorablement à nos sollicitations.
En revanche, nous ne pouvons que regretter la fin de non-recevoir des « responsables » institutionnels de la politique actuelle chaque fois que nous les avons sollicités : de Maxime Tandonnet, conseiller du Président de la République, à Patrick Stefanini, ancien Secrétaire général du Comité Interministériel de contrôle de l’immigration, en passant par Xavier Bertrand, ancien Ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité.
Le questionnement était pourtant nécessaire et légitime. Il peut se résumer aux interrogations suivantes :
- Est-il vrai que la France, et plus généralement l’Europe, s’exposent à accueillir « toute la misère du monde » si elles relâchent leur politique actuelle de maîtrise des flux migratoires ?
- Est-il vrai que les immigrés coûtent cher à la France – soit parce qu’ils pèsent sur le budget de l’Etat, soit parce qu’ils affectent négativement l’emploi et les salaires ?
- Est-il vrai, comme le gouvernement l’affirme, que l’intransigeance à l’encontre des sans-papiers favorise l’intégration des migrants en situation régulière et la lutte contre les discriminations raciales ?
- Est-il vrai que la politique française de rétention, de reconduites à la frontière, d’asile et d’immigration familiale participe de la « démocratie irréprochable » que le président de la République prétend instaurer ?
- Est-il vrai que le « développement solidaire » a vocation à se substituer avantageusement à l’immigration ?
Changer d’échelle et penser les enjeux des migrations internationales
Les migrations sont un fait planétaire contemporain auquel n’échappe aucune région du monde. 3,3 % des hommes sur la planète sont en migration et la France compte elle même 2,5 millions d’expatriés et ce n’est pas récent. Le Professeur d’économie El Mouhoub Mouhoud a mis en lumière la complémentarité de l’ouverture aux échanges internationaux (biens, services, idées) et du développement des flux migratoires.
Les flux migratoires se sont diversifiés : les logiques migratoires gagnent aussi les migrations sud-sud qui représentent 40 % des migrations dans le monde.
Les profils migratoires ont également évolué et, contrairement au sens commun, ce ne sont pas les personnes les plus démunies qui peuvent émigrer. Présentant les premiers résultats de l’enquête INSEE-INED « trajectoire et origine », Chris Bauchemin a montré que les migrants subsahariens ont en moyenne un niveau d’instruction supérieur aux personnes vivant en France métropolitaine (40% d’entre eux sont diplômés du supérieur). La migration internationale est en effet extraordinairement sélective.
La motivation économique est au centre de la mécanique migratoire. Le Directeur des ressources humaines de Véolia Propreté, Pascal Decary, a posé le principe selon lequel « les marchés économiques sont les premiers moteurs des migrations internationales ». Sans économie attractive, il n’y a pratiquement pas de migrations.
Gildas Simon, géographe et Professeur émérite à l’université de Poitiers, a montré que la réciproque des transferts financiers vers les pays d’origine est un sujet sous-évalué. Ils représentent la forme de redistribution des richesses la plus efficace à l’échelle du monde. La part de l’argent transféré par des Français de l’étranger vers la France est de l’ordre de 12 milliards d’euros.
En imposant le terme « d’immigration », beaucoup de responsables politiques font sciemment l’impasse sur la réalité des mobilités. Selon les chiffres de l’INSEE présentés par Hervé Le Bras, 5 ans après leur entrée, seuls 60% des titulaires d’un titre de séjour sont encore sur le territoire français.
Quels effets macroéconomiques pour les migrations internationales ?
Enquête emploi à l’appui, Hervé Le Bras a montré que le taux d’activité entre des étrangers de 30 à 49 ans et des Français du même âge est sensiblement identique (90% et 95%).
Comme l’a souligné Jean-Pierre Garson, économiste à l’OCDE, les migrants sont présents dans tous les secteurs de l’économie, avec une complémentarité sur le marché du travail dont les besoins sont divers en qualifications. Une politique migratoire ayant pour objectif de ne recruter que des personnes qualifiées relève donc du contresens économique et social.
Membre du Conseil d’orientation des retraites, Didier Blanchet a ainsi mis en lumière le fait que si l’immigration ne peut lutter à elle seule contre le vieillissement, elle compense partiellement le déficit de naissance. Quant au professeur d’économie Lionel Ragot, il a souligné que si la France optait pour une « immigration zéro », ce n’est pas 3% du PIB supplémentaire qu’il faudrait trouver à l’horizon 2050 pour financer la protection sociale, mais 5 % du PIB.
Quant à l’impact des migrations sur le marché du travail, Joël Oudinet, Maître de conférence à l’Université Paris 13, a montré que le travail des immigrés ne « concurrencerait » qu’une fraction du salariat issu des anciennes vagues d’immigration.
La politique de co-développement dévoyée
L’audit a consacré une séance au codéveloppement car il s’agissait d’une thèse de la politique d’immigration reposant sur le postulat que l’aide au développement et les actions sectorielles dans les pays d’origine permettent de maîtriser les flux migratoires et de fixer les populations.
Pourtant, le résultat est inverse : le développement encourage la mobilité des personnes et la mobilité des personnes apparaît comme un facteur de développement.
Le budget consacré à l’« aide au développement » par le Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire s’élève à 30 millions d’euros, une part négligeable sur un total de 590 millions d’euros.
Le gouvernement a signé 14 accords de gestion concertée des flux migratoires qui conditionnent des aides sectorielles à la réadmission d’étrangers en situation irrégulière. Il s’agit, avant tout, de coopération policière et non de développement. Par exemple, la Tunisie a négocié 40 millions d’euros sur 3 ans, dix fois plus que le Burkina Faso, dont le PIB est cinq fois inférieur et l’indice de développement humain deux fois inférieur.
Comme l’ont souligné le Président du Forim – Mustapha Bourras – et Sarah Rosengaertner, présentant l’initiative conjointe sur la migration et le développement élaborée par l’Union Européenne et les Nations Unies, d’autres approches existent, valorisant le potentiel de chaque migrant. Or les grands absents de cette politique de co-développement sont justement les migrants eux-mêmes.
L’asile : un droit consacré aujourd’hui menacé.
Systématiquement, le gouvernement affirme que « la France est le pays le plus généreux en matière d’asile ».
Les chiffres du HCR, dont a fait état l’anthropologue Michel Agier, indiquent 12 millions de réfugiés statutaires dans le monde, 1 million de demandeurs d’asile, 6 millions de personnes dans des camps de réfugiés, 25 à 30 millions de déplacés dans leur propre région et 12 millions de personnes apatrides. Ils montrent l’état des persécutions et des conflits dans le monde, tout en relativisant les 52 762 dossiers déposés auprès de l’OFPRA en 2010. Pourtant, comme le notait Michel Agier, on assiste aujourd’hui à une dramatisation et à une instrumentalisation de ces chiffres dans le traitement politique de la situation des réfugiés en provenance du Maghreb.
Claudia Charles, juriste au GISTI, Philippe Leclerc, Représentant du HCR pour la France, Matiada Ngalikpima, du Forum Réfugié, Éléonore Morel, Directrice Générale de l’Association Primo Lévi et Marielle Bernard, ancienne responsable du service social de la CAFDA ont montré les restrictions au droit d’asile, qui risque de devenir une variable d’ajustement de la politique migratoire.
Une politique du chiffre qui détourne l’administration et la police de leurs véritables missions.
Pour faire preuve de « fermeté », le gouvernement n’en vient plus à parler que « d’immigration irrégulière » et que de « quotas d’expulsion ». De quoi s’agit-il ?
Comme l’a souligné Yannick Blanc, ancien directeur général de police administrative de la préfecture de police de Paris, a faire du chiffre un enjeu politique revient à placer sous la contrainte une longue chaîne d’acteurs : l’administration de la préfecture, le tribunal administratif, les centres de rétentions, le juge des libertés et de la détention, les consulats, les services qui sont chargés de l’escorte, de la reconduite, tous détournés de leur mission principale. Ce traitement policier mobilise beaucoup de fonctionnaires, de service et de forces de police, au détriment de la sécurité publique de l’ensemble de nos concitoyens.
Yannick Danio, délégué national du syndicat Unité Police SGP-FO, s’est ainsi montré clair à ce sujet : les policiers vivent de plus en plus mal les missions qu’ils doivent remplir. Comme l’a révélé Yannick Blanc, ne sont interpellées que certaines catégories d’étrangers : celles dont l’administration est certaine d’obtenir des laissez-passer consulaires.
Jean-Marie Delarue a mis en lumière les ressorts du traitement policier de l’immigration et la logique du chiffre en matière d’infraction à la législation sur les étrangers. Le nombre d’interpellations en la matière a doublé entre 2002 et 2008, passant de 55.000 à 119.800. Le nombre de places en rétention est passé de 944 en 2004, à 2019 fin 2010. Sur cette période, la durée légale de rétention a augmenté de 150%.
Malgré cette « mobilisation », le nombre d’exécutions des mesures de reconduite à la frontière reste stable, comme celui des personnes en situation irrégulière.
Mais comme le montre Christian Mouhanna, les objectifs concernant les infractions à la législation sur les étrangers sont fondamentaux dans la politique statistique du ministère de l’intérieur : le taux d’élucidation de ces infractions était de 99,79 % en 2009. Elles ont justifié 80.063 gardes à vue, soit 16,67 % du total. Danièle Lochak, Professeur de droit constitutionnel, évoque une logique d’ « accoutumance à la répression ».
Comme l’a souligné Jean-Pierre Bandiera, le contentieux des étrangers est devenu massif, provoquant l’embolie des tribunaux. Les objectifs assignés à l’autorité administrative amènent à remettre en cause les droits fondamentaux, ce qui provoque l’annulation de nombreuses procédures. Flor Tercero, avocate, représentant l’Association de défense des droits des étrangers, a montré que ce n’est pas sur le juge que repose la responsabilité de cette annulation, mais sur le manquement aux droits d’une personne qui est privée de liberté.
Or cette politique a un coût. Pierre Bernard-Reymond, Sénateur des Hautes-Alpes, rapporteur spécial de la mission «Immigration, asile et intégration» du projet de loi de finances pour 2011, insista sur l’impuissance de l’administration à quantifier le coût de cette politique. C’est à la fois, le coût de l’interpellation, le coût des contentieux, le coût de la rétention, le coût de la reconduite. Son estimation s’élevant à 415 millions d’euros, est bien supérieure à celle commandée fin 2009 par le Ministère de l’immigration et réalisée par l’inspection générale de l’administration, qui atteint 232 millions d’euros.
L’OCRIEST (Office Central de Répression et du trafic, sans papier, sans titre de séjour) chargé du service de répression des filières clandestines, souffre d’un manque d’effectifs et l’UNESI (Unité Nationale d’Escorte) n’a pas les moyens de fonctionner.
La précarisation du séjour des étrangers présents sur notre sol.
Comme l’a souligné le Secrétaire Général de la Cimade, la précarisation du séjour se caractérise par la généralisation des titres de séjour de plus en plus courts qui placent les étrangers dans une instabilité économique et sociale. Le durcissement des critères, les lois à répétition, le caractère arbitraire des procédures, participent de cette précarisation et installent une insécurité permanente.
Comme l’ont souligné les partenaires sociaux auditionnés, les objectifs affichés de « fermeté » et de lutte contre l’immigration clandestine nourrissent un marché du travail informel qui existe de manière permanente dans nos sociétés. Certains n’hésitent pas à profiter de ce système pour exploiter la détresse humaine et en tirer un profit très substantiel, en mettant en concurrence les travailleurs. Francine Blanche, membre de la direction confédérale de la CGT et Raymond Chauveau, Secrétaire général CGT dans l’Essonne, ont montré que la situation des travailleurs sans-papiers précarise l’ensemble du marché du travail. Les services à la personne, la restauration ou le bâtiment ont recours de manière systématique au travail illégal. Le mouvement de grève des travailleurs sans papiers a entraîné une prise de conscience de la réalité économique et sociale du travail clandestin.
Pascal Decary, Directeur des ressources humaines de Véolia propreté, a rappelé la forte proportion de travailleurs étrangers dans son secteur. Selon lui, la mécanique administrative actuelle, stricte et rigide, revient à jeter les étrangers dans les systèmes informels du travail au noir. La régularisation des salariés permettrait de lutter contre la concurrence déloyale et d’assécher les sources d’immigration clandestine.
Les conséquences d’une politique de désintégration.
Gérard Noiriel a remis en perspective la construction du clivage entre nationaux et étrangers, qui s’est substitué au clivage salariat / patronat et permet, encore aujourd’hui, de masquer les revendications sociales. Ainsi, se sont imposées les idées de « chaos migratoire » et de « pressions aux frontières », de « bons immigrés ».
Patrick Weil a souligné l’importance de ce discours et sa signification véritable à travers les mots du discours de Grenoble, prononcé le 30 juillet 2010 par le Président de la République. En proclamant « nous payons les cinquante dernières années d’erreur de la politique migratoire » et en créant une catégorie de « français d’origine étrangère », le Président de la République, constitutionnellement reconnu comme garant de l’unité de la République, laisse entendre qu’un certain nombre de nos compatriotes ne méritent pas la qualité de citoyen français.
La force symbolique de ce discours est donc déstructurante et désintégratrice pour tous. A l’image de la politique migratoire, ce discours ne déstabilise pas uniquement les étrangers. Il blesse tous les Français.
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