Centres de rétention : les associations craignent pour leur mission de contrôle
Un pan essentiel de la politique migratoire du gouvernement, l'éloignement des étrangers en situation irrégulière, risque de passer dans l'ombre. C'est l'inquiétude formulée par les associations depuis la publication, le 22 août, du décret réformant le dispositif d'aide aux personnes placées dans les centres de rétention administrative (CRA), et l'appel d'offres ministériel qui a suivi, le 28 août.
Jusqu'alors, la mission d'information et d'aide juridique aux étrangers placés en rétention dans l'attente d'une expulsion était confiée à une seule association nationale, la Cimade. Celle-ci publie un rapport annuel fouillé. Le ministre de l'immigration, Brice Hortefeux, agacé par les propos "toujours critiques" de cette dernière, n'a pas caché qu'en décembre, au terme de la convention triennale la liant à l'Etat, il en finirait avec cette "situation de monopole". Pour nombre d'associations, le gouvernement cherche à démanteler la mission d'aide aux étrangers sous couvert d'"introduire davantage de diversité" dans les CRA.
Mercredi 24 septembre, Amnesty International, l'Anafé, l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture, le Comité médical pour les exilés et la Ligue des droits de l'homme appellent toutes les structures concernées par ce changement à réfléchir à une réaction commune. De plus, une pétition lancée le 11 septembre pour dénoncer "une mise aux ordres des associations" a fédéré quelque quatre- vingts organisations associatives, syndicales et politiques. Le nouveau décret prévoit de répartir en huit lots la trentaine de centres de rétention répartis à travers la France. Chacun se verra confier à "un" intervenant, qui pourra être une association ou toute autre "personne morale", entreprise, organisme parapublic, national ou local. Dans son appel d'offres, le ministère a renoncé à maintenir une mission d'ensemble cohérente assurée en concertation par plusieurs associations, choisissant l'éclatement.
La mission d'intervention consistait jusqu'alors à "informer les étrangers et les aider à exercer leurs droits". Mais si le nouveau décret la mentionne encore en ces termes, l'appel d'offres, lui, réduit le rôle des futurs intervenants auprès des retenus à une fonction d'"information, en vue de l'exercice de leurs droits". L'aide juridique qui était jusqu'à présent assurée se trouve ainsi minorée.
Le ministère de l'immigration a déjà démarché plusieurs associations et organismes parapublics, tel l'Adoma (ex-Sonacotra), la Croix-Rouge, le gestionnaire de foyers Aftam... L'Adoma a décliné l'offre, estimant que "ce n'est pas (son) métier". La Croix-Rouge, comme France Terre d'asile, affirme ne pas vouloir "entrer en concurrence avec la Cimade". Autre association, Forum réfugiés a décidé de "tenter d'y aller". "La diversité d'expression ne peut que renforcer l'analyse de la situation dans les CRA", estime son directeur, Olivier Brachet, prêt à se coordonner avec les sept autres intervenants.
A l'inverse, Patrick Delouvin, d'Amnesty international, craint que "l'émiettement de la mission rende impossible toute analyse et vision d'ensemble sur la rétention". Selon lui, " d'une mission nationale cohérente, on passe à une mise en concurrence de prestataires". Il redoute que, "soumis à une stricte neutralité, certains intervenants hésitent à parler, de peur de perdre leur marché".
"CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE"
Chaque intervenant devra en effet respecter "une stricte neutralité", faute de quoi l'administration pourra résilier le marché sans indemnités. Et si chacun devra "rendre compte à l'administration de la réalisation des prestations, selon une périodicité trimestrielle", les documents ne pourront pas être communiqués "dans le cadre des rapports et communications propres à la personne morale". En d'autres termes, il en sera fini des rapports annuels que publiait jusqu'alors la Cimade, pour témoigner de la situation dans chaque centre de rétention.
Pour Michel Agier, anthropologue à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et directeur d'étude à l'EHESS, "avec cet appel d'offres, un pas important est franchi, qui vise à interdire qu'un contrôle démocratique s'exerce dans ces lieux". Selon lui, la directive européenne "Retour" autorisant la rétention jusqu'à 18 mois va dans le même sens. "Un peu partout dans le monde, on voit se multiplier de tels lieux mis à l'écart, non visibles, avec une mise au pas de l'humanitaire."
Laetitia Van Eeckhout
Chiffres
Nombre de centres. Il existe aujourd'hui en France métropolitaine une trentaine de centres de rétention administrative (CRA), contre 16 en 2003.
Capacité d'accueil. A la faveur d'un vaste plan de "rénovation" des CRA, le nombre de places disponibles en rétention est passé de 739, en 2003, à 1 724 en 2007.
Nombre de retenus. Selon les données recueillies par la Cimade, 34 379 personnes ont été en 2007 retenues de 24 heures à 32 jours, la durée moyenne de rétention s'élevant à plus de 10 jours.
LE MONDE, 22.09.08
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