Immigration choisie : quand la « rupture » se heurte aux réalités du marché du travail
Le Monde du 06.05.08
Prenant acte d'une nécessaire relance de l'immigration de travail (6 % des flux migratoires annuels seulement), la politique du nouveau Ministère de l'immigration marque, du moins dans ses postulats, un tournant par rapport à celles qui l'ont précédée ces trente dernières années. Des listes de métiers ouverts, région par région, aux étrangers ont ainsi été établies.
Ce tournant ira jusqu'à conduire le nouveau ministre de l'immigration à accueillir, bon gré mal gré, dans son projet de loi présenté à l'automne 2007, un amendement ouvrant la possibilité pour des étrangers en situation irrégulière d'obtenir un titre de séjour sur la base d'une promesse d'embauche.
Cependant, cette « rupture » est occultée par la priorité donnée à la lutte contre l'immigration irrégulière. Incarnée par la « culture du résultat », cette priorité soumet les préfectures à des objectifs chiffrés de reconduites « effectives » d'étrangers à la frontière. Des objectifs, d'une année sur l'autre, revus à la hausse : 25 000 reconduites prévues en 2007, 26 000 en 2008.
Le ministre de l'immigration n'a de cesse de souligner que sa politique « ne se résume pas à un chiffre ». Selon M. Hortefeux, « il y a le principe - tout immigré en situation irrégulière a vocation à être reconduit dans son pays d'origine - et la pratique », laquelle n'interdit pas d'examiner les situations particulières « avec justice et humanisme ».
ARRESTATION ILLÉGALE
Reste que les préfectures, soumises à forte pression, finissent par rester sourdes à des situations individuelles, que celles-ci se caractérisent par des problèmes sanitaires, familiaux, sociaux, ou même qu'elles remplissent les critères de l'immigration choisie, répondant à un réel besoin économique. Convocations-pièges en préfecture, « chasses » dans certains quartiers, arrestations à domicile : l'administration est entraînée dans une telle surenchère qu'elle en vient à développer des pratiques à la limite de la légalité.
Le 6 février 2007, la Cour de cassation a pourtant considéré comme illégale l'arrestation d'un sans-papiers convoqué au guichet d'une préfecture.
Les associations ne sont plus les seules à s'alarmer de cette spirale. Des policiers, des juges, des avocats sont aussi nombreux à dénoncer les dérives liées à la politique des expulsions.
Les récentes grèves, inédites, de travailleurs réclamant des titres de séjour témoignent des contradictions de la situation. Le gouvernement, soucieux de ne pas céder à la pression et de ne pas prêter le flanc aux critiques de l'extrême droite, insiste sur le caractère « exceptionnel » et discrétionnaire du dispositif de régularisation par le travail, et rappelle que sa priorité reste « la lutte contre l'emploi illégal des étrangers ». Le ministère de l'immigration évoque quelques centaines de salariés et défend un « examen au cas par cas ». Mais les étrangers concernés sont plus probablement plusieurs dizaines de milliers.
La méthode du « cas par cas » comporte en outre un risque : celui de bafouer le principe constitutionnel d'équité, en masquant la fixation de quotas arbitraires. Ce fut le cas à l'été 2006, lorsque, sur 33 500 demandeurs, seuls 6 900 parents sans papiers d'enfants scolarisés avaient été régularisés.
Dans le même temps, les réalités du marché du travail imposeront de conserver la main-d'oeuvre immigrée dans les emplois non délocalisables et peu convoités par les Français (BTP, restauration, services à la personne...). « Il est de bon sens, avant d'accueillir de nouveaux étrangers, de voir si certains, qui sont déjà sur notre sol, ne correspondent pas aux besoins affichés région par région », ont souligné, dans un récent communiqué, les députés UMP Frédéric Lefebvre et Pierre Méhaignerie, président de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.
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