samedi, mai 31, 2008

1931, les étrangers au temps de l'Exposition coloniale

Colonies et émigrés de 1931
LE MONDE | 28.05.08

A Paris, la Cité de l'immigration fait revivre les coulisses de l'exposition coloniale de 1931.

Le 15 novembre 1931, au coeur du bois de Vincennes, à Paris, devant près de 400 000 personnes, les couleurs étaient amenées pour la dernière fois au sommet d'une éphémère tour de bronze de 82 mètres. L'Exposition coloniale s'achevait sur une note à la mesure de son triomphe.

En six mois, pas moins de 8 millions de visiteurs avaient entrepris "le tour du monde en un jour" vanté par les organisateurs. Ils y avaient découvert les piroguiers du Dahomey, les danseuses de Bali, les musiciens des Antilles et les comédiens malgaches. Ils avaient arpenté les dizaines de pavillons, jubilé devant les reproductions grandeur nature du temple d'Angkor Vat ou d'un palais de Tombouctou. Ils avaient rempli théâtres, concerts et cafés, observé jusqu'à minuit fontaines lumineuses et spectacles pyrotechniques.


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Un succès populaire doublé d'une réussite financière : 33 millions de francs de bénéfice sur 320 millions de francs de budget. L'opération marquait en outre durablement le Sud-Est parisien : le métro était prolongé, les boulevards extérieurs élargis, le bois transformé.

Pour sa première grande exposition temporaire, la Cité nationale de l'histoire de l'immigration a choisi de faire revivre cette scène exceptionnelle. Installée depuis septembre 2007 au palais de la porte Dorée, dernier vestige de la fameuse exposition, la Cité y présente, dans toute sa brutalité, cette célébration de l'oeuvre coloniale.

A peine l'entrée franchie, une carte du monde, peinte par Henri Milleret et exposée au pavillon des armées, plante le décor : "C'est avec 76 900 hommes que la France assure la paix et les bienfaits de la civilisation à ses 60 millions d'habitants." Frises, fresques, tableaux, sculptures, photos, affiches, cartes postales, journaux, costumes et maquettes, souvent sortis pour la première fois des réserves du Musée du quai Branly, nourrissent la reconstitution. Faute de volume approprié, on devine l'ampleur plus qu'on ne la ressent. Mais là n'est pas l'essentiel.


6,9 % DE LA POPULATION


Derrière la scène, ce sont les coulisses, et derrière le théâtre, le monde réel que l'exposition "1931, les étrangers au temps de l'Exposition coloniale" entreprend de faire apparaître. Un monde fragilisé par le krach de 1929. Un monde de tensions et de premiers craquements. 1931 marque en effet l'apogée de la présence étrangère en France. Ils sont alors 2,8 millions, dont 800 000 Italiens, soit 6,9 % de la population métropolitaine : mineurs, ouvriers, paysans. Loin du tintamarre de l'événement, leur présence s'est imposée, avant, pendant et après la première guerre mondiale, silencieuse et massive. Au travail, d'abord, mais aussi dans les loisirs, le logement, la culture.

Colonisation, immigration : tout le parti pris de l'exposition tient précisément dans ce souci de faire résonner les deux phénomènes. Là-bas, dans ces terres d'outre-mer, où se côtoient Français, étrangers et surtout "indigènes" privés de droits. Ici, où cohabitent travailleurs, non-travailleurs et réfugiés. La prétendue mission civilisatrice glorifiée par les oeuvres d'art et les plans somptueux, d'un côté ; les images et objets du quotidien, de l'autre, à commencer par cette mosaïque de papiers d'identité : visages anonymes, inconnus, au milieu desquels apparaît un jeune Espagnol sans moustaches nommé Salvador Dali.

Immigration de travail, immigration politique et même immigration de transit, vers les Etats-Unis ou l'Amérique du Sud : l'exposition s'emploie à incarner la complexité du phénomène. Dans les mines, Français et étrangers luttent côte à côte, mais ailleurs se multiplient les manifestations xénophobes ou antisémites. La presse livre ici son habituel et efficace témoignage. Plus édifiant, la Cité expose les travaux "scientifiques" de Georges Mauco et sa thèse sur le degré d'assimilabilité des différentes "races". Dix ans plus tard, le régime de Vichy saura en faire usage.

Pour l'heure, nous sommes encore en 1931. Dans les allées du bois, éléphants et dromadaires éblouissent un petit garçon nommé François Cavanna. L'écrivain en livre le témoignage sonore. A quelques centaines de mètres, dans le 12e arrondissement, un immeuble poursuit sa vie de tous les jours. Une grande installation reconstitue les appartements, étage par étage. De haut en bas : une cuisinière française ; un manoeuvre algérien ; un maçon italien ; une blanchisseuse, un employé d'hôtel et un employé du gaz, tous français ; un marchand ambulant chinois ; un manoeuvre, chinois encore... On rêve de les entendre se parler, s'interpeller, ou plaisanter "Va donc, indigène ! - Chez toi, étranger !"

Lors de son inauguration, l'an dernier, la Cité de l'histoire de l'immigration s'était vu reprocher de ne pas lier l'immigration au fait colonial et à ses conséquences. Huit mois plus tard, elle a trouvé la meilleure réponse possible : une très belle exposition.


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"1931, les étrangers au temps de l'Exposition coloniale." Jusqu'au 7 septembre. Cité nationale de l'histoire de l'immigration, 293, avenue Daumesnil, Paris-12e. Tél. : 01-53-59-58-60.

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