Loi sur l'immigration: des changements «inquiétants»
Hugo De Granpré
La Presse, Ottawa
Un projet de loi déposé hier et qui fera l'objet d'un vote de confiance à la Chambre des communes donne un pouvoir discrétionnaire beaucoup trop grand à la ministre de l'Immigration, disent des spécialistes du domaine.
La ministre Diane Finley a introduit des amendements à la Loi sur l'immigration et le statut réfugié dans le but officiel de réduire les listes d'attente de demandeurs. Actuellement, plus de 800 000 personnes attendraient une réponse du gouvernement canadien, parfois depuis aussi longtemps que quatre, cinq ou six ans.
Si elles étaient adoptées, ces mesures donneraient à la ministre le pouvoir de donner des instructions pour le traitement des demandes. Mme Finley, ou ses successeurs, pourraient par exemple restreindre le nombre de demandes à traiter par année, ou déterminer quelles catégories seraient traitées, et dans quel ordre.
«Notre objectif principal est d'amener plus d'immigrants ici, et de les amener plus rapidement», a déclaré Mme Finley lors d'un entretien téléphonique avec La Presse.
L'avocat montréalais Joseph Allen et la directrice du Conseil canadien pour les réfugiés, Janet Dench, approuvent cet objectif. Ils craignent cependant que la discrétion accordée à la ministre - de fixer ses «instructions» elle-même et par règlement - ne soit dangereuse.
«La discrétion ministérielle a toujours été un aspect que les avocats n'aiment pas. On préfère faire affaire avec des critères qui sont établis et auxquels nous pouvons nous attendre qu'ils soient respectés quand nous faisons nos demandes», a déclaré Me Allen, président de l'Association québécoise des avocats et avocates en droit de l'immigration.
Selon ces deux experts, l'élément le plus inquiétant est le fait que la ministre ait placé les demandes pour motifs d'ordre humanitaire sous cette nouvelle discrétion.
«Je me demande jusqu'à quel point le ministère profite de l'ouverture de cette loi pour glisser cela en même temps. Je ne vois pas vraiment le rapport avec le point principal, qui est de gérer les demandes économiques», s'est questionnée Janet Dench. Elle a ajouté qu'une fois cette discrétion introduite dans la loi, elle le serait pour tous les ministres et gouvernements à venir.
Les partis d'opposition ont eux aussi critiqué les amendements à la loi sur l'immigration. La députée néo-démocrate Olivia Chow craint que le gouvernement ne favorise dorénavant certains intérêts économiques au détriment de la réunification familiale par exemple. «La manière de réduire cette liste est d'augmenter les cibles d'immigration, d'annuler les coupes et d'engager plus de gens dans les bureaux de visas outre-mer», a-t-elle affirmé.
Le chef libéral, Stéphane Dion, a qualifié ces nouvelles mesures d'arbitraires et susceptibles d'engendrer des abus. Il a ajouté que son parti ne pourrait appuyer ce projet de loi dans sa forme actuelle. Mais il a refusé d'aller jusqu'à dire qu'il s'en servirait pour provoquer des élections. «Ça peut vouloir dire provoquer des élections, mais ça peut vouloir dire aussi que nous manifestons notre désaccord et que nous attendons un autre moment pour provoquer des élections», a-t-il dit.
La ministre Diane Finley, de son côté, a balayé toutes ces critiques d'un revers de main. Elle a précisé que son premier objectif serait de s'attaquer aux dossiers inactifs qui bloquent le système.
À terme, Mme Finley espère réduire l'attente à une moyenne d'un an, ce qui équivaut à réduire la liste d'attente à maximum 400 000 demandes, dit-elle. Par contre, elle est restée vague sur la manière dont elle comptait s'acquitter de ses nouveaux pouvoirs, une fois la loi adoptée.
Le projet de loi C-50, qui plus globalement vise à mettre le budget en oeuvre, fera son chemin à travers la procédure normale d'adoption des lois au Parlement. Il devrait être étudié de manière plus détaillée en comité d'ici quelques semaines.
Il faut enfin noter que ces changements toucheront le Québec de manière indirecte, puisque les demandes d'immigration sont faites par le ministère de la province. Une approbation du fédéral est toutefois nécessaire une fois l'acceptation québécoise reçue.
Par ailleurs, le Canada a accueilli 429 649 étrangers en 2007, «un nombre record», a annoncé hier le ministère canadien de l'Immigration.
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