Source : Le Monde, 29 mars 2010
La démographe Michèle Tribalat part une nouvelle fois en croisade contre ce qu'elle perçoit comme une autocensure teintée d'"antiracisme idéologique" et s'appuyant sur la "valorisation de la minorité en tant que telle".
Quelle est l'ampleur précise des flux migratoires ? L'immigration empêche-t-elle, freine-t-elle réellement le vieillissement des pays européens ? L'afflux de migrants entraîne-t-il une baisse des salaires ? Quel est l'impact démographique de l'immigration sur le peuplement des territoires ? Quels sont ses effets sur les comptes sociaux ? Autant de questions auxquelles, en France, on se refuse de répondre, déplore Michèle Tribalat dans son nouvel essai.
"L'immigration est sacralisée au point que le désaccord ne peut exister et être raisonnablement débattu", affirme-t-elle, se donnant pour objectif de démonter un certain nombre d'idées reçues. Elle s'appuie notamment sur des analyses et travaux produits et débattus à l'étranger, en particulier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, mais qui n'ont que peu - voire aucun - écho dans l'Hexagone.
Nul ne contestera la quasi-inexistence, en France, des études d'impact, notamment économique, de l'immigration. Pour autant, la réflexion ne se réduit pas à des chiffres. L'usage de la statistique n'est lui-même jamais neutre, même si la directrice de recherche à l'Institut national d'études démographiques (INED) affirme en rester aux faits. Derrière sa dénonciation de l'aveuglement, de la "falsification ou présentation incorrecte" de la réalité, elle-même s'inquiète d'une supposée perte de souveraineté de l'Etat-nation, prenant ainsi une posture idéologique.
Ainsi Michèle Tribalat insiste-t-elle sur le changement fondamental de notre régime migratoire, qu'elle qualifie d'"auto-engendrement des flux familiaux" : si hier l'immigration familiale suivait l'entrée de travailleurs, désormais une bonne partie de l'immigration étrangère passe par la création ou l'activation de liens familiaux. Un phénomène que l'on aurait sous-estimé en "rusant avec les chiffres pour relativiser l'immigration étrangère aux yeux de l'opinion publique".
Mais derrière ce constat, c'est "l'intrusion croissante du contrôle judiciaire" et le déclin des autorités nationales en faveur d'une gouvernance européenne que pointe Michèle Tribalat. Les entrées sur le territoire pour motif familial étant attachées à des droits supranationaux, l'Etat ne pourrait plus, selon elle, avoir prise sur ces flux.
Michèle Tribalat pourfend, avec des accents souverainistes, "l'idéologie progressiste transnationale" que véhiculerait l'idée de gouvernance mondiale, associant pays de départ, pays d'accueil et migrants. Mais la gestion des migrations peut-elle relever exclusivement des seuls Etats nationaux, et a fortiori des seuls pays d'accueil ? La réponse de Michèle Tribalat est, de ce point de vue, un peu courte. Regarder lucidement l'immigration n'interdit pas d'adopter à l'égard de cette réalité sociale une approche plus constructive.
LES YEUX GRANDS FERMÉS. L'IMMIGRATION EN FRANCE de Michèle Tribalat. éd. Denoël, 240 p., 19 €.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire