dimanche, janvier 24, 2010

Le placement en rétention des Kurdes échoués en Corse est jugé illégal

Le Monde du 26.01.10

Dimanche soir, 94 des 123 exilés avaient été remis en liberté par les juges des libertés. Le ministre de l'immigration, Eric Besson, a justifié leur rétention par un souci de « protection des personnes »

Remis en liberté ou probablement en passe de l'être, les 123 exilés kurdes découverts vendredi 22 janvier sur une plage du sud de la Corse auront finalement passé peu de temps en rétention. Dimanche soir 24 janvier, les juges des libertés et de la détention de Marseille, Nîmes et Rennes ont libéré 94 d'entre eux des centres de rétention administrative (CRA) où ils avaient été transférés samedi, 24 heures à peine après leur découverte. Ces décisions de justice ont aussitôt été qualifiées par les associations d'aide aux réfugiés de « désaveu des improvisations » du ministre de l'immigration, Eric Besson. Les juges ont notamment estimé que la privation de liberté de ces migrants s'était faite hors de tout cadre juridique légal « puisqu'ils n'avaient pas été placés en garde à vue ».

Fallait-il placer en rétention ces exilés kurdes venant de Syrie, alors qu'ils sollicitent la protection de la France ? « Face à des situations d'urgence, la protection des personnes prime sur le pointillisme procédural », a fait valoir, dimanche soir, Eric Besson. Le ministre a expliqué avoir « préféré un transfert rapide » de ces personnes vers cinq centres de rétention sur le continent (Marseille, Nîmes, Lyon, Toulouse, Rennes), car c'était le « seul cadre juridique disponible pour des ressortissants étrangers en situation irrégulière ». Sans convaincre les associations d'aide aux réfugiés qui, en pleine campagne des élections régionales, ont dénoncé une grave atteinte au droit d'asile. Pour elles, la place de ces exilés, sans papiers ni visa mais demandant la protection de la France, était en centre d'accueil pour demandeurs d'asile et non en rétention.

Contacté par Le Monde samedi, le préfet de Corse, Stéphane Bouillon assurait qu'il n'avait pas eu d'autre choix que de notifier à ces exilés un arrêté de reconduite à la frontière et donc leur placement en rétention « pour les garder ». Sans cela, l'Etat « n'aurait eu aucune possibilité de vérifier qui ils étaient et si parmi eux il y avait des passeurs ». « Cela ne leur interdit pas pour autant de demander l'asile », relevait-il.

En rétention cependant, les demandes d'asile sont examinées en procédure prioritaire et non en procédure normale : l'étranger dispose de cinq jours seulement (et non de 21) pour déposer son dossier. Il se voit retirer toute possibilité d'être entendu par la Cour nationale du droit d'asile en cas de rejet de sa demande par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) qui statue dans des délais très brefs.

« Procédure normale »

Face aux critiques suscités par le transfert en rétention de ces exilés kurdes, M. Besson a justifié son choix par le souci d'assurer à ces personnes « une visite médicale, une évaluation individuelle de leur situation, un hébergement adapté notamment pour les familles et d'une assistance dans leur droit ». Selon lui, « il était impossible d'amener en quelques heures à la pointe sud de la Corse des dizaines d'interprètes, d'avocats, de médecins et de trouver sur place un local de rétention administrative respectant les normes en vigueur ».

Pressentant cependant la libération des exilés kurdes par la justice, le ministre affirmait dans le même temps que leurs demandes d'asile seraient instruites par l'Ofpra en « procédure normale et non accélérée. » Les associations continuent cependant d'exiger que soient retirés les arrêtés de reconduite à la frontière pris à leur encontre, sans attendre que les tribunaux administratifs statuent définitivement sur leur légalité. Tant qu'elles sont encore sous le coup d'une mesure d'éloignement, les personnes, bien que libérées, ne peuvent en effet exercer leur droit d'asile en bénéficiant de la procédure régulière. Dimanche soir, les 94 réfugiés kurdes libérés ont dormi à l'abri, dans des lieux d'hébergement réquisitionnés par les préfectures des Bouches-du-Rhône, du Gard et d'Ille-et-Vilaine. Le cabinet du ministre de l'immigration expliquait que les préfets avaient été mobilisés pour leur trouver des places en centres d'hébergement d'urgence.

En Corse, l'enquête du parquet d'Ajaccio sur les conditions d'arrivée des 123 réfugiés sur le territoire français se poursuit. Les recherches menées en Sardaigne pour tenter de retrouver le bateau qui les aurait déposés se sont révélées vaines. Les enquêteurs doutent de plus en plus que les migrants aient pu arriver directement par la mer. « Il est possible qu'ils soient arrivés en Corse à bord d'un camion en provenance de Sardaigne et ayant fait la traversée par ferry », expliquait samedi, le préfet de Corse.

Laetitia Van Eeckhout

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