Le Monde du 21.01.10
Fondée sur le droit du sang, la législation actuelle fragilise l'insertion des étrangers, qui représentent 10 % de la population. Le droit de vote aux élections locales leur serait accordé
S'il avait eu le droit de voter en Grèce, Elias Tzogonas aurait donné sa voix au Pasok, le parti du nouveau premier ministre socialiste, Georges Papandréou. Pour une simple raison : dans le programme qu'il s'apprête à mettre en oeuvre, le gouvernement élu en octobre 2009 a glissé un projet de réforme du code de la nationalité qui devrait changer sa vie. Et entraîner, au-delà de son propre cas, une véritable révolution culturelle.
Elias a beau n'avoir étudié, travaillé légalement qu'en Grèce, il n'a toujours pas, à 35 ans, la nationalité grecque. De son Kenya natal qu'il a quitté avec ses parents à l'âge de 3 ans, il ne connaît rien. « Je ne suis que grec, dit-il. Mes souvenirs sont grecs, j'ai joué et je me suis blessé ici, toutes les marques sur mon corps sont grecques. »
D'année en année, il galère pour obtenir à Athènes un permis de séjour terriblement coûteux et au renouvellement incertain. Des « Elias », la Grèce en compte environ 130 000, les enfants des quelque 750 000 immigrés ayant réussi depuis vingt ans à légaliser peu ou prou leur situation. S'y ajoutent 250 000 « illégaux », arrivés après la dernière légalisation de 2005. Au total, les immigrés représentent un million de personnes, soit 10 % de la population, dont plus de la moitié venue de l'Albanie voisine.
Le projet de loi prévoit d'accorder la naturalisation à ces immigrés de la deuxième génération, nés ou scolarisés dans le pays, d'assouplir les règles de naturalisation pour la première génération et, pour les immigrés légaux, d'offrir le droit de vote et l'éligibilité limitée au poste de conseillers locaux.
Depuis vingt ans, les naturalisations sont exceptionnelles en Grèce et visent de préférence les personnes d'origine grecque et/ou de religion chrétienne orthodoxe, majoritaire dans le pays. La procédure est longue, incertaine, arbitraire. A leur majorité, les enfants d'immigrés sont soumis au régime du permis de séjour, comme s'ils venaient d'arriver la veille en Grèce. Le pays est, avec l'Autriche, le plus rigide en Europe en matière de naturalisation. « Nous voulons mettre fin à l'absurdité actuelle », note Andréas Takis, secrétaire général à l'immigration.
L'annonce du projet de loi anime les conversations dans les cafés, les débats dans les journaux et à la radio. Comme l'Irlande, l'Espagne, le Portugal ou l'Italie, la Grèce s'est transformée d'un coup de terre d'émigration en pays d'accueil, avec l'ouverture des frontières des anciens pays du bloc communiste après 1989. La Grèce a acquis une mauvaise réputation de racisme ordinaire. Les organisations internationales ont souvent dénoncé le pays pour le mauvais traitement de ses immigrés.
La réforme du code de la nationalité est un coup porté à la tradition. Dans un pays où la législation qui s'applique n'est pas le droit du sol mais le droit du sang, analyse Dimitris Christopoulos, président de la Ligue hellénique des droits de l'homme, « devenir grec c'est une notion taboue. D'une part, le mythe a été cultivé, jusque dans les programmes scolaires, d'une homogénéité ethnique et religieuse du peuple hellène, continue depuis l'Antiquité. D'autre part, pendant la dictature des colonels, le retrait de la nationalité était un instrument majeur de l'autorité ».
Pour la première fois, la question, explosive, est donc posée sur la scène politique : une personne n'ayant pas de sang grec peut-elle être grecque ? « Albanais, Albanais, jamais tu ne deviendras grec », disait un fameux slogan skinhead, longtemps populaire dans les stades ou sur les murs d'Athènes.
Le gouvernement tente de ne pas trop dramatiser la question. La droite, elle, monte au créneau : « Vous créez l'impression qu'il suffit d'entrer en Grèce pour acquérir sous peu la nationalité, ce qui va alimenter encore plus l'immigration illégale », blâme Antonis Samaras, le chef de Nouvelle Démocratie, principal parti d'opposition de droite. Il déplore que l'on renonce à la « grécité » quand les Français, eux, « découvrent aujourd'hui l'importance et l'actualité de l'identité nationale ».
L'extrême droite, représentée au Parlement par les quinze députés du parti Laos, prédit une « invasion ». Sur le site du gouvernement, des internautes réclament un référendum pour préserver « l'homogénéité ethnique » du pays. Le gouvernement propose la réforme du code de la nationalité alors qu'en Grèce, aux confins orientaux ou transite un tiers de l'immigration irrégulière en Europe, la forte pression migratoire ne se relâche pas. Des quartiers d'Athènes sont devenus des ghettos misérables où s'entassent une partie de ces migrants, notamment irakiens, afghans ou somaliens.
Le recours présumé à la délinquance pour survivre affole l'opinion publique. Les opposants à la réforme tentent de l'exploiter. Avec un succès limité : selon un sondage commandé par la chaîne de télévision Méga, 64,9 % sont pour l'octroi de la nationalité à la deuxième génération, 49,6 % sont opposés au droit de vote.
Catherine Georgoutsos et Marion Van Renterghem
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire