Déracinés sans doute, mais très connectés
Grâce au téléphone portable ou aux réseaux sociaux sur le web, les migrants sont désormais moins coupés de leurs proches. Cette évolution va changer l'image de l'immigré, explique le quotidien suisse Le Temps.
courrierinternational.com
On se représente un immigré comme quelqu'un qui est parti de chez lui pour trouver du travail et qui est arrivé dans un pays où par chance il a pu se brancher sur le monde de l'emploi. Il a rompu ses liens familiaux et sociaux d'origine mais, étranger là où il est arrivé, il n'est pas intégré. On le voit absent de son pays d'origine, qu'il a quitté, et absent de son pays d'accueil, où il n'a pas de place évidente, sinon chez son employeur pendant la période du contrat s'il y en a un. Cette double absence, d'ici et de là-bas, a forgé toute une imagerie de la migration, qui tourne autour du malheur, de la rupture et du besoin d'intégration. Le migrant est un "déraciné".
Cette vision de la migration, construite au temps des voyages longs, du téléphone cher, du courrier postal lent et des attaches nationales contrôlées, ne correspond plus entièrement à la réalité vécue par les migrants. Plusieurs études montrent que ceux-ci sont de plus en plus insérés dans une nouvelle mobilité. Le nomadisme se répand, qu'il s'agisse de migrations à but économique, du voyage comme mode de vie, du tourisme qui finit par l'adoption d'un nouveau lieu de résidence… Tous ces nomades seraient-ils des déracinés ?
Tout au contraire, affirme Dana Diminescu. Grâce aux technologies de l'information, "il est de plus en plus fréquent que les migrants parviennent à maintenir à distance des relations qui s'apparentent à des liens de proximité". Ils sont présents auprès de leur famille restée là-bas, présents auprès d'autres migrants de même origine disséminés dans le monde, y compris dans le pays où ils résident, présents aussi auprès de la société dans laquelle ils vivent grâce aux réseaux d'amitié ou d'intérêt qu'ils créent. "Grâce à ce nouvel environnement technologique, il est plus facile aujourd'hui de vivre à la fois chez soi et dans le pays d'accueil ou ailleurs, et cela d'une manière quotidienne", déclare Dana Diminescu.
Ses recherches dans le cadre de la Maison des sciences de l'homme à Paris et à l'école d'ingénieurs Télécom ParisTech, ont conduit la sociologue à dessiner le profil du "migrant connecté". Au lieu de sa double absence – ni ici ni là-bas –, c'est sa participation à une variété de réseaux sociaux, nationaux et transnationaux qu'il faut prendre en compte.
Pour comprendre le migrant connecté, dit Dana Diminescu, il faut commencer par l'inventaire des objets qu'il porte sur lui et qui lui donnent l'accès à ses réseaux d'attachement : à un pays par le passeport avec puce ou le visa biométrique, à sa famille et ses amis par le téléphone mobile et Internet, aux institutions par les cartes d'accès, aux réseaux de transport par le Navigo, aux banques par la carte bancaire, aux services sociaux par la carte de santé, etc. Ce sont autant d'indicateurs de la mobilité et de la connectivité des gens et, finalement, du degré d'intégration des migrants.
Internet joue un rôle particulier, explique la chercheuse. Avec Skype, YouTube, Yahoo ! Messenger, des communautés de migrants internautes de diverses origines se constituent.
Pour Dana Diminescu, le passage du migrant déraciné au migrant connecté change complètement l'approche politique des migrations, tant dans les pays de départ que dans les pays d'accueil.
Les Philippines, par exemple, ont créé une carte électronique qui fait office de passeport, de carte bancaire, de carte de soins médicaux dans les pays d'accueil, de carte électorale.
Le Maroc, la Turquie, la Colombie, le Mexique, l'Inde ont créé "le réseau des réseaux" sur la Toile dans l'espoir de canaliser les interactions de leurs ressortissants. "L'Etat-nation ne meurt pas avec la mondialisation, dit la chercheuse, il s'y adapte en se donnant les moyens d'y résister." Il cherche ainsi à conforter une présence au pays dans un espace qui n'est plus délimité par les frontières territoriales.
Etre intégré, aujourd'hui, dit Dana Diminescu, consiste à être connecté, et surtout "rester connecté" grâce à tous les systèmes digitalisés qui facilitent la vie : trouver un emploi, trouver un logement, trouver un conjoint, bouger, etc.
Néanmoins, le migrant connecté n'a pas encore remplacé sur la scène du débat la figure du migrant déraciné qu'il faut sédentariser et assimiler.
Repères
Dans nombre de villes du monde, des "agoras électroniques" sont fréquentées par les immigrés. Des portails communautaires dédiés à la vie dans le pays d'accueil diffusent tous les "tuyaux" utiles. Mais d'autres liens se forment sur le web entre migrants de même origine installés ici et là dans le monde. Le Temps relate ainsi l'expérience d'un paysan roumain émigré en Espagne, qui, par des vidéos postées sur YouTube, communique avec tout son village mais également avec des immigrés roumains du Canada, des Etats-Unis, de Suisse. Grâce à cette communication tous azimuts, les échanges sur les situations précaires vécues par certains permettent aux immigrés de s'entraider et de désamorcer les difficultés.
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