« L'immigration irrégulière constitue un phénomène complexe qui recouvre des situations extrêmement variées.
Un étranger peut entrer irrégulièrement sur le territoire national mais ne pas désirer y séjourner : la France est en effet à la fois un pays de destination et un pays de transit, une étape sur un parcours devant conduire les immigrants irréguliers dans d'autres pays occidentaux, Royaume Uni, Etats-Unis, Canada notamment.
S'il souhaite demeurer sur notre sol et si l'administration accepte de régulariser sa situation en lui accordant un titre de séjour, elle ne peut plus, par la suite, lui opposer l'irrégularité de son entrée sur le territoire national.
Un étranger peut s'être maintenu sur le territoire français pendant plus de trois mois après être entré en France sans demander de titre de séjour. Ayant sollicité la délivrance d'un titre de séjour, il peut ne pas l'avoir obtenue. Après avoir été titulaire d'un titre de séjour, il peut n'avoir pas demandé ou obtenu son renouvellement. Enfin, il peut s'être vu retirer son titre de séjour.
Les étrangers en situation irrégulière ne sont donc pas tous des clandestins. Seuls le sont ceux qui n'ont jamais eu affaire à l'administration.
La pression migratoire semble plus forte outre-mer qu'en métropole et se caractérise par un recours de plus en plus important à la fraude.
Outre-mer : des entrées irrégulières massives
Les collectivités territoriales d'outre-mer ne font pas partie de l'espace Schengen. Les liens séculaires, les différences considérables de niveaux de vie et la perméabilité des frontières entre la Guyane, la Guadeloupe, Mayotte et les Etats qui les environnent les exposent à une pression migratoire extrêmement forte. Les autres collectivités sont moins touchées. (…)
[En Guyane], les mouvements de population se sont accentués à mesure que les différences de niveaux de vie se creusaient entre cette collectivité et les Etats de la région. Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Philippe Leyssène, directeur des affaires économiques, sociales et culturelles au ministère de l'outre-mer, a ainsi rappelé que, selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), le produit intérieur brut par habitant de la Guyane représentait en 2002 treize fois celui du Surinam, quinze fois celui du Guyana et trente-neuf fois celui d'Haïti.
L'attractivité du territoire guyanais tient également au développement de la pratique de l'orpaillage clandestin : selon la direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement, le nombre de personnes présentes sur des sites d'orpaillage clandestin serait de l'ordre de 5.000 à 10.000. En comparaison, 900 personnes seulement travaillent sur des sites d'orpaillage légaux, qui font l'objet d'une concession.
Enfin, la guerre civile qui a fait rage au Surinam au milieu des années 1980 a entraîné un afflux de migrants, appelés les « personnes provisoirement déplacées du Surinam » (PPDS). Un grand nombre d'entre eux sont demeurés sur le sol guyanais et ont pu souhaiter faire venir leurs concitoyens.
Immenses, les frontières de la Guyane s'avèrent extrêmement difficiles à contrôler, même si le nombre des non admis est passé de 1.546 en 2001 à 6.570 en 2004. Leur perméabilité explique, selon la police aux frontières de Saint-Laurent du Maroni, qu'environ 40 % des personnes faisant l'objet d'un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière sont déjà connues des services de police. (…)
La Guadeloupe est actuellement soumise à une forte pression migratoire. Les mouvements de population entre les îles de la Caraïbe sont anciens. Comme en Guyane, ils se sont accentués à mesure que s'accroissaient les différences de niveau de vie. Lors de son audition, M. Richard Samuel, haut fonctionnaire de défense, directeur des affaires politiques, administratives et financières au ministère de l'outre-mer, a exposé que le produit intérieur brut par habitant était de 14.037 euros en Guadeloupe en 2002, alors qu'il atteignait seulement 1.610 euros à Haïti et 5.640 euros à La Dominique. Il a rappelé que l'indice de développement humain d'Haïti classait cet Etat au 149e rang mondial, alors que la Guadeloupe, si elle était un Etat, serait classée au 33e rang mondial. Cette pression était aggravée, jusqu'à une période très récente, par la situation politique d'Haïti qui a conduit un grand nombre de ses ressortissants à présenter une demande d'asile : 1.544 en 2004 et 3.348 au cours des onze premiers mois de l'année 2005.
La faiblesse du nombre des non admis -394 en 2001, 189 en 2004- témoigne de la perméabilité des frontières. (…)
A Saint-Martin, la difficulté essentielle tient à l'absence de frontière clairement matérialisée entre les parties française et néerlandaise de l'île. De ce fait, de nombreux immigrants de la Caraïbe, pour lesquels aucun visa n'est exigé à Sint-Maarten alors qu'il est requis pour l'entrée sur le territoire national, pénètrent facilement dans la partie française. Les autorités des Antilles néerlandaises ont mis en place un nouveau document-type de séjour mieux sécurisé mais les anciens titres, aisément falsifiables, conservent toujours leur valeur. (…)
Mayotte est soumise à une forte pression migratoire qui s'explique autant par la géographie que par l'histoire et l'économie. (…)
La création de frontières [après l’indépendance des autres îles de l’archipel] n'a pas pour autant mis fin à des mouvements de population anciens, qui reposent sur les liens économiques mais aussi familiaux entre les habitants des différentes îles de l'archipel et qui ont pris une importance considérable avec l'inversion marquée des différences de niveaux de vie et d'équipements entre Mayotte et les Comores. Lors de son audition, M. Richard Samuel, haut fonctionnaire de défense, directeur des affaires politiques, administratives et financières au ministère de l'outre-mer, a indiqué que le SMIC mahorais représentait, certes, 48 % du SMIC métropolitain, mais que le produit national brut par habitant de cette collectivité était, en mai 2005, neuf fois supérieur à celui des Comores, qui s'élève seulement à 431 euros. En 1975, Mayotte était l'île de l'archipel la moins développée et ses habitants avaient le sentiment d'être tenus dans un profond mépris par ceux des autres îles. (…)
En métropole : des entrées régulières suivies d'un séjour irrégulier
La plupart des personnes entendues par la commission d'enquête s'accordent pour considérer que les étrangers en situation irrégulière, en métropole, sont généralement entrés régulièrement sur le territoire national et s'y sont maintenus irrégulièrement.
Les frontières extérieures de l'espace Schengen situées en France sont en effet peu nombreuses -frontière avec la Suisse, aéroports, ports, gares- et, dans l'ensemble, bien surveillées. Les chiffres publiés dans le deuxième rapport sur les orientations de la politique de l'immigration, remis par le Gouvernement au Parlement au mois de février 2006, témoignent à la fois de l'activité des services de la police aux frontières et de l'ampleur de la pression migratoire : en 2005, 23.542 personnes ont fait l'objet d'un refus d'admission, contre 20.893 en 2004, et 16.157 ont été placées en zone d'attente, contre 17.098 en 2004. La plateforme aéroportuaire de Roissy concentre à elle seule la moitié des mesures de réadmission et 80 % des placements en zone d'attente.Les contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen ayant été supprimés, les étrangers désireux de se rendre en France peuvent tenter de franchir irrégulièrement les frontières extérieures d'autres Etats membres, jugées plus perméables. Il a ainsi été rapporté aux membres de la commission d'enquête qui se sont rendus dans les Bouches-du-Rhône qu'un grand nombre d'étrangers accédaient irrégulièrement au territoire français en passant par l'Italie ou l'Espagne.
Lors de son audition, M. Eric Le Douaron, directeur central de la police aux frontières, a confirmé que la frontière terrestre la plus sensible était celle avec l'Italie. Il a par ailleurs estimé que la pression migratoire en métropole se répartissait quasiment à parts égales entre les frontières aériennes extérieures de l'espace Schengen et les frontières terrestres intérieures.
La solidarité entre les Etats membres de cet espace doit donc être sans faille. A cet égard, la délégation de la commission d'enquête qui s'est rendue en Roumanie au mois de mars 2006 a pu constater, dans la perspective de l'adhésion de cet Etat à l'Union européenne en 2007, que les futures frontières extérieures de l'Union faisaient l'objet d'une surveillance rigoureuse au moyen de technologies sophistiquées.
La rigueur des contrôles, si elle n'est pas totalement dissuasive, conduit un grand nombre d'étrangers à essayer de se maintenir en France après y être entrés régulièrement. (…)
Dans une réponse écrite à une question qui lui était posée sur les moyens d'améliorer la connaissance de l'immigration irrégulière, M. Patrick Stefanini, secrétaire général du Comité interministériel de contrôle de l'immigration, indique qu'« au-delà du cas général des étrangers non demandeurs d'asile qui entrent en France de façon irrégulière ou qui, entrés en France régulièrement, s'y maintiennent irrégulièrement, une part très importante du nombre des personnes en situation irrégulière correspond, depuis la fin des années 1990, à des demandeurs d'asile dont la demande a été définitivement rejetée par l'OFPRA ou par la Commission des recours des réfugiés. » Cette présence d'un grand nombre de déboutés du droit d'asile parmi les étrangers en situation irrégulière mérite une mention spécifique.
Le droit d'asile est garanti à la fois par la Constitution française et la convention de Genève du 28 juillet 1951. Ceux qui demandent à en bénéficier ne peuvent se voir refuser l'accès au territoire au motif qu'ils sont dépourvus des documents exigés -2.278 demandes d'asile à la frontière ont été enregistrées en 2005, contre 2.513 en 2004 et 5.912 en 2003. Toutefois, si leur demande de reconnaissance du statut de réfugié est finalement rejetée, ils seront considérés comme étant entrés irrégulièrement en France, ce qui fera le plus souvent obstacle à la régularisation de leur situation à un autre titre. (…)
Lors de son audition par la commission d'enquête, M. Jean-Loup Kuhn-Delforge, directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), a estimé que le taux extrêmement élevé de rejet des demandes d'asile (85 %) attestait l'existence de tentatives de détournement de la procédure.
Le développement de la fraude
La rigueur des règles d'entrée et de séjour en France et des contrôles effectués pour en assurer le respect conduit au développement de pratiques frauduleuses. Trois d'entre elles peuvent être mises en exergue : la fraude documentaire, les mariages de complaisance et les reconnaissances de paternité fictive. Quant à la procédure permettant à des étrangers malades de rester en France pour s'y faire soigner, elle semble faire l'objet de détournements.
La fraude documentaire est en plein essor même si, comme le souligne notre collègue M. Jean-René Lecerf dans son rapport au nom de la mission d'information de la commission des Lois sur la nouvelle génération de documents d'identité et la fraude documentaire présidée par notre collègue M. Charles Guené, sa quantification s'avère difficile, en raison notamment de l'absence de centralisation des informations et d'harmonisation des statistiques (2). (…)
Les mariages de complaisance ou forcés constituent un autre moyen d'accès au territoire français, auquel les étrangers peuvent être tentés de recourir si les voies légales leur sont fermées. (…)
Chaque année, environ 270.000 mariages sont célébrés en France, dont 45.000 mariages mixtes, et 45.000 mariages célébrés à l'étranger -la quasi-totalité entre un ressortissant français et un ressortissant étranger- sont transcrits sur les registres de l'état civil français. (…)
En définitive, près d'un mariage sur trois, du moins pour ceux qui sont enregistrés en France, est un mariage mixte et la moitié des titres de séjour est délivrée à des ressortissants étrangers de conjoints français. 36.000 acquisitions de la nationalité française ont été prononcées au titre du mariage en 2005, 95 % des demandes étant couronnées de succès. Entre 1999 et 2004, la progression de leur nombre a été de 34 %. (…)
Les reconnaissances de paternité fictive constituent une troisième catégorie de fraudes destinées à permettre l'obtention d'un titre de séjour.
Est en effet français l'enfant dont l'un des parents au moins est français (3). Jusqu'à la loi du 26 novembre 2003, le parent étranger d'un enfant français obtenait de plein droit la carte de résident. Depuis lors, il bénéficie, également de plein droit, de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale », à la condition de contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant. (…)
Le ministère de la Justice ne dispose pas de statistiques sur les reconnaissances de paternité de complaisance. Celui des Affaires étrangères souligne quant à lui qu'elles sont de plus en plus nombreuses, sans non plus véritablement étayer ce constat.
Le phénomène revêt une acuité certaine outre-mer, tout particulièrement à Mayotte où le nombre des reconnaissances de paternité a quintuplé entre 2001 et 2004, passant de 882 à 4.146. A titre de comparaison, le nombre des actes de naissance est passé de 6.619 à 7.676. (…)
L'abus de l'utilisation de la procédure des « étrangers malades » constitue également l'un des moyens pour les étrangers de se maintenir sur le territoire français. L'article L.° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose, en effet, qu'une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit à "l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire".
Les statistiques communiquées par le ministère de la cohésion sociale font en effet apparaître une véritable explosion des demandes de titres de séjour fondées sur ce motif. Ainsi, le nombre de demandes est passé, pour l'ensemble du territoire métropolitain, de 1.078 en 1998 à 28.797 en 2004, soit une multiplication par 28 en l'espace de six ans. Ces demandes sont justifiées en premier lieu par des affections psychiatriques ou liées au virus du sida. A eux seuls, les ressortissants d'Algérie représentent 28 % des avis émis par les médecins inspecteurs de santé publique, chargés de donner aux préfets un avis médical sur la réalité de l'affection présentée.
Les demandes présentées sur le fondement de l'article L. ont conduit à la délivrance de 16.164 cartes de séjour temporaire en 2004.
Sur le terrain, cet accroissement considérable est souvent expliqué par le fait que cette procédure apparaît souvent comme la dernière chance pour un étranger de se maintenir sur le territoire métropolitain, lorsque toutes ses demandes fondées sur d'autres dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ont échoué. Elle est donc utilisée par les étrangers même quand leur demande n'est manifestement pas justifiée, le refus de l'administration de délivrer un titre de séjour sur ce chef donnant lieu, dans la plupart des cas, à un recours devant le juge administratif. »
Les sénateurs soulignent en outre que les filières d’immigration clandestine sont de plus en plus structurées, en métropole comme outre-mer.
La commission d’enquête analyse également les conséquences néfastes de ce phénomène. Le rapport rappelle que les étrangers en situation irrégulière en sont les premières victimes (entrées périlleuses, conditions de vie difficiles). Il dénonce "les dysfonctionnements économiques et sociaux induits" par l’immigration clandestine (développement du travail illégal, facteur d’insécurité et de délinquance) et son impact sur l’accueil et l’intégration des étrangers en situation régulière (distraction des moyens des services de l’Etat au détriment de la politique d’intégration, incidence sur les conditions de vie des étrangers en situation régulière). Les sénateurs soulignent d’ailleurs que ces conséquences sont aggravées outre-mer (charge considérable pour les services publics, réapparition de bidonvilles, travail illégal généralisé, véritable fuite des capitaux, stabilité politique ébranlée).
(1) En juillet 2005, les deux chefs d'Etat ont signé le projet d'accord relatif à la construction du pont. L'inauguration est prévue pour 2008.
(2) Rapport n°), page 19.
(3) Article 18 du code civil.
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