vendredi, avril 21, 2006

Un recours en excès de pouvoir est déposé contre une circulaire sur les étrangers en situation irrégulière

LE MONDE | 19.04.06

Inquiets de voir se multiplier ce qu'ils qualifient de "véritables traques aux sans-papiers", le Syndicat de la magistrature (SM), le Groupe d'information et de soutien aux immigrés (Gisti), la Ligue des droits de l'homme (LDH), la Cimade et le Syndicat des avocats de France (SAF), soutenus par les organisations membres du collectif Uni(e)s contre l'immigration jetable, ont déposé, mercredi 19 avril, un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d'Etat contre la circulaire portant sur les "conditions d'interpellation d'un étranger en situation irrégulière".


Adressé, le 21 février, par les ministres de l'intérieur et de la justice à l'ensemble des préfets et procureurs, ce texte précise, dans le détail, la marche à suivre pour procéder à des interpellations "sur la voie publique, aux guichets des préfectures, au domicile ou dans les foyers et centres d'hébergement" (Le Monde du 8 mars).

Selon un arrêt du Conseil d'Etat du 18 décembre 2002, une circulaire peut faire l'objet d'un recours dès lors qu'elle revêt, par son degré d'autorité, un caractère normatif. Pour les requérants, ce caractère s'applique à la circulaire du 21 février.

La description, notamment, de la démarche à suivre pour les interpellations aux guichets des préfectures illustre la logique et l'esprit qui ont présidé à la rédaction de la circulaire. Celle-ci fournit, en annexe, un "modèle" de convocation et précise que la missive "doit" être "brève et la plus simple possible", "toutes indications relatives à l'éventualité d'un placement en rétention, tout descriptif (étant) à proscrire".

Ces dispositions, "par les termes employés", qui font "obligation aux agents", revêtent un "caractère impératif", estiment les requérants, pour lesquels il y a bien là "excès de pouvoir". Ces dispositions constituent, en outre, un "détournement de procédure", soutiennent-ils, car "l'administration utilise une procédure de convocation d'un étranger - utilisée normalement pour examiner sa situation administrative - à une autre fin, à savoir l'exécution d'une mesure de reconduite à la frontière".

"GUET-APENS"

Une telle démarche, font-ils valoir, risque d'entamer fortement les droits des demandeurs d'asile déboutés une première fois et qui écrivent à la préfecture afin de solliciter le réexamen de leur dossier. "Le même guet-apens (leur) sera tendu, expliquent les requérants dans leurs recours. Ceux-ci seront invités, dans les mêmes termes déloyaux, à se présenter au guichet afin d'obtenir leur admission au séjour, condition préalable incontournable au réexamen de leur dossier par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) (...). Qu'ils se présentent au guichet spontanément ou en réponse à une convocation, ils se verront systématiquement interpellés et placés en rétention."

Or, lorsque l'intéressé est placé en rétention, il n'a plus le droit d'être entendu par l'Ofpra, lequel doit statuer dans un délai de 96 heures. "L'application de la circulaire aura donc pour conséquence de détourner les demandeurs d'asile déboutés des préfectures, insistent les requérants, les empêchant ainsi de déposer leur demande de réexamen, alors même qu'ils détiennent des éléments nouveaux convaincants."

Le détournement de la procédure de garde à vue telle qu'elle est édictée par la circulaire est "manifeste et évident", estime Michel Tubiana, président d'honneur de la LDH. Le texte ministériel indique qu'"il est parfaitement licite aux officiers de police judiciaire de placer en garde à vue une personne se trouvant en situation irrégulière quand bien même cette mesure déboucherait sur un classement sans suite pour laisser prospérer la seule procédure administrative d'éloignement du territoire". Or "la garde à vue n'est pas faite pour éloigner des personnes", insiste Michel Tubiana.

Laetitia Van Eeckhout

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