1. émergence de principes généraux du droit des réfugiés
Le Conseil d’Etat a déduit pour la première fois d’une convention internationale (la convention de Genève), l’existence d’un principe général du droit des réfugiés. Il a ainsi posé le principe de l’interdiction de la remise pour quelque motif que ce soit d’un réfugié aux autorités de son pays d’origine (CE, 1er avril 1988, 85234, M.B.) : « les principes généraux du droit des réfugiés, résultant notamment de la définition du réfugié politique donnée par la convention de Genève font obstacle à ce qu’un réfugié soit remis de quelque manière que ce soit , par un Etat qui lui reconnaît cette qualité aux autorités de son pays d’origine », et celui du droit pour l’étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié de demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande , sous réserve des demandes abusives ou dilatoires (CE, ass. 13 décembre 1991, M.N.).
Le juge a estimé que « les principes généraux du droit applicables aux réfugiés, résultant notamment des stipulations de la Convention de Genève, imposent, en vue d’assurer pleinement au réfugié la protection prévue par ladite Convention, que la même qualité soit reconnue à la personne de même nationalité qui était unie par le mariage à un réfugié à la date à laquelle celui-ci a demandé son admission au statut, ainsi qu’aux enfants mineurs de ce réfugié » (CE, ass. 2 décembre 1994, 112842, Mme A. et CE, 17 mai 2002, 216915, M.E).
2. questions de compétence et de procédure
a) la compétence de la Commission
Le Conseil d’Etat a déclaré la Commission incompétente pour se prononcer sur les recours formés contre les décisions refusant la qualité d’apatride (CE, sect. 9 octobre 1981, M.S).
Il a rappelé que la Commission devait surseoir à statuer et poser une question préjudicielle au juge judiciaire, lorsque la nationalité du requérant soulevait une difficulté sérieuse (CE, 27 mars 1981, M.T.). En revanche, elle ne tranche pas une question de nationalité lorsqu’elle considère que le requérant était en droit d’acquérir la nationalité d’un Etat (CE, 2 avril 1997, 160832, M.S).
La Commission ne peut se saisir elle-même pour rectifier une erreur matérielle entachant une de ses décisions. Elle doit être saisie de conclusions en ce sens (CE, 14 avril 1995, 130246, M.A).
C’est en revanche à bon droit qu’elle se déclare incompétente lorsqu’elle est saisie par un demandeur et non par un réfugié au titre de ses compétences consultatives (CE, 28 juillet 1995, 149067, M.B.).
b) les règles de recevabilité et de procédure
Le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour un mineur isolé de présenter une demande ; cependant, s’il n’a pas qualité pour agir, la Commission est tenue de l’inviter à régulariser sa requête avant de la déclarer irrecevable (CE, sect. 9 juillet 1997, 145518, Mlle K.). Le Conseil d’Etat a censuré une jurisprudence de la Commission consistant à considérer comme irrecevable le recours formé par un requérant dont l’identité n’était pas établie (CE, 7 février 1994, M.C ; CE, 10 décembre 1997, 171111, M.P).
Concernant le respect du délai du recours formé devant la Commission, le Conseil d’Etat contrôle l’exactitude des faits quant à la notification de la décision. (CE, 6 septembre 1993, 122342, M.K).
La preuve de la régularité de la notification de la décision du directeur de l’office incombe à ce dernier ( CE, 27 avril 1994, 140479, M.S).
Le requérant est tenu de faire connaître ses changements d’adresse, à moins qu’il ne fasse l’objet d’une décision de retrait de l’Office (CE, 21 octobre 1994, 116270, M.C). Les juges du fond apprécient alors souverainement si ce changement d’adresse a été effectivement communiqué (CE, 10 juillet 1996, 149680, M.B).
La signature de l’avis de réception de la décision du directeur de l’Ofpra par une personne autre que le destinataire n’est pas de nature à entacher d’irrégularité la décision (CE, 27 mai 1988, M.K). De même une altération de l’orthographe du nom du logeur du requérant n’est pas de nature à porter atteinte à la régularité de la notification de la décision (CE, 29 décembre 132291, M.N).
La formation d’un recours gracieux devant l’Ofpra ou le fait que le recours ait été adressé par erreur à l’Ofpra ne constituent pas des circonstances de nature à prolonger le délai de recours (CE, 25 juillet 1986, M.S ; CE, 11 juin 1993, 122240, M.B).
Le Conseil d’Etat a d’ailleurs estimé que seule l’existence d’une circonstance assimilable à un événement de force majeure était susceptible de relever le requérant de la forclusion (CE, 11 janvier 1995, 132583, Mlle I.).
Le recours présenté après le rejet d’une nouvelle demande par l’Office, ne peut être examiné au fond par cette juridiction que si l’intéressé invoque des faits intervenus postérieurement à la première décision juridictionnelle ou dont il est établi qu’il n’a pu en avoir connaissance que postérieurement à cette décision, et susceptibles, s’ils sont établis, de justifier les craintes de persécutions qu’il déclare éprouver (CE, sect. 27 janvier 1995, 129428, Mlle G).
Doivent être respectées toutes les règles générales de procédure dont l’application n’est pas écartée par une disposition législative expresse ou qui n’est pas inconciliable avec son organisation, par exemple, le fait de mentionner le nom des juges qui ont siégé (CE, 31 mars 1995, 148668, M.T).
Le Conseil d’Etat s’assure du respect du caractère contradictoire de la procédure, qui impose que les parties doivent toujours être à même de prendre connaissance du dossier tel qu’il est constitué avant le jugement de l’affaire (CE, 14 avril 1995, 134056, M.Y).
L’Office n’est pas tenu de produire des observations ni la Commission de mettre en demeure le directeur de l’Office d’en produire ( CE, 17 avril 1991, M.G).
La Commission a l’obligation de mettre les intéressés à même d’exercer la faculté qui leur est reconnue de présenter des observations orales . A cet effet, la Commission doit soit avertir le requérant de la date de la séance à laquelle son recours sera examiné, soit l’inviter à l’avance à lui faire connaître s’il a l’intention de présenter des explications verbales pour qu’en cas de réponse affirmative de sa part, elle l’avertisse ultérieurement de la date de la séance. Le respect de l’une ou l’autre de ces obligations suffit pour que le principe du contradictoire soit respecté (CE, 15 novembre 1991, M.T).
Aucune disposition législative ou réglementaire applicable à la procédure devant la Commission des recours des réfugiés, ni aucun principe général du droit, et notamment, pas celui tiré du caractère contradictoire de la procédure ou du respect des droits de la défense, n’impose à la Commission de faire savoir aux parties que sa décision est susceptible d’être fondée sur un moyen relevé d’office (CE, 6 janvier 1999, 172630, M.P).
La Commission ne statuant pas en matière civile, la composition de la Commission, telle que définie par la loi n’est pas contraire aux stipulations de l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CE, 6 septembre 1993, 101619, M.V).
Il incombe à la Commission, lorsque se produisent après la date de l’audience et avant que la décision n’ait été lue, des changements dans les circonstances de fait qui servent de fondement à cette décision, de rayer l’affaire du rôle et de rouvrir l’instruction contradictoire (CE, section, 19 novembre 1993, 100288, Mlle B.)
c) les pouvoirs du juge
Il appartient à la Commission, saisie d’un recours de plein contentieux, non d’apprécier la légalité de la décision qui lui est déférée au vu des seuls éléments dont pouvait disposer le directeur de l’Office mais de se prononcer elle-même sur le droit des intéressés d’après l’ensemble des circonstances de fait dont il est justifié, par l’une et l‘autre parties à la date de sa propre décision (CE, 8 janvier 1982, 24948, M.A).
3. caractère suffisant de la motivation
En statuant sans répondre aux observations de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides selon lesquelles il existait des raisons sérieuses de penser que l’intéressé s’était rendu coupable d’agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies, la Commission a insuffisamment motivé sa décision (CE, 21 juin 2002, 227491, OFPRA c/M.H).
Le contrôle du Conseil d’Etat juge de cassation, sur l’existence d’une motivation suffisante, porte sur l’ensemble des moyens (CE, 24 juillet 1981, M.C), à l’exception de ceux qui sont inopérants (CE, 27 février 1995, M.O) et sur l’ensemble des conclusions (CE, 21 juin 1989, M.C).
La Commission entache sa décision d’insuffisance de motivation et ne met pas le juge de cassation à même d’exercer son contrôle en ne se prononçant pas sur la valeur probante des documents produits (CE, 16 novembre 1998, 179713, M.N.), mais non lorsqu’elle ne précise pas les raisons pour lesquelles elle les juge dénués de valeur probante (CE, 21 mai 1997, 172161, M.S).
Quant aux mentions devant obligatoirement figurer sur la décision, il s’agit notamment du nom des juges qui ont participé au délibéré (CE, 31 mars 1995, 148668, M.T) et de la date de lecture de la décision (CE, 8 janvier 1982,M.S).
4. contrôle des faits
Le Conseil d’Etat contrôle tant l’exactitude matérielle des faits qui doit ressortir du dossier soumis aux juges du fond (CE, 8 décembre 1978, M.S) que leur éventuelle dénaturation (CE, 26 septembre 1994, M.O).
Il y a dénaturation des faits lorsque la juridiction estime que le requérant n’invoque, pour justifier son insoumission, aucun des motifs prévus par la convention de Genève, alors qu’il déclarait craindre de combattre, contrairement à ses convictions, la résistance afghane ( CE, 28 juillet 1989, M.B). Elle ne peut, non plus, sans dénaturer les pièces du dossier estimer que les craintes du requérant ne pouvaient être tenues pour établies, lorsqu’il est produit des pièces établissant ses activités au sein du Front islamique du salut et les poursuites dont il ferait l’objet (CE, 15 mai 1996, 153491, M.R).
Cependant, en relevant que ni les pièces du dossier ni les déclarations faites en séance publique ne permettent de tenir les faits pour établis ni les craintes pour fondées, la Commission se livre à une appréciation souveraine des faits qui n’est pas susceptible d’être discutée devant le juge de cassation (CE, 6 septembre 1993, 102716, M.C).
Le point de savoir si les faits sont de nature à faire craindre avec raison au requérant d’être persécuté relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (CE, sect. 27 mai 1988, M.M).
Enfin, son appréciation est encore souveraine lorsqu’elle estime qu’un lien matrimonial ou de filiation n’est pas établi par les pièces du dossier (CE, ass.2 décembre 1994, 112842, Mme A.).
5. contrôle de l’erreur de droit
Le Conseil d’Etat sanctionne l’erreur de droit (CE, 29 décembre 1993,M.C), qui repose sur une mauvaise interprétation des stipulations conventionnelles.
Erreurs de droit relevées par le juge de cassation :
Il y a erreur de droit lorsque la Commission se fonde sur les dispositions de l’article 18 du décret du 2 mai 1953 pour rejeter un recours comme irrecevable, faute pour le requérant d’avoir fourni des documents de nature à établir son identité (CE, 10 décembre 1997, 171111, M.P.).
Par ailleurs, la Commission n’a pu sans commettre d’erreur de droit refuser la qualité de réfugié au motif que le demandeur aurait trouvé un autre pays d’accueil (CE, Ass. 16 janvier 1981, M.C).
« En estimant ainsi que les craintes de persécutions alléguées par le requérant ne pouvaient être rattachées à l’appartenance à un groupe social au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, sans rechercher si les éléments qui lui étaient soumis sur la situation des transsexuels en Algérie permettaient de regarder ces derniers comme constituant un groupe dont les membres seraient, en raison des caractéristiques communes qui les définissent aux yeux des autorités et de la société algériennes, susceptibles d’être exposés à des persécutions, la Commission n’a pas légalement justifié sa décision » (CE, 23 juin 1997, 171858, O.).
Le Conseil a précisé que « si la commission d’un crime sur le territoire du pays d’accueil par un demandeur du statut de réfugié est passible de sanctions pénales et peut, le cas échéant, entraîner une expulsion dans les conditions prévues par les stipulations des articles 32 et 33 de la convention précitée du 28 juillet 1951, elle n’est pas au nombre des motifs pouvant légalement justifier un refus de reconnaissance de la qualité de réfugié par application des stipulations précitées du b) du paragraphe F de l’article 1er de la convention de Genève » (CE, 25 septembre 1998, 165525,M.R).
Il y a encore erreur de droit lorsque la Commission estime que la seule adhésion à un régime politique justifiait l’exclusion du bénéfice de la convention sans rechercher si l’intéressé s’était personnellement rendu coupable d’agissements contraires aux buts et principes des Nations unies (CE, 25 mars 1998, 170172, M.M).
Lorsque la Commission prononce le retrait de la qualité de réfugié en se fondant sur ce que le requérant aurait frauduleusement présenté une seconde demande sous une autre identité, sans rechercher si la première demande était également entachée de fraude, elle prive sa décision de base légale (CE, 12 décembre 1986, M.T).
L’erreur de droit peut aussi consister à retirer le statut sur le fondement de l’article 33, de la convention de Genève, qui interdit de refouler ou d’expulser un réfugié sur les territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée pour l’un des motifs prévus par l’article 1er A, 2 sans qu’il puisse se prévaloir de ces dispositions, s’il a été définitivement condamné pour un crime ou un délit particulièrement grave (CE, 21 mai 1997, 148997, M.P).
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