De l'utilité économique de l'immigration
Les dogmes sur la fermeture des frontières sont remis en cause.
Par Charlotte ROTMAN
LIBERATION.FR : Mardi 22 août 2006
Ce fut une belle bombe. En mars, une étude de la division de la population des Nations unies annonçait que l’Union européenne aurait, dans les cinquante ans à venir, besoin de 700 millions d’immigrés pour compenser le vieillissement de sa population. La France, selon ces projections, devrait accueillir 94 millions d’immigrés, soit une fois et demie sa population. Un chiffre exorbitant, «absurde» avoue aujourd’hui Joseph Grinblat, l’un des rédacteurs de l’étude. Et qui a enflammé les esprits dans les pays occidentaux. En France, dans un contexte de reprise de la croissance, le débat a immédiatement glissé vers le besoin de main-d’oeuvre immigrée.
«J’ai été le premier surpris par l’accueil fait à cette étude», confie le fonctionnaire de l’ONU, habitué à ce que la comptabilité démographique fasse moins de tapage. Joseph Grinblat intervenait cette semaine dans un colloque organisé à l’Unesco à Paris par l’Académie universelle des cultures, sur la notion de «migration de remplacement,» qu’il a lui-même forgée. Il explique volontiers qu’il n’y a rien de bien neuf dans ce rapport sur le vieillissement des populations. «Ce qui a été explosif, c’est de se demander si l’immigration pouvait combler ces déficits démographiques.»
Discours dogmatique. Au-delà des discussions techniques qu’elle a engendrées le très sérieux Institut national des études démographiques (Ined) sort ce mois-ci une note critiquant la méthodologie employée , cette étude a eu le mérite de renouveler le débat sur l’immigration. «Avant, l’immigration avait une image négative. Liée au syndrome de l’invasion, elle était considérée comme un coût économique et social. Là, on lui admet une utilité économique et culturelle», affirme Catherine Wihtol de Wenden, chercheuse au CNRS et auteur du livre Faut-il ouvrir les frontières? (1). La division «populations» des Nations unies a donc rompu avec un discours dogmatique sur la fermeture des frontières et sur l’immigration zéro, dominant en France depuis le milieu des années 70.
«Pour la main-d’oeuvre des vingt-cinq années à venir, la seule solution pour combler les manques c’est l’immigration», maintient Joseph Grinblat. Une solution à court terme qui soulève des objections. Dans les pays d’accueil d’abord, car, malgré les goulots d’étranglement, les taux de chômage restent importants. Et dans les pays de départ, car elle implique une ponction des plus diplômés. Pourtant, ces logiques ne relèvent pas forcément du pillage des cerveaux: «Des pays comme le Maroc ou l’Inde produisent plus de diplômés qu’ils ne peuvent en absorber», dit Catherine Wihtol de Wenden. Quant aux profils recherchés par les pays d’accueil, ils ne correspondent pas à ceux des nationaux au chômage. Dans la plupart des cas, ces emplois sont trop ou trop peu qualifiés. «A court terme, les pays d’accueil tout comme les migrants y trouvent leur compte, nuance la chercheuse. Mais il faudrait que les immigrés aient la possibilité d’aller et venir. Car, plus les frontières sont fermées, plus on les sédentarise.»
Réservoirs. Danièle Lochak, juriste spécialiste du droit des étrangers, est plus sévère. «On fait venir des gens dans tels secteurs, quand la France en a besoin, et on leur demande de partir quand on n’en a plus besoin.» En outre, remarque-t-elle, «la politique de Chevènement sur les élites, qui consiste à laisser entrer ceux dont on a besoin, se traduit d’une façon simple: on fait venir plus souvent des Japonais que des Africains.» Selon elle, ce système de réservoirs répond aux besoins des Etats, pas aux droits des individus. De plus, les rares délivrances de permis de travail (entre 6 000 et 7 000 l’an dernier en France) ne suppriment pas le dispositif répressif mis en place.
Après l’émotion provoquée par l’étude, y aura-t-il un retour à une politique instrumentaliste, qui gère les hommes comme des flux de matières premières? A la fin de son intervention au colloque de l’Unesco, Danièle Lochak mettait en garde le public: «Dans les années 50 et 60, les entrées étaient faciles, il n’y avait pas de visas, certes, mais rappelez-vous les bidonvilles! Il faut veiller à ne pas revenir aux Trente Glorieuses, quand l’immigration, elle, n’était vraiment pas glorieuse.».
http://www.liberation.fr/dossiers/sanspapiers/comprendre/199891.FR.php
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