La requérante, ressortissante togolaise, arrive en France munie d’un passeport et d’un visa touristique. Confiée à une Française d’origine togolaise dont elle devient « la domestique non rémunérée », elle se voit confisquer ses documents de voyage. Elle est ensuite confiée, avec l’accord de son père, aux « époux B. ». Elle travaille alors « sept jours par semaine, sans jour de repos, avec une autorisation de sortie exceptionnelle certains dimanches pour aller à la messe ». Les promesses pour régulariser sa situation administrative ne sont jamais tenues. Ayant réussi à s’enfuir, elle est prise en charge par le comité contre l’esclavage moderne qui entame une procédure contre les époux.
A. - Procédure en droit interne et devant la Cour européenne des droits de l'homme
En dernier ressort la cour d’appel de Versailles, saisie après renvoi par la Cour de cassation, considère que les éléments constitutifs du délit prévu par l’article 225-13 de l’ancien code pénal (abus de vulnérabilité ou d’une situation de dépendance pour la fourniture de services non rétribués) étaient réunis à l’encontre des prévenus. Elle estime cependant que tel n’était pas le cas pour les éléments constitutifs du délit prévu à l’article 225-14 (abus de vulnérabilité ou d’une situation de dépendance, pour soumettre une personne à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine). Parallèlement, le conseil de prud’hommes de Paris attribue une somme importante à la requérante au titre des rappels de salaires.
Devant la cour de Strasbourg la requérante s’estimait victime d’une violation de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme qui dispose que nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude, et que nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. Le Gouvernement estimait quant à lui que la requérante ne pouvait plus prétendre à la qualité de victime, la sanction prononcée par la cour d’appel de Versailles devant être considérée comme ayant permis la réparation de la violation, sa situation administrative ayant de plus été régularisée.
B. - Obligation positive de pénaliser l'esclavage et le travail forcé ou obligatoire
La Cour rappelle que l’article 4 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques, qu’aucune restriction n’y est prévue et qu’il ne souffre nulle dérogation, même en cas de guerre ou d’autre danger public menaçant la vie de la nation. Par ailleurs, elle estime que « limiter le respect de l’article 4 de la Convention aux seuls agissements directs des autorités de l’État irait à l’encontre des instruments internationaux spécifiquement consacrés à ce problème et reviendrait à vider celui-ci de sa substance ». Il en découle nécessairement que cette disposition implique des « obligations positives » au sens de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg : les gouvernements doivent adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent les pratiques visées par l’article 4 et doivent les appliquer.
C. - Qualification du travail forcé et de l'état de servitude
La cour constate, dans un premier temps, que « la requérante a, au minimum, été soumise à un travail forcé » du fait notamment que, mineure dans un pays étranger, « elle était en situation irrégulière sur le territoire français et craignait d’être arrêtée par la police. Les époux B. entretenaient d’ailleurs cette crainte et lui faisaient espérer une régularisation de sa situation ».
Dans un second temps, elle conclut que la requérante a bien été tenue en servitude, « astreinte à un travail forcé […] sept jours sur sept et environ quinze heures par jour […] mineure, elle était sans ressources, vulnérable et isolée, et n’avait aucun moyen de vivre ailleurs que chez les époux [qui la tenaient à leur merci] puisque ses papiers lui avaient été confisqués et qu’il lui avait été promis que sa situation serait régularisée ».
D. - Violation de l'article 4 pour non-respect des obligations positives incombant à la France
La cour va finalement conclure, à l’unanimité, à la violation des obligations positives qui incombaient à la France en vertu de l’article 4 de la Convention, du fait de l’absence de condamnation pénale des auteurs des actes : « les dispositions en vigueur à l’époque n’ont pas assuré à la requérante, qui était mineure, une protection concrète et effective contre les actes dont elle a été victime ». Par ailleurs, la Cour relève que, si la législation française a été modifiée depuis les faits pour prendre en compte ce genre de situation, « ces modifications, postérieures, n’étaient pas applicables à la situation de la requérante ». Cette circonstance est donc sans influence sur la solution du litige.
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