vendredi, février 29, 2008

Rétention des étrangers : un exemple

Source : RESF, Réseau édution sans frontières

Témoignage Cour d’appel du 35bis (Paris) devant laquelle comparaissaient des sans papiers arrêtés lors de la rafle du 12 février dans le foyer du 13° de Paris (Le foyer TAC est le Foyer Terre aux Curés à Paris 13°). Voir l’article expliquant les faits survenus 12 février 2008 au petit matin.

Samedi 16 février, Cour d’Appel du 35 bis, 15h15 : je parviens à entrer dans la salle où doivent être examinés les dossiers de 25 personnes arrêtées au foyer TAC. Les audiences ont commencé vers 9h30 ce matin. 6 heures plus tard, 4 personnes seulement sont passées, et seuls 2 jugements ont été rendus, après des délibérés infinis. Cette attente va se répéter tout au long de la journée, alors qu’invariablement la décision sera la même pour tous les retenus, à une exception près. Les délais vont juste un peu se raccourcir en soirée.

Les avocats (3 commis d’office et une d’astreinte) font l’hypothèse qu’il s’agit d’une juge très peu expérimentée dans ce domaine, et qui n’ose donc pas « prendre de décisions courageuses. ». Aucun d’entre eux ne la connaît, l’avocat de la Préfecture, lui-même, bien rodé dans sa tâche et d’une assurance à toute épreuve ( « Je n’ai aucun état d’âme dans le cadre de ce travail ») voit cette juge pour la première fois.

D’autres choses vont d’ailleurs surprendre. Ainsi lorsqu’en pleine audience le téléphone portable de l’avocate générale sonne et qu’elle y répond, sans aucune remarque de la Juge. Une telle attitude relève du « jamais vu » pour l’une des avocates, et peut selon elle être interprété « comme un signe de mépris total à l’égard de ce qui se passe dans cette cour ».


Le contraste singulier entre une juge qui « marche sur des œufs » et l’avocat de la Préfecture à l’aise comme un poisson dans l’eau, va de toute évidence peser, tout au long de la journée, en la défaveur des retenus. Quelques exemples :


concernant ………………… : un moyen nouveau est soulevé par l’avocate, à savoir la contradiction flagrante entre 2 points de procédure :
- lors du PV de GAV, il est écrit « M. n’a pas souhaité prévenir un membre de sa famille » (alors que son père habite dans le même foyer)

- il a coché la case « je désire faire aviser M. ………………(son père) dans un délai de 3 heures. »

La présidente constate cette contradiction.

L’avocat souligne que le placement en rétention est donc illégal, la procédure étant irrégulière.

L’avocat de la Préfecture invoque alors l’article 74 : « la diligence a été faite dans les 3 h. Puisqu’il n’y a pas d’avis à famille c’est un PV de carence, ça signifie que le père n’a pu être joint. »

La juge questionne alors l’intéressé qui confirme avoir souhaité que son père soit prévenu. Elle ajoute comme si elle avait elle-même vérifié l’information : « les services de police ont cherché à joindre votre père et n’y sont pas parvenus ».

Ce que conteste l’intéressé : « A l’arrivée au CRA, j’ai demandé s’ils avaient réussi à joindre mon père. On m’a répondu qu’ils n’avaient pas essayé. »

La juge clôt le dossier avec un « Mais nous avons ici un PV de 21h, qui dit le contraire. »

Ordonnance confirmée.


concernant …………………. : l’avocat demande l’assignation à résidence car il dispose de garanties de représentation (quittances de loyer et pièce d’identité d’un compatriote ayant le même patronyme.)
L’avocat de la Préfecture s’y oppose, du fait que la quittance n’est pas au nom du retenu. Et pour cause puisqu’il s’agit d’un certificat d’hébergement !

La juge reprend cet argument inepte … l’avocat de la défense ne relève pas.

Ordonnance confirmée.


concernant …………………… : le PV d’interpellation ne porte pas la mention « placement en GAV » et « avisons le juge mandant. », ce qui est cause de nullité de procédure.
L’avocat de la Préfecture indique alors que le juge a été avisé globalement, « puisqu’il a été informé des 106 GAV ». L’avocat maintient qu’il y a irrégularité. Parade de la partie adverse : ce moyen ne figurant pas dans l’appel, la demande n’est pas recevable. S’ensuit une discussion incompréhensible entre avocats et juge, où sont cités les articles 74 et 563. Ordonnance confirmée.


concernant ……………………….. (dernier de la journée, dossier examiné après 23h30) : 2 moyens sont mis en évidence par l’avocat d’office :
- commission rogatoire trop vague

- violation de l’article 63-1 du CP relatif à la notification de la GAV, le PV indiquant que les droits de la GAV ont été lus par l’intéressé lui-même. Or précisément, il n’est pas en mesure de lire, en le comprenant, un énoncé de cette nature en français.

L’avocat de la Préfecture récuse ce moyen :

- « Il a indiqué qu’il lisait péniblement le français »

- « à défaut de le lire et de l’écrire il le comprend », ajoute la juge.

- « ceci n’a pas été mentionné par le premier juge » (pas trace de l’article 63-1 dans le procès du JLD)

L’avocat de la défense demande à la juge de mettre le retenu en situation d’avoir à lire quelque chose, celle-ci répond que « ce n’est pas utile ».

Ordonnance confirmée.

concernant …………………… : pour lequel l’avocat demande une remise en liberté, la Préfecture ayant le passeport et l’avocat présentant des justificatifs d’hébergement.
L’avocat de la Préfecture argue que le passeport ne peut être pris en compte puisqu’il est périmé, « le passeport étant un document trans-frontières, à partir du moment où il n’est plus valide, il ne peut être considéré comme tel et ne peut donc être accepté. » Il prie la juge de confirmer l’ordonnance et le maintien en CRA, « car la présence de ce passeport, même périmé, facilitera l’obtention du laisser passer auprès des autorités maliennes. »

La réalité de l’hébergement depuis 2004, chez une amie, est contestée au seul motif qu’il a « pourtant été interpellé au foyer AFTAM. »

Lorsque nous faisons remarquer à une avocate que ça ne constitue pas une preuve qu’il n’est pas hébergé par cette amie, nous recueillons un sourire narquois et condescendant.

Ordonnance confirmée.

concernant ………………………. . : entré en France en 1991, il était en règle en 2005. Détail que cela ! Ordonnance confirmée.

2 autres retenus comparaissaient aussi ce jour-là : un Algérien, ………………………. (le premier jugement ayant été rendu par la Préfecture de Créteil.) A l’énoncé de son lieu de naissance, (Rélizane), une militante de la LDH nous rappelle que cette ville de Kabylie a vu son nom immortalisé par un massacre terrible en 1998. Cet homme comparaît alors que son épouse (française) et sa mère sont dans la salle.
L’avocat demande la remise en liberté car il y a de solides garanties de représentation : l’épouse a notamment apporté les quittances de loyer. Mais pas le bail de location !

Alors que nul ne conteste la réalité de la vie commune de ce couple, il repart pour le CRA. Son épouse pleure. Sa mère, qui ne peut se résoudre à comprendre ce qui se passe, regarde autour d’elle, effarée.


Et un Turc, …………………… : l’avocate reprend les moyens invoqués lors du premier jugement : il a été placé en GAV puis en rétention avec APRF alors qu’il s’était présenté spontanément à une convocation au commissariat pour « affaire vous concernant ».
L’avocate rappelle que la CEDH a déjà condamné la France pour arrestation déloyale. En vain.

M. Ozan retournera lui aussi au CRA.

vient ensuite l’examen des 6 appels du Préfet, à la suite de 6 décisions de remise en liberté, prononcées par le tribunal d’Evry. Les intéressés ont préféré ne pas courir le risque de venir comparaître. Ils ne sont pas représentés par un défenseur : tous les avocats sont partis.
Moment de « justice confidentielle » : l’avocat de la Préfecture s’avance au plus près du bureau de la juge, et commence à lui parler à voix basse. La porte de la salle des délibérés (drôle de terme quand on y pense : la juge, étant seule, a du délibérer avec elle-même !) est ouverte avec les frappements réguliers du tampon de la greffière. Nous n’entendons à peu près rien de ce qui se trame.

Cette justice rendue en notre nom n’en a plus aucune des formes. Protester énergiquement, au risque d’être sorti pour outrage ?

Nous appelons la greffière revenue dans la salle, et lui faisons remarquer l’aberration de la situation. Elle va en faire état à la juge qui se reprend et demande à l’avocat de retourner plaider à la barre. Il s’exécute de mauvaise grâce, ce qui nous permet de l’entendre exposer son motif, dont il précise que, comme il est « identique pour les 6 dossiers, je ne plaiderai qu’une fois. » N’est-ce pas justement ce qu’avaient demandé les avocats de la défense le matin même, pour la même raison, et qui leur avait été refusé ? Cette fois-ci ce sera accordé.

Cette différence de traitement vient-elle du fait qu’il est plus de minuit ? Ou du fait que ce matin les avocats demandaient la mise en liberté de tous les retenus, alors que l’avocat de la Préfecture, lui, demande d’infirmer les 6 décisions de remise en liberté ?

La décision de 1ère instance sera confirmée et l’appel de la Préfecture rejeté. Maigre consolation....



Pendant tout ce temps, les retenus attendent dans une petite pièce.

Ils n’ont accès qu’aux toilettes et à une fontaine d’eau. Nous n’avons pas le droit de communiquer avec eux. A un moment nous demandons aux gendarmes qui les surveillaient de bien vouloir leur transmettre un peu de nourriture. Refus. Après le verdict, chacun est reconduit vers le CRA, à l’exception du seul libéré de la journée (sur les 21 qui se sont succédé, dont 19 arrêtées au foyer TAC). Pourquoi celui-là a-t-il été libéré ? Alibi pour tenter de faire croire au pékin moyen qu’il y a une « quand même une justice » ?

Tandis que pendant les pauses, en salle d’audience les avocats devisent, et à une heure avancée le ton se détend :

- "Ca va peut-être devenir habituel. Tous les lundis un autre foyer, et bien, comme ça on aura atteint les quotas au mois de mai !

- "Ils ont trouvé la poule aux oeufs d’or !"

- "Une opération comme ça c’est un travail incroyable, ce rythme n’est pas tenable si on veut que les dossiers soient impeccables"

Je questionne un peu plus tard l’une des avocates dans le couloir pour savoir si l’allusion aux « dossiers impeccables » est du ressort du pur cynisme, ou de l’humour noir : « Mais non, c’est vrai ! On est ici devant une procédure plutôt bien ficelée. Il y a relativement peu d’erreurs. »

Voilà qui a de quoi laisser songeur…

Avant de conclure, encore 2 remarques, qui sont aussi 2 interrogations :

- Sauf erreur de ma part, la question « y a-t-il une intervention volontaire du GISTI pour ce dossier ? » n’a été posée que pour 8 des 15 retenus. Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait pour les autres ?

- et, toujours sauf erreur de ma part, 5 ou 6 seulement de ces 15 personnes ont été assistées par un interprète lors de cette audience. Ce qui, on peut le supposer, est préférable pour eux. Mais même dans ces cas-là, l’observation de ce qui se passe laisse parfois perplexe : en effet, de nombreux échanges ont lieu entre avocats et magistrat sans que personne ne considère utile d’informer l’intéressé de ce qui se dit à son sujet. Lorsque des questions ou des échanges sont traduits, c’est à la vitesse de la parole du locuteur initial. Et lorsque tombe la sentence, qui tient en 2 mots, il n’y a pas de commentaire, le retenu est reconduit, dans l’indifférence générale, vers la porte et –faut-il le rappeler ?- vers une probable expulsion, après un séjour plus ou moins long en prison (maximum 32 jours actuellement, durée qui risque de passer à 18 mois selon les projets qui seront examinés en mai prochain.)


Comment peut-on prétendre, comme n’a cessé de le répéter l’avocat de la Préfecture tout au long de la journée, que les sans papiers qui comparaissaient devant cette instance avaient « parfaitement compris l’étendue de (leurs) droits tout au long de la procédure », et que l’absence d’interprète à leurs côtés, dès le début de celle-ci, ne pouvait être considérée comme un vice de procédure ?

Quiconque aurait à vivre, en si peu de temps, une accumulation de traumatismes de cet ordre, aurait sans doute du mal à en prendre la pleine mesure et à interpréter correctement le sens de tout cela, quand bien même ses droits lui seraient énoncés dans sa langue maternelle (ce qui n’a été le cas pour aucun d’entre eux), le langage juridique n’ayant qu’une parenté lointaine avec celle-ci.


Ce même jour, l’un des avocats a fait remarquer à la juge qu’il était tout de même curieux qu’en la circonstance tant d’interpellés aient refusé globalement l’assistance, tant d’un interprète que d’un avocat et même d’un médecin. La juge non seulement en a convenu et déclaré que cela lui avait effectivement semblé bizarre, pour ajouter aussitôt « il ne m’appartient pas ici d’en chercher la raison. »


Se pourrait-il que cette raison soit économique ? Un dialogue entre l’un des avocats et une interprète laissait entendre que la Préfecture rechignerait à appeler les interprètes aussi souvent que nécessaire pour cause de budget. L’interprète a précisé que lorsque le traducteur est requis par la police, les factures sont adressées au Tribunal, parce que la Police dépend du Parquet ; alors qu’au CRA cela dépend de la Préfecture. Elle suggère de soulever le problème auprès du bâtonnier.


L’un des avocats remarquait que souvent les personnes arrêtées déclarent comprendre le français, parce qu’elles parviennent à se débrouiller dans les interactions quotidiennes. Et parce qu’elles considèreraient comme dévalorisant de dire le contraire, eu égard à la durée de leur séjour en France, et au fait que la maîtrise de la langue est à la fois un gage et une preuve d’intégration. Mais dans des circonstances comme celles-ci, leur intérêt est de comprendre le mieux possible ce qui se passe. Il paraît donc important de les inciter à demander un interprète.

D’autant plus que s’ils le demandent et ne l’obtiennent pas, cela pourrait constituer un vice de procédure ?


Marie-Odile Mougin
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jeudi 28 février 2008.

jeudi, février 28, 2008

Des sans papiers régularisés pour cause de travail

Article publié le 19/02/2008 par RFI

Les neuf cuisiniers en situation irrégulière, travaillant dans un restaurant parisien du groupe Costes, ont finalement obtenu gain de cause.

Les neuf cuisiniers africains sans papiers d'un restaurant de luxe parisien ont repris le travail, ce mardi, au terme de 5 jours de grève pour réclamer leur régularisation par leur employeur. La préfecture de police de Paris a accordé un titre de séjour à sept d'entre eux, les deux autres devraient être régularisés dans la semaine. Cette régularisation intervient dans le cadre de l'article 40 de la nouvelle loi sur l'immigration.

Cet article précise que des immigrés venus de pays en dehors de l'Union européenne peuvent être régularisés si leurs compétences professionnelles sont très recherchées. Or les sept cuisiniers sont de nationalité malienne et ivoirienne et la restauration est un secteur qui manque cruellement de personnel.

C'est une circulaire en date du 7 janvier 2008 qui a précisé au préfet les conditions précises d'attribution des cartes de séjour. Il y en a deux : il faut tout d'abord que les immigrés aient des qualifications et une expérience professionnelle dans un secteur en manque de main d'oeuvre. Or, les cuisiniers travaillaient dans le restaurant de la Grande-Armée depuis au moins deux ans, neuf ans même, pour certains.

La seconde condition est qu'un employeur s'engage à embaucher la personne immigrée pour un contrat d'une durée d'un an minimum ou dans l'idéal pour un CDI (contrat à durée indéterminée). Là aussi, les cuisiners répondaient aux critères puisque le gérant du restaurant avait précisé qu'il ferait toutes les démarches nécessaires pour embaucher ses salariés.

Pour le porte-parole des cuisiniers, Jean-Claude Amara, c'est une grande victoire qui ouvre la voie à la régularisation de milliers d'autres travailleurs sans papiers. Mais la circulaire du ministère de l'immigration est claire : ce dispositif ne doit concerner qu'un nombre très limité d'individus, les étrangers en situation irrégulière ont vocation à regagner leur pays d'origine.

mercredi, février 27, 2008

Immigration : impossible de comparer les chiffres d'un pays à l'autre

Immigration : impossible de comparer les chiffres d'un pays à l'autre
Source : Challenges.fr | 26.02.2008

Les pays européens ne comptabilisent pas tous de la même façon les flux migratoires et n'ont même pas une définition semblable du migrant.

Les pays européens ne comptabilisent pas tous de la même façon les flux migratoires et n'ont même pas une définition semblable du migrant, selon une étude publiée dans le dernier numéro de la revue Population et sociétés mardi 26 février.

Dans un article intitulé "Les migrations internationales en Europe : vers l'harmonisation des statistiques", l'auteur souligne qu'on ignore les chiffres de l'émigration et de l'immigration en 2005 pour 7 des 27 pays membres de l'Union européenne, selon l'organisme Eurostat. Il ajoute que "quand ces chiffres existent, ils ne sont pas toujours fiables et comparables d'un pays à l'autre".

Même chose pour la définition du migrant: certains pays ne prennent en compte que les séjours d'au moins un an, d'autres écartent les séjours universitaires ou professionnels, ou les demandeurs d'asile.

Cette disparité ne devrait toutefois plus perdurer, du fait du règlement européen (862/2007) de l'été dernier sur les statistiques communautaires sur la migration et la protection nationale. Ce règlement, qui a une valeur contraignante, demande aux pays européens de fournir des données identiques concernant les émigrations et immigrations (y compris des nationaux), permis de séjour, naturalisations, et demandes de protection (droit d'asile)...

254.000

Ainsi, les statistiques 2008 (établies en 2009) devraient être harmonisées pour l'ensemble de l'Europe.

Actuellement, la France comptabilise seulement l'immigration étrangère hors UE, chiffrée à 165.000 entrées pour l'année 2005. Selon l'auteur de l'article, Xavier Thierry, chercheur à l'INED (Institut national d'études démographiques), ce chiffre passerait à 254.000 si on utilisait les critères recommandés par l'UE, c'est-à-dire en incluant les sorties (émigration) ainsi que les mouvements des membres de la communauté européenne et des nationaux.

Télécharger L'étude de l'Ined

mardi, février 05, 2008

Le banquier n'est pas juge de la régularité du séjour de son client

La Poste ne peut refuser l'accès au compte et la délivrance d'un relevé d'identité bancaire, au seul motif que le récépissé constatant le dépôt d'une demande de statut de réfugié était périmé.
Com. 18 décembre 2007, FS-P+B, n° 07-12.382

Lors de l'ouverture d'un compte, l'établissement de crédit doit procéder à un certain nombre de vérifications : domicile et identité doivent être contrôlés conformément aux articles R. 312-2 et R. 563-1 du code monétaire et financier. Le postulant est alors tenu de présenter un document officiel portant ses photographie et signature. La loi n'ayant pas défini la notion de « document officiel », la jurisprudence est venue en donner une illustration au cas par cas. Ainsi a-t-il été décidé que la seule présentation d'une carte de séjour était insuffisante (Com. 3 avr. 1990, Bull. civ. IV, n° 105 ; Paris, 25 avr. 1997, D. Affaires 1997. 1154), de même qu'un certificat de réfugié politique (Paris, 17 févr. 1989, Gaz. Pal. 1989, 2, p. 521, obs. Piédelièvre), ou encore une carte d'identité périmée portant une adresse différente de celle que le client déclarait être la sienne (Civ. 1re, 2 nov. 2005, D. 2006. AJ. 62, obs. Avena-Robardet ; Com. 8 nov. 2005, JCP E 2006, n° 22, p. 959, obs. Salgueiro).

En l'occurrence, La Poste avait ouvert un compte livret A à une personne ayant demandé le statut de réfugié, sur présentation d'un récépissé constatant le dépôt de sa demande, valable jusqu'au 4 octobre 2002 et renouvelable. Ce récépissé comportait la photographie et la signature de l'intéressée. À partir du mois de mai 2005, cet établissement de crédit a toutefois refusé à sa cliente l'accès à son compte au motif que ce récépissé était venu à expiration et que l'identité de la titulaire n'était justifiée par aucun document en cours de validité. Cette pratique de La Poste est connue. En règle générale, elle n'accepte pas les titres de séjour périmés et peut refuser la restitution des sommes détenues sur un livret A (V. Migrants/étrangers en situation précaire, Guide Comede, 2008, p. 146 s.). Mais, en l'espèce, loin de se laisser faire, la cliente a demandé en référé la condamnation du banquier à lui donner accès à son compte sur présentation de ce récépissé, seul document dont elle disposait, et à lui délivrer un relevé d'identité bancaire. Ce que lui a refusé la cour d'appel de Paris, au motif que La Poste était tenue, sous peine d'engager sa responsabilité, de vérifier l'identité du titulaire du compte, non seulement à son ouverture, mais également durant toute la durée de son fonctionnement (Paris, 24 févr. 2006, JCP E 2006, n° 48, p. 2030, n° 12, obs. Salgueiro). Fort heureusement une telle décision est censurée par la Cour de cassation. La justification de l'identité ne doit pas être confondue avec la régularité du séjour.

Ici il n'existait aucun doute sur l'identité de la personne en question. La Poste avait elle-même considéré le récépissé, non périmé à l'époque de la demande d'ouverture du compte, comme valant pièce officielle d'identité. Elle n'avait exigé aucun autre document et justificatif et ne pouvait dès lors opposer à sa cliente le même récépissé, fût-il expiré, pour lui dénier l'accès au compte et la délivrance d'un relevé d'identité bancaire. Du reste, dans une décision du 16 mars 2005, le tribunal administratif de Paris a jugé que la procédure du droit au compte ne pouvait être subordonnée à la régularité du séjour du demandeur en France et que la Banque de France ne pouvait opposer un refus au postulant au motif qu'il ne disposait pas d'un titre de séjour en cours de validité (TA Paris, 16 mars 2005 n° 0502805/9, Rép. min. n° 65599, JOAN Q 22 nov. 2005, p. 10839 ; JCP E 2005, n° 50, p. 2147).

La Cour de cassation ne dit pas expressément qu'un tel récépissé vaut document officiel au sens des articles R. 312-2 et R. 563-1. Simplement, à partir du moment où une banque considère un document comme tel, elle ne peut plus, par la suite, lui dénier cette qualité pour lui refuser l'accès à ses comptes, l'identité ayant été préalablement établie et n'étant pas contestée.

Source : éditions Dalloz