mardi, mars 28, 2006

« La France ne repartira pas sans s'ouvrir au monde, donc aux migrations »

L'immigration n'est pas la cause de tous nos maux. Le moment est venu de sortir de la gestion stricte des flux migratoires. Il n'y a pas de développement sans échanges. La panne de débat tient à des raisons économiques et idéologiques
ROIS SPÉCIALISTES de l'immigration, Olivier Brachet, Denise Helly et Claire Rodier, ont accepté de débattre pour Le Monde des enjeux de cette question.

Qu'est-ce qui explique, selon vous, la faiblesse, voire l'absence de débat, sur la politique migratoire de la France ?

OLIVIER BRACHET : Il y a une double panne, entretenue aussi bien par les partis de droite que de gauche. La première, c'est l'arrêt, en 1974, de l'immigration de travail et la culture administrative française qui, depuis cette période, ne fait que répondre « non à l'immigration ». La droite en est responsable. L'idée de gérer l'immigration comme un stock et non comme un flux est venue en 1981, sous la présidence de François Mitterrand.

La deuxième est une panne de la pensée. Notre notionnel sur les questions de l'immigration date de trente ans, ou plus : nous ne sommes pas sortis d'une conception Nord-Sud, colonisateurs-colonisés, immigration de travail ou pas d'immigration du tout... Si c'était le cas, rien ne nous empêcherait de reconnaître qu'un étranger est un étranger, avec un nom, un prénom, un état civil, et non plus seulement un immigré. Cette panne de la pensée, on la voit dans l'absence de délibération nationale sur la question de l'immigration. On n'a jamais délibéré sur le type d'immigration que nous voulons : qui, quand, comment, combien de temps ?

CLAIRE RODIER : Depuis trente ans, en effet, le discours de fermeture tenu à gauche comme à droite ne s'est révélé ni crédible ni efficace par rapport aux objectifs qu'il prétend se fixer : la fameuse maîtrise des flux. Ce qui est logique, car, en réduisant la question à une technique de gestion des frontières, on occulte l'essentiel, à savoir les causes de départ, c'est-à-dire les grands déséquilibres qui séparent la planète entre riches et pauvres. On oublie aussi que, derrière les « flux », il y a des individus agissants, dont le sort ne peut être réglé au seul regard du « type d'immigration que nous voulons ». S'agissant des suites des décolonisations, on n'a jamais soldé les comptes. Ce qui explique bien des fractures : celle qu'on connaît ici entre centres-villes et banlieues, mais aussi celle qui s'accroît chaque jour entre le sud et le nord de la Méditerranée.

DENISE HELLY : Une partie de la difficulté à penser l'immigration en France tient à la faible création d'emplois. Si la politique économique était plus centrée sur l'innovation, la concurrence, la formation de haut niveau, le discours sur l'immigration serait moins xénophobe. Le Canada a mené une telle politique économique et n'a pas annulé ses programmes de protection sociale.

L'explication de cette double panne serait donc économique ?

D. H. : Non. Durant quarante ans, l'Europe a traité l'immigration comme un apport économique temporaire utile, puis comme un problème. Aussi, quand se cumulent pénuries sectorielles de main-d'oeuvre et arrivée de nationaux d'ascendance immigrée sur le marché du travail, elle ne sait pas développer un discours positif. L'argument avancé du vieillissement de la population est instrumental et ne porte aucune attention à l'acceptation des immigrés. Pour « vendre l'immigration », on parle de sélection : choisir ceux qui nous sont utiles. Le Canada sert alors de modèle, mais on omet sa philosophie, ses politiques d'insertion, aussi essentielles que la sélection de son système. Les immigrants qualifiés ne s'y trompent pas ; ils préfèrent l'Amérique du Nord à l'Europe, qu'ils jugent plus raciste et xénophobe.

O. B. : Les Européens ont un grand problème : on ne peut pas accueillir, si on est dans la haine et le déni de soi. Tant qu'on s'obstine à penser que l'Europe est la cause de toutes les abominations de la planète, on ne peut plus aborder la question des flux migratoires d'aucune manière. Or il n'y a pas de développement sans échanges migratoires soutenus. On a cependant des contre-exemples positifs : nous sommes en train d'intégrer 10 nouveaux pays dans l'Union, parmi lesquels, bientôt, la Roumanie - dont l'état des lieux en 1992 était bien pire que celui du Maroc ! J'espère que la Roumanie ne sera qu'un exemple parmi d'autres.

C. R. : Ce qui s'est passé au moment de l'élargissement de 2004 est significatif de l'attitude frileuse de l'Europe face à la libre circulation, censée être un de ses fondements : parce que, comme cadeau d'accueil aux 10 nouveaux Etats membres, on a commencé presque partout par interdire à leurs ressortissants l'accès au marché de l'emploi, pour se rendre vite compte qu'ils ne le menaçaient pas. L'explication de la panne est donc loin de n'être qu'économique, elle est largement idéologique.

O. B. : On voit bien qu'on a un affaiblissement des frontières et une circulation plus facile dans certains sous-ensembles régionaux comme l'Europe ; c'est la bonne direction. Je ne suis pas un obsédé du contrôle de la frontière, mais il est clair que cette question va prendre de l'ampleur. Il faut en faire la prospective en intégrant les nouveaux outils technologiques d'état civil, dont il faut inventer le contrôle démocratique.

D. H. : La libre circulation est une utopie. Les économies demeurent encore nationales, de même que les Etats-providence. Les sociétés sont ancrées dans un territoire, une histoire, et les populations majoritairement socialisées à l'appartenance à une nation ou à un pays. Ouvrir les frontières suppose des représentations réceptives au brassage culturel.

C. R. : La libre circulation n'est pas qu'une formule incantatoire d'utopistes ni une solution miracle. Elle doit être un objectif, au nom de l'égalité entre ceux qui peuplent cette planète. En attendant, elle s'impose, tant que les malades du sida des pays en développement ne bénéficieront pas, dans leurs pays, des mêmes possibilités de soins qu'en Europe ; tant que des persécutés auront besoin de trouver protection dans nos pays ; et pour tous ceux dont les terres se désertifient, qui n'ont plus de quoi vivre et faire vivre leurs enfants. La liberté de circulation, c'est d'abord la liberté de ne pas avoir besoin de partir de chez soi. Ce facteur dépend des politiques économiques et environnementales des pays développés, pas des contrôles policiers. Une étude récente sur l'impact du réchauffement de la planète dans le bassin méditerranéen a démontré que, d'ici quelques décennies, une proportion importante de la population locale vivra dans des zones où il y aura des pénuries d'eau. Sommes-nous prêts à mettre en oeuvre les moyens qui permettraient dès aujourd'hui d'enrayer cette évolution, plutôt que de fermer, demain, nos frontières à ceux que la sécheresse poussera de façon inéluctable sur la route de l'exil ?

Comment expliquez-vous qu'il n'y ait pas, en Europe et en France, un vrai courant pro-immigration, comme au Canada, où l'Etat a réussi à imposer une politique dans ce sens ?

D. H. : Au Canada, les « ethniques » disposent d'un secteur communautaire soutenu financièrement par les gouvernements au nom de l'insertion égalitaire des immigrés. Ce secteur, comme le secteur associatif non ethnique, soutient toute politique d'immigration. Depuis vingt ans, les deux tiers des Canadiens sont favorables à l'ouverture du pays. La situation en France est autre : le secteur associatif lié à l'immigration n'est pas influent, le secteur communautaire « ethnique » est quasi inexistant, l'opinion publique plus réticente face à l'immigration, le courant ethnonationaliste fortement organisé (Front national) et les élites politiques maghrébines sont majoritairement cooptées. L'immigration demeure affaire d'électoralisme et non sujet de politique central à la vie du pays, discuté et voté à l'Assemblée nationale.

O. B. : Pour avancer, il faudrait consacrer beaucoup plus d'argent à ce dossier. On ne doit pas se dérober par peur de se confronter à la nécessaire question de l'administration de l'immigration. Il faut débattre de cette question et, donc, du choix du ministère de référence. Administrer l'immigration, c'est en faire un enjeu de la société politique démocratique, ce qui est moins facile que les débats vertueux sur la République...

C. R. : Le discours de la Commission européenne, depuis une dizaine d'années, est plutôt « pro-immigrés », quoique à forte connotation utilitariste. Un programme de gestion européenne de l'immigration a été défini en 1999, qui reposait sur trois volets : asile, intégration, contrôle des frontières. Quel bilan peut-on en faire cinq ans plus tard ? Tous les efforts ont porté sur le contrôle des frontières, très peu sur l'intégration et le droit d'asile, appliqué aujourd'hui dans des conditions contestables. Au niveau national, on a pris en compte le seul intérêt des Etats et non les droits de la personne. Au point qu'on en arrive, pour se débarrasser du problème, à « externaliser » les procédures d'immigration et d'asile dans des pays comme le Maroc, où on voit comment sont traités les réfugiés. Et à multiplier les camps, comme déjà en Libye, pour retenir les migrants derrière les frontières militarisées de l'Europe.

O. B. : La distinction entre les questions d'asile et d'immigration est fondamentale. L'absence d'une politique migratoire positive tue l'asile, mais aussi le développement. La France ne repartira pas sans s'ouvrir au monde, donc aux migrations. Elle doit prendre des décisions pour l'avenir. Une politique migratoire n'est pas une politique de régularisation, même s'il faut en faire de temps en temps. Les migrations relèvent de la souveraineté des Etats, tandis que l'asile relève de valeurs encore plus fondamentales et d'accords internationaux qui sont de l'ordre du « devoir » imprescriptible et des leçons de l'histoire.

C. R. : Le problème est que ce devoir imprescriptible des Etats est noyé dans leurs politiques migratoires, voire subordonné à elles, avec deux conséquences graves. L'une touche à l'accès aux procédures, puisque, quand les frontières sont fermées, elles le sont aussi pour les demandeurs d'asile ; l'autre, au risque de voir reporter vers des pays tiers la détermination du droit à l'asile, ce qui permettra aux Etats européens de faire leur tri, parmi ceux qui sont reconnus réfugiés, en fonction de leur marché du travail.

Le droit d'asile est-il aussi menacé dans les pays anglo-saxons, dont on vante l'ouverture en matière d'immigration de travail ?

D. H. : Le droit d'asile ne peut subsister que si l'immigration économique est admise. Prenons l'Irlande, au taux de croissance élevé et qui crée des emplois très qualifiés. Elle vient d'adopter un système à deux niveaux, sélection et quota, qui semble la nouvelle norme de gestion des flux migratoires en Europe : résidence permanente pour les immigrants qualifiés sélectionnés ; visa de séjour temporaire aux immigrants peu qualifiés, selon la demande des patronats. Le risque de dérive est évident : si peu d'immigrants sont admis, les demandes de droit d'asile vont s'accroître. Mais envisager l'immigration comme une gestion de frontières et de flux est faux sociologiquement, réactionnaire politiquement et producteur de violence.

L'expérience nord-américaine montre la nécessité d'une érosion des référents nationalistes, sinon l'immigration reste perçue comme un problème. En France, le vrai communautarisme français - c'est-à-dire le renfermement sur une culture ethnique - est le fait du Front national et non des immigrés et de leurs descendants, si peu organisés. L'autre forme de nationalisme culturel, élitiste celle-là, parle de « la République », productrice d'égalité. C'est une pensée magique, à l'encontre de tous les constats sociologiques et historiques faits depuis un demi-siècle.

Propos recueillis par Catherine Simon et Laetitia Van Eeckhout
Le Monde du 10 novembre 2005

Le modèle migratoire français est-il adapté ? - NON

Le projet de loi de Nicolas Sarkozy préconise de développer une immigration « choisie » de personnes hautement qualifiées pour répondre aux besoins supposés de main-d’oeuvre

La politique d'immigration répond-elle aux besoins de l'économie ?

La population immigrée en France se compose aux deux tiers de personnes non qualifiées ayant quitté l'école avant la fin de l'enseignement secondaire. Ce n'est pas le cas dans des pays comparables. En Allemagne, chez les immigrés ayant entre 25 et 64 ans, cette proportion n'atteint que 48 % ; au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, elle tombe à 30 %. Il n'y a guère que l'Italie qui présente une structure migratoire identique à la France, mais la part de l'emploi occupé par des étrangers ne représente que 1 % de l'emploi total, lorsqu'elle atteint 5,7 % en France. Or la France connaît un chômage massif de ses travailleurs non qualifiés et n'arrive pas, en dépit de toutes les tentatives, à le résorber. Avoir une immigration essentiellement non qualifiée aggrave ce problème et renforce la dualité du marché du travail.

Qui plus est, la structure des qualifications est déterminante pour mener une stratégie de spécialisation dans l'économie internationale. La concurrence entre les nations se joue sur deux registres, soit sur les coûts et les bas salaires, soit sur l'innovation et la montée en gamme. Il serait ahurissant que la France s'engage dans la première voie. Mais elle n'a toujours pas fait de choix explicite. Elle reste entre deux eaux quand il lui faudrait s'orienter vers un système productif et un système de formation davantage porteurs d'avenir.

Quels critères d'entrée devraient définir l'attribution de visas ?

Il est souhaitable que la France encourage une immigration de travailleurs qualifiés. Cela pourra faciliter une spécialisation dans les secteurs nécessitant du capital humain et soutenir durablement la croissance. Le Royaume-Uni nous montre l'exemple d'un pays où des flux migratoires, plus importants qu'en France, dynamisent la croissance. Il faut donc recenser les compétences et les professions pour lesquelles la France peut présenter à l'avenir un certain déficit. 36 % de l'emploi est occupé parce que l'OCDE appelle des high skilled workers - des personnes à haut niveau de compétences -, ce qui situe la France dans la moyenne européenne. Mais elle est en deçà des économies plus compétitives comme l'Allemagne. Il faut renforcer le poids des très qualifiés. La désaffection des jeunes français pour les professions scientifiques et technologiques justifierait de faire venir des étudiants étrangers dans ces domaines. De même nous savons que des pénuries vont apparaître dans les fonctions commerciales de haut niveau. Les banques françaises savent concevoir des produits financiers compétitifs sur les marchés internationaux, mais elles ne savent pas les vendre. Or, typiquement, ces postes de vente pourraient être occupés par des salariés venus de l'étranger.

A l'inverse, il faudra durcir les conditions d'entrées pour les immigrés d'âge actif risquant, de par leur manque de qualification, de se trouver en situation de chômage. Ce changement n'est pas facile, et il prendra des années avant de produire ses effets, car les flux migratoires sont soumis, dans certaines de leurs composantes, comme le regroupement familial, à une grande inertie. Ce débat est cependant essentiel. Il est au coeur de la question de l'intégration et au-delà de la réflexion sur le modèle social, dont la pérennité ne peut être assurée avec un tel niveau de chômage.

Comment, concrètement, faudrait-il organiser cette migration des très qualifiés ?

Nécessairement, le dispositif devra être très décentralisé au niveau des branches professionnelles, chacune d'entre elles étant seule à même de définir le niveau de ses besoins. Le système des quotas me semble adapté.

Sur un marché de l'immigration très qualifiée soumis à une forte concurrence, la France est-elle, selon vous, un territoire attractif ? Elle l'est de façon insuffisante. Prétendre attirer les « talents » de la planète suppose d'abord de savoir les accueillir sans tracasseries administratives puis de leur offrir des conditions de travail et des perspectives de carrière correspondant à leurs compétences. Or il suffit de regarder les organigrammes des grandes entreprises françaises pour se rendre compte qu'il est difficile pour un étranger de parvenir au sommet. Les firmes de l'Hexagone apparaissent comme un univers trop sclérosé, notamment en raison de la place occupée par les managers issus des grands corps de l'Etat. Cela est moins vrai pour les sociétés opérant à l'international. De façon qui pourrait paraître anecdotique, mais qui a son importance, la France se classe bien, selon cette étude, au regard des services de santé et d'éducation, mais elle pêche par son manque de lycées internationaux, indispensables pour attirer des migrants anglophones.

Propos recueillis par Laurence Caramel, Entretien avec Michel Martinez, Le Monde du 21 mars 2006.

Le modèle migratoire français est-il adapté ? - OUI

Le projet de loi de Nicolas Sarkozy préconise de développer une immigration « choisie » de personnes hautement qualifiées pour répondre aux besoins supposés de main-d’oeuvre

La politique d'immigration répond-elle aux besoins de l'économie ?

Il faut d'abord distinguer les migrations à fin d'emploi et celles qui relèvent d'autres catégories comme le regroupement familial ou l'accueil de réfugiés. Les migrations de travail ne représentent qu'une faible part de l'immigration totale : en 2004, 7 000 permis de travail ont été délivrés pour un nombre d'entrées avoisinant 140 000. Cela posé, si l'un des objectifs implicites de cette politique migratoire est de satisfaire aux besoins de court terme du marché du travail, les instruments utilisés pour y parvenir parviennent bon an mal an à répondre à la demande des entreprises.

Ces instruments sont d'ailleurs très semblables à ceux mis en oeuvre par les autres pays développés. Les entreprises ont en effet la possibilité, si elles ne trouvent pas de main-d'oeuvre, de recruter dans un pays tiers si cette demande est avalisée par l'Agence nationale pour l'emploi, qui vérifie qu'aucun ressortissant local ou européen ne peut occuper cet emploi, et par la délégation départementale de l'emploi et du travail. Pour les secteurs ayant besoin de personnels hautement qualifiés, des procédures simplifiées ont été introduites : mais le seul critère utilisé actuellement est celui du salaire, qui doit être supérieur à 5 000 euros brut mensuels. Au Royaume-Uni, le principe est le même, à cette différence près que la procédure simplifiée s'applique à une liste précise de professions. Ce système fonctionne plutôt bien et si ses conséquences sont très variables d'un pays à un autre c'est avant tout parce que la situation du marché du travail n'est pas la même. En 2003, le Royaume-Uni a accordé 45 000 titres de travail et la France 7 000, mais le taux de chômage y est deux fois moindre...

Le gouvernement va soumettre un projet de loi reposant sur l'idée qu'il faut développer une « immigration choisie » en opposition à une « immigration subie ». Comment analysez-vous cette volonté ?

Plutôt que d'immigration choisie ou subie, je préfère parler d'immigration discrétionnaire - c'est-à-dire qu'elle est décidée en fonction d'objectifs déterminés, par opposition à une immigration non discrétionnaire, résultant de droits comme le regroupement familial ou la liberté d'installation au sein de l'Union européenne...

La part « discrétionnaire » est, en France, beaucoup plus faible que dans les autres pays : 17 % contre 50 % au Royaume-Uni, 60 % en Australie. Il existe deux façons d'augmenter cette proportion. La première consiste à restreindre l'accès au territoire national pour les migrants prétendant relever de catégories « non discrétionnaires », mais cette première voie est limitée car les droits des migrants sont encadrés par le droit français et les directives européennes. En exigeant des conditions de ressources et de logement plus contraignantes, le gouvernement a déjà utilisé une bonne part de ses marges de manoeuvre.

La seconde consiste à augmenter les migrations sélectionnées, mais il faut savoir qu'au total, cela conduira à une augmentation du volume des flux migratoires et non à une substitution, comme pourrait le laisser croire une lecture un peu rapide de ce projet.

Quels devraient en être les objectifs ?

Ils peuvent être multiples : un pays peut vouloir attirer des migrations de peuplement pour des raisons démographiques - c'est le cas du Canada ou de la Nouvelle-Zélande ; il peut faire venir des profils très diplômés parce qu'il considère, à l'instar du Royaume-Uni, que c'est un atout pour son économie.

La France n'a pas encore énoncé ses objectifs. Ce serait pourtant un préalable pour discuter des instruments de sélection. Mais il ne faut pas oublier que les besoins futurs en main-d'oeuvre ne sont pas limités aux professions hautement qualifiées. De plus, la France dispose d'importantes réserves de main-d'oeuvre et elle est loin de l'objectif de Lisbonne fixé en termes de taux d'emploi, 70 % d'ici à 2010. Les taux de déclassements (c'est-à-dire les personnes employées à un niveau inférieur à leurs compétences) y restent importants : environ 12 % des actifs employés. Au total, 44 % des personnes nées à l'étranger et diplômées du supérieur sont soit inactives, soit au chômage, soit déclassées.

La mobilisation de cette main-d'oeuvre ne constitue pas seulement un impératif en termes d'équité sociale, elle s'impose pour des motifs d'efficacité économique. La formulation d'une politique migratoire sélective doit prendre en compte ces paramètres. Enfin, il ne faut pas croire qu'il suffit d'ouvrir ses portes pour que viennent les candidats désirés : l'environnement doit être attractif, de vraies opportunités doivent être offertes. La France commence à prendre conscience de cela comme le montrent les nouvelles dispositions concernant les étudiants étrangers et les travailleurs très qualifiés, mais dans un marché où les pays se disputent les meilleurs, elle a encore davantage besoin d'attirer que de sélectionner.

Propos recueillis par Laurence Caramel, entretien avec Jean-Christophe Dumont, Le Monde du 21 mars 2006.

L'immigration choisie se heurte à la réalité des besoins

Le constat est tranché : « La France n'a plus, dans l'état actuel de son économie, les moyens d'accueillir des immigrants. » Celui qui le dresse, Richard Castera, inspecteur général de l'administration, s'était vu confier en septembre 2005 une mission d'évaluation des « capacités d'accueil de la France et ses besoins » par le ministre de l'intérieur.

Si l'analyse de M. Castera ne fait encore l'objet que d'un rapport d'étape, dont Le Monde a eu copie, le ministère de l'intérieur s'est bien gardé de l'ébruiter. Ses premières conclusions battent en brèche l'idée d' « immigration choisie » que Nicolas Sarkozy entend promouvoir à travers le nouveau projet de loi qu'il devrait présenter en conseil des ministres en avril.

Pour M. Castera, la France doit prendre acte du fait que ses capacités d'accueil ne lui permettent pas d'intégrer dans de bonnes conditions le flux migratoire qu'elle admet chaque année - plus de 160 000 personnes en 2004 selon ses estimations. Et elle doit faire des choix pour réduire ce flux. « L'immigration «choisie» ne se substituera pas à l'immigration «subie», elle risque au contraire de créer une vague supplémentaire d'entrée d'immigrés qui ne seront pas à l'abri du chômage », soutient-il.

M. Castera affirme donc que la France « n'a d'autres choix que de réduire, au moins pendant quelques années, le flux des personnes entrant sur son territoire », avant d'ajouter : « Faute de quoi, elle s'expose à de nouvelles explosions comme celle qu'elle a connue en novembre dans les banlieues ».

C'est en particulier dans le domaine du logement, mais plus encore en matière d'emploi, que l'intégration pose problème, relève M. Castera. Son raisonnement est simple. Chaque année, plus de 100 000 étrangers se présentent sur le marché du travail. A l'immigration pour motif professionnel - 11 400 personnes en 2004 -, s'ajoutent les immigrants pour motifs familiaux disposant d'un titre de séjour les autorisant à travailler.

« SITUATION ATYPIQUE »

Or le secteur privé, le seul qui leur soit accessible, ne génère pas suffisamment d'emplois pour satisfaire les demandes : en 2004, il enregistrait 86 000 créations nettes. « Les capacités d'accueil des populations immigrées sont donc totalement saturées. Et les premières victimes de cette réalité sont les étrangers », relève M. Castera, soulignant que le taux de chômage de ces populations est bien supérieur à la moyenne de la population (17,6 % contre 9,7 %).

Dans un autre rapport, « Besoins de main-d'oeuvre et politique migratoire », mis en ligne vendredi 17 mars (www.strategie.gouv.fr.), le Centre d'analyse stratégique (CAS, ex-Commissariat général du Plan) est loin d'être aussi définitif.

« Qu'il s'agisse de sa population totale ou de sa population active, la France ne connaîtra pas, à l'horizon 2015, à la différence d'autres pays européens, de problème démographique global qui justifierait un recours massif à l'immigration », soulignent les experts du centre. Cependant, précisent-ils, « ce constat n'interdit pas à la France de s'interroger sur l'immigration ciblée dont elle a besoin, pour répondre à certaines difficultés sectorielles de son économie ou, de façon plus positive, pour enrichir son développement et sa croissance ».

Bien que vieillissante, la France, observe le CAS, se trouve dans une situation atypique en Europe, avec un accroissement de sa population, peu lié aux flux migratoires. Son taux de fécondité (1,94 enfant par femme en 2005), la place au premier rang européen, à égalité avec l'Irlande. Reste que l'économie française connaît d'ores et déjà des pénuries de main-d'oeuvre dans certains secteurs comme le bâtiment et les travaux publics, l'industrie mécanique, l'hôtellerie-restauration, ou le secteur hospitalier et parahospitalier. Un phénomène qui n'ira qu'en s'amplifiant.

Face à ces tensions qui grèvent le développement des entreprises et « ne se résorberont pas à court terme », l'immigration peut constituer « une solution transitoire », selon le CAS. Les auteurs du rapport jugent « indispensable » de faciliter le recours à la main-d'oeuvre étrangère par les employeurs ne parvenant pas à pourvoir leurs postes de travail.

« SOUS-EMPLOI »

D'autant qu'à l'horizon 2015, avec le départ à la retraite des baby-boomers, le nombre de postes à pourvoir devrait augmenter. Ces tensions se feront sentir pour l'essentiel dans des métiers très qualifiés, mais aussi pour des emplois peu qualifiés, en particulier les services à la personne.

Sur ce point, Richard Castera réfute l'idée de faire appel à l'immigration pour compenser les insuffisances de main-d'oeuvre. « Le chômage et le sous-emploi, ainsi que la faiblesse du taux d'activité de certaines catégories de personnes (seniors, femmes, jeunes), offrent des gisements considérables de main-d'oeuvre. Des politiques actives d'emploi et de formation professionnelle peuvent permettre d'ajuster offre et demande si des besoins sectoriels ou spécialisés se font sentir. Si des emplois sont à pourvoir, la priorité doit être impérativement accordée à réduire le chômage, et notamment celui des immigrés déjà présents en France », objecte-t-il enfin.

Une priorité que le CAS met également en avant. Il suggère d'ailleurs d'ajouter au contrat d'accueil et d'intégration un volet insertion professionnelle et d'ouvrir les professions fermées aux étrangers. Il ne manque pas de souligner que l'ouverture du marché du travail aux salariés des nouveaux états membres de l'Union européenne, au plus tard à partir de 2009, permettra sans doute de pourvoir à une partie des besoins. Un « recours accru et ciblé » à l'immigration extra-communautaire n'en est pas moins souhaitable dans les secteurs faisant face à des tensions structurelles, soutient-il.

Pour gérer ces migrations de travail, le centre, peu convaincu par les quotas, défend une « gestion déconcentrée ». Il appelle l'administration à accélérer et simplifier les procédures d'attribution des autorisations de travail. Pour nourrir ce qu'il préconise : « Une immigration plus qualifiée et plus fluide. »

USA : Congrès américain: accord de principe pour un nouveau visa d'immigré

AFP 28.03.06

L'idée d'un statut de "travailleur invité" aux Etats-Unis, censé permettre aux candidats à l'immigration de répondre en toute légalité aux besoins de main d'oeuvre, a été approuvée lundi par la commission des affaires judiciaires du Sénat, à la veille d'un débat en séance plénière.

Par 11 voix contre 6 et en dépit des divisions la majorité républicaine du président George W. Bush, la commission a retenu une proposition qui avait été suggérée il y a un an par le démocrate Edward Kennedy et le républicain John McCain.

Si cette mesure survivait à des débats parlementaires qui s'annoncent longs et difficiles, quelque 400.000 candidats à l'immigration pourraient bénéficier d'un permis de travail d'une durée de trois ans, leur permettant de venir habiter aux Etats-Unis avec leur famille. Ce permis serait renouvelable une fois, à la suite de quoi l'immigré devrait retourner dans son pays au moins provisoirement.

Le président Bush réclame depuis plus de deux ans la création de ce type de statut, qui se heurte à de fortes réticences parmi certains membres du parti républicain.

"Cette mesure s'inscrit dans une stratégie en trois parties d'une réforme de l'immigration efficace: contrôles renforcés pour améliorer la sécurité du pays, programme de travailleurs temporaires viable pour répondre aux flux à venir, et une voie vers la régularisation" des quelque 11 millions de clandestins vivant aux Etats-Unis, a assuré M. Kennedy.

Le projet de loi doit être examiné en séance plénière à partir de cette semaine, et le texte issu de la commission peut encore être amendé.

Le sénateur républicain Lindsey Graham, favorable au texte de la commission, a expliqué qu'il permettrait également aux clandestins actuellement aux Etats-Unis de régulariser leur situation, tout en refusant fermement d'y voir une "amnistie", décriée par les conservateurs et refusée également par M. Bush.

Pour M. Graham, le texte dessine "un chemin vers la citoyenneté" américaine d'une durée de onze ans: pendant six ans les immigrés pourront bénéficier du permis de travail nouvellement créé, puis demander une carte de résident permanent (carte verte), puis, au bout de cinq supplémentaires, réclamer leur naturalisation.

Le sénateur a précisé en outre que la légalisation des clandestins s'accompagnerait de critères stricts, parmi lesquels un casier judiciaire vierge, le paiement d'arriérés d'impôts et d'amendes et une bonne maîtrise de la langue anglaise.

"C'est un bon projet de loi pluraliste qui reflète (l'opinion de) la majorité des Américains", a assuré le sénateur républicain John McCain.

lundi, mars 27, 2006

USA : Los Angeles : plus de 500 000 manifestants contre un projet de loi sur l'immigration

Entre 500 000 personnes, selon la police, et un million selon les organisateurs ont manifesté samedi 25 mars à Los Angeles pour réclamer une amnistie pour tous les immigrés clandestins et protester contre un projet de loi de réforme de l'immigration qu'ils qualifient de "raciste".

Au son des trompettes et dans un climat festif et tranquille, une marée humaine a inondé les grandes avenues du centre de Los Angeles, ville qui compte plus de 9,5 millions d'habitants dont près de la moitié (44,6%) sont d'origine hispanique.

La marche à Los Angeles, après celles organisées vendredi à Phoenix et Atlanta, marque une montée en puissance de la mobilisation contre le projet de loi sur l'immigration qui sera examiné au Congrès à partir de la semaine prochaine. Ce texte, approuvé par la Chambre des représentants, prévoit la construction de clôtures sur un tiers de la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique et des sanctions contre les employeurs embauchant des travailleurs clandestins. S'il est adopté, vivre illégalement sur le territoire américain deviendra un crime.

DIVISIONS AU SEIN DU PARTI RÉPUBLICAIN

Dans son allocution hebdomadaire diffusée à la radio, le président George W. Bush a estimé samedi que les Etats-Unis doivent rester une nation qui accueille les candidats à l'exil, mais qu'ils doivent mettre en œuvre des mesures destinées à lutter contre l'immigration clandestine.

"L'Amérique est une nation d'immigrants, et nous sommes aussi une nation de lois", a déclaré le chef de la Maison Blanche au sujet d'une question qui divise le Parti républicain, entre les tenants d'une politique uniquement répressive et les partisans d'une régularisation massive des immigrés clandestins, qui proposent d'encadrer les flux migratoires.

George W. Bush se range du côté de dirigeants d'entreprises qui souhaitent que la législation permette à des immigrants de rester dans le pays et de travailler pendant une période déterminée. D'autres Républicains, dont Bill Frist, chef de la majorité au Sénat, estiment que les préoccupations relatives à la sécurité nationale devraient conduire à un durcissement de la politique d'immigration.

Avec AFP et AP

dimanche, mars 26, 2006

Grande Bretagne : La Grande-Bretagne ouvre grands les bras aux immigrés qualifiés, pas aux autres

Le gouvernement de Tony Blair, qui a décidé d'accueillir largement les Européens de l'Est après l'élargissement de 2004, durcit ses règles pour les candidats des autres pays

La Grande-Bretagne accueillera à bras ouverts les travailleurs hautement qualifiés originaires de pays non-membres de l'Union européenne (UE) ; elle sélectionnera soigneusement les moyennement qualifiés en fonction de ses besoins, et dissuadera fortement, voire empêchera, les autres de venir travailler chez elle.

Ainsi peut-on résumer la nouvelle politique d'immigration du Royaume-Uni qui entrera en vigueur en 2008, et dont les détails ont été publiés mardi 7 mars. Ses grands principes avaient été annoncés il y a un an, au début de la campagne pour les élections législatives. Elle ne concerne pas les citoyens des dix nouveaux pays ayant intégré l'UE en mai 2004. Ceux-ci bénéficient, moyennant une obligation d'enregistrement, d'un accès libre au marché du travail britannique et du même régime professionnel que les autres Européens. Près de 350 000 Européens de l'Est - dont 60 % de Polonais - se sont installés officiellement en Grande-Bretagne pour y travailler depuis mai 2004.

Le plan, présenté par le ministre de l'intérieur, Charles Clarke, comme « plus juste, plus simple, plus transparent et plus rigoureux », repose sur un système de points inspiré des exemples australien, canadien ou néo-zélandais et comparable au projet présenté en France en février. Les candidats à l'immigration seront classés en cinq catégories et notés en fonction de plusieurs critères : âge, qualification, expérience, maîtrise de l'anglais, salaires précédents.

En haut de l'échelle, figurent les hommes d'affaires et les professionnels hautement qualifiés : médecins, ingénieurs, financiers, informaticiens. Ils pourront entrer dans le pays sans avoir reçu une offre d'emploi préalable, être accompagnés de leurs familles et s'installer définitivement après seulement deux ans. Certains entrepreneurs, désireux d'investir ou d'innover, échapperont même au test des points.

Dans la deuxième catégorie, les enseignants, comptables, infirmiers et autres salariés intermédiaires seront accueillis, avec leur famille, là où règne une pénurie de main-d'oeuvre. Mais la détention d'une offre d'emploi ne leur garantira pas ipso facto l'entrée dans le pays. Ils pourront s'y installer durablement au bout de cinq ans.

Les travailleurs peu qualifiés, notamment dans l'agriculture, l'hôtellerie et la restauration, classés dans la troisième catégorie, devront avoir répondu à une offre précise, pour une durée fixée à l'avance, un an au maximum, et en garantissant leur départ au terme de leur contrat. Ils ne pourront ni amener leur famille ni s'installer dans le pays. Actuellement, tous les travailleurs présents en Grande-Bretagne depuis quatre ans peuvent prétendre à une résidence permanente.

Les deux dernières catégories concernent les étudiants, et des cas particuliers, comme les sportifs, les musiciens, les religieux, les vacanciers de longue durée.

Les candidats à l'immigration devront se faire connaître auprès des consulats britanniques. En cas de réponse négative, ils ne pourront plus faire appel. Un nouvel organisme, dépendant du ministère de l'intérieur, déterminera et chiffrera les besoins en main-d'oeuvre dans les secteurs déficitaires.

Le futur système est fondé sur la conviction que les travailleurs originaires des nouveaux pays membres de l'Union européenne seront assez nombreux pour accomplir les « petits jobs » en souffrance sans qu'il soit nécessaire de faire appel aux immigrants plus lointains. C'est parmi ces derniers que l'on trouve les travailleurs clandestins déjà présents, dont le nombre était estimé, en juin 2005, à 570 000.

Ce tour de vis sur l'immigration a aussi un objectif plus politique : rassurer une partie de la population, inquiète d'un afflux croissant d'étrangers dont l'intégration pèse lourdement sur des infrastructures publiques déjà déficientes.
Jean-Pierre Langellier

vendredi, mars 24, 2006

La maîtrise des flux migratoires, aux dépens de l'intégration

DANS SON RAPPORT annuel, la Cour des comptes exerce un droit de suite sur ses recommandations formulées, en novembre 2004, sur « l'accueil des immigrants et l'intégration des populations issues de l'immigration ». Un rapport spécial dans lequel elle dressait un constat pour le moins alarmiste : la Cour y décrivait une « situation de crise » qui n'est pas le produit de l'immigration mais « le résultat du traitement de l'immigration ». « L'Etat, insistait-elle, se limite à superposer des dispositifs, avec des allers-retours en matière d'accès et de séjour, en laissant l'intégration se faire d'elle-même. »

Réduction des délais d'instruction des demandes d'asile, renforcement de l'efficacité des contrôles, développement de la capacité des centres d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), généralisation du contrat d'accueil et d'intégration (CAI), création de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité des chances : quinze mois plus tard, la Cour prend acte de « nombreuses avancées ». Mais ces progrès sont encore loin, à ses yeux, de se traduire par une réorientation claire et franche de la politique d'immigration et d'intégration qu'elle appelait de ses voeux fin 2004. « L'attention continue, portée depuis cinquante ans aux conditions d'accès et de séjour, reste prédominante, observe-t-elle. La politique nationale d'accès et de séjour met avant tout l'accent sur la lutte contre l'immigration irrégulière ainsi que sur la lutte contre le détournement des procédures. »

« AUCUNE AVANCÉE SIGNIFICATIVE »

La France, estime l'institution, manque encore d'une politique claire d'accueil des migrants : l'existence ou non d'un besoin d'élargir l'immigration de travail et l'opportunité, de ce fait, d'avoir recours à des dispositifs pour adapter l'immigration aux besoins fait encore débat, observe la Cour, qui plaidait, en novembre 2004, pour que la France « accueille, voire attire les personnes nécessaires dans certaines branches ou certains métiers », notamment dans le bâtiment, la restauration, les hôpitaux et les services aux personnes.

Certes, la Cour se félicite de la généralisation acquise du CAI et de la mise en place bien avancée d'un réseau de points d'accueil confié à la nouvelle Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (Anaem). Elle déplore néanmoins que cette nouvelle structure, née de la fusion de l'Office des migrations internationales (OMI) et du service social d'aide aux émigrants (SSAE), ait donné « une priorité absolue » à la généralisation du CAI. Et la Cour d'insister : « Au-delà de la généralisation du CAI, la réflexion n'a pas été suffisamment engagée sur la réalité des besoins des nouveaux immigrants tels qu'ils peuvent être constatés. C'est pourtant à partir de là que l'adaptation des dispositifs devrait être affinée. »

Autre reproche : en matière d'égalité des chances, « au-delà de la proclamation des grands principes , les moyens mis en oeuvre ne sont pas actuellement à la hauteur des enjeux ». « Aucune avancée significative n'a encore eu lieu en matière de scolarisation et d'apprentissage de la langue, de logement et d'emploi », souligne la Cour.

Dans ces trois domaines « déterminants de l'intégration », la Cour juge « préoccupants » les écarts qui demeurent entre les besoins et les moyens mis en oeuvre. Les magistrats déplorent, en particulier, qu'aucune différenciation ne soit encore faite entre les immigrants et les personnes issues de l'immigration. Aussi, à leurs yeux, l'application du droit commun ne doit pas être exclusive de mesures spécifiques, au moins pour certaines populations concernées. Or, se désolent-ils, la politique d'intégration continue de privilégier des dispositifs de droit commun.

« Faute que soient identifiées les populations appelant des mesures spécifiques, et qu'ainsi puissent être dégagés des moyens particuliers pour les aider », l'intégration des populations déjà installées n'est toujours « pas réellement traitée », s'alarme une nouvelle fois la Cour. De fait, observe-t-elle, « la priorité donnée à la maîtrise des flux migratoires et à l'accueil des nouveaux arrivants [continue à faire] passer au second plan » la question de l'intégration.

Tirer parti des migrations

A MOBILITÉ des personnes était l'une des caractéristiques de la mondialisation au XIXe siècle, à la différence de celle que nous connaissons depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qui a principalement reposé sur les mouvements des biens, des services et des capitaux. Les coûts d'ajustement de cette première mondialisation en matière de répartition des revenus au détriment des emplois non qualifiés dans les pays hôtes avaient alors poussé les gouvernements à tenter d'accroître par des barrières à l'immigration et aux échanges commerciaux la distance économique entre les pays, enrayant ainsi l'internationalisation des économies avant même la première guerre mondiale.

Or, depuis quelques années, les flux migratoires se sont considérablement développés. D'après le récent rapport de la Commission mondiale sur les migrations internationales, CMMI (www.gcim.org/fr), les migrants représentent près de 200 millions de personnes, soit 3 % de la population mondiale. Leur nombre a doublé en vingt-cinq ans. Ils représentent près de 8 % de la population européenne, 13 % de la population d'Amérique du Nord et 19 % de celle de l'Australie. Près de la moitié sont des femmes.

Cette dynamique migratoire est encore appelée à s'amplifier. L'apparition et la diffusion des médias modernes (télévision, téléphone et Internet) dans les pays en développement y ont mis en évidence l'extraordinaire différence des conditions de vie entre pays, alors que la baisse des coûts de transport facilite les mouvements de personnes. Les migrations représentent aussi un phénomène à coûts décroissants : le coût d'émigrer baisse dès lors qu'un volume suffisamment important de migrations permet la création de réseaux dans les différents pays d'accueil, qui facilitent l'accès des nouveaux migrants et accroissent l'incitation à bouger. Surtout, les tendances démographiques accentuent les pressions migratoires : le Nord, riche et vieillissant, a besoin de main-d'oeuvre ; les pays pauvres connaissent une croissance démographique élevée et leurs économies n'offrent pas à leurs populations actives et à leurs jeunes suffisamment de perspectives d'emploi. Déjà, entre 1990 et 2000, près des neuf dixièmes de la croissance démographique en Europe étaient dus à l'immigration. Sans elle, la population européenne aurait diminué de plus de 4 millions de personnes entre 1995 et 2000.

Une littérature abondante existe sur l'impact des migrations dans les pays hôtes : contribution économique des migrants, difficultés d'intégration, effets sur les salaires et les prix. L'impact sur les pays d'origine a en revanche été peu analysé. Pour remédier à cette lacune, Caglar Ozden et Maurice Schiff publient pour la Banque mondiale une importante étude sur les migrations et le développement ( In ternational Migration, Remittances and Brain Drain, www-wds.worldbank.org/), qui présente notamment la première base de données vraiment significative sur la fuite des cerveaux et en discute les différentes dimensions.

Une proportion importante des populations éduquées des pays pauvres les quitte, ce qui est particulièrement préoccupant dans des domaines aussi cruciaux que la santé ou l'enseignement. Par exemple, comme l'indique l'étude de la CMMI, il y aurait plus de médecins originaires du Malawi dans la ville anglaise de Manchester que dans tout le Malawi. A l'inverse, la perspective de migrer peut aussi créer une incitation à se former et à construire du capital humain. Mais comment garder le capital humain formé, ou comment bénéficier de ses retombées s'il émigre ?

Cette étude confirme aussi le rôle des transferts financiers des migrants en matière de réduction de la pauvreté et de constitution de capital physique et humain. Ces transferts ont plus que doublé depuis dix ans pour dépasser 150 milliards de dollars, selon les chiffres officiels (sûrement davantage en réalité), soit plus de deux fois les volumes annuels de l'aide au développement. Ils peuvent s'interpréter comme le juste retour de la migration.

Ces analyses suggèrent que l'aide au développement est appelée à jouer un rôle important dans l'élaboration d'un régime multilatéral de gestion des migrations. Elle doit notamment contribuer à intéresser les migrants au développement de leurs pays et, par le codéveloppement, permettre de mutualiser le retour sur leur capital humain. Elle peut aussi contribuer à renforcer l'efficacité des instruments de transferts disponibles et à appuyer le développement des systèmes financiers locaux (notamment par la microfinance) susceptibles de sécuriser l'épargne des migrants et de permettre son investissement dans des domaines plus diversifiés. L'aide au développement représente donc l'un des maillons de la mise en place d'une gestion ordonnée des flux migratoires, l'un des nouveaux défis multilatéraux auxquels il faut apprendre à faire face si l'on veut à la fois tirer parti du potentiel des migrations et éviter un nouveau phénomène de rejet de la mondialisation.

PIERRE JACQUET, Le Monde du 16 janvier 2006

mardi, mars 21, 2006

La stabilité du lien personnel ne s'apprécie pas qu'au regard de la durée de vie commune en France

La délivrance d'une carte de séjour temporaire « vie privée et familiale » au titre des liens personnels et familiaux en France ne peut être refusée au seul motif du caractère trop récent de la vie commune.

Selon le Conseil d’État, il résulte des dispositions de l’article 12 bis, 7° (C. étrangers, art. L. 313-11, 7°) « que la stabilité du lien personnel dont se prévaut l’étranger à l’appui d’une demande de titre de séjour ne saurait s’apprécier au regard de la seule durée de vie commune en France ». Ainsi, la cour administrative d’appel qui rejette une requête en annulation d’un refus de titre de séjour sur le seul fondement de la durée de vie commune commet une erreur de droit.

En l’espèce, un ressortissant indonésien demandait une admission au séjour au titre de l’article 12 bis, 7° de l’ordonnance du 2 novembre 1945. Le préfet refusait de lui délivrer une carte de séjour « vie privée et familiale » au motif que sa vie commune en France avec un ressortissant français était trop récente. Cette décision, le jugement du tribunal administratif et l’arrêt de la cour administrative d’appel qui la confirme, sont annulés par le Conseil d’État.


> CE, 24 févr. 2006, n° 257927, Iswahyudi

Source : Editions législatives

Baisse structurelle du contentieux des étrangers devant le Conseil d'État

Dans son rapport d'activité pour l'année 2005 le Conseil d'État souligne que, suite au transfert des appels en matière de reconduite à la frontière, le contentieux des étrangers ne représente plus que 16 % des entrées.

Relevant un « mouvement général d’augmentation » des requêtes enregistrées, le rapport annuel du Conseil d’État rappelle que le transfert aux cours administratives d’appel, depuis le 1er janvier 2005, du contentieux de l’appel des jugements des tribunaux administratifs en matière de reconduite à la frontière « a joué un rôle modérateur ». Désormais, la Haute juridiction ne connaît des reconduites à la frontière qu’au titre de la cassation (136 pourvois pour l’année 2005).

Le Conseil d’État souligne néanmoins une augmentation importante :

– des pourvois en cassation dirigés contre les décisions de la Commission des recours des réfugiés (991 entrées en 2005 contre 656 en 2004, soit une augmentation de 51 %) ;

– des requêtes relatives aux décisions de la Commission de recours contre les décisions de refus de visa (456 entrées en 2005 contre 296 en 2004, soit une augmentation de 54 %).

Au total, le nombre d’affaires enregistrées relatives au droit des étrangers s’élevait à 2 044 en 2005 contre 3 942 en 2004. Le nombre de décisions rendues dans cette matière reste stable (3 411 décisions en 2005 contre 3 318 en 2004).

Si le contentieux d’appel en matière de reconduite à la frontière n’encombre plus le rôle du Conseil d’État, il contribue désormais largement à la « hausse considérable » du nombre d’affaires enregistrées devant les cours administratives d’appel (+ 41 % en un an).

S’agissant des tribunaux administratifs, le Conseil d’État souligne que le contentieux des reconduites à la frontière connaît une nouvelle hausse de 9 % en 2005 (hausse particulièrement importante dans les tribunaux de Cergy-Pontoise et de Lyon).



> Conseil d'État, Rapport public 2006, mars 2006 Format (.pdf)

lundi, mars 20, 2006

La Cimade à propos de la circulaire Sarkozy : "Une circulaire monstrueuse sur les interpellations d’étrangers"

Le 21 février 2006 le ministre de l’intérieur et le ministre de la justice ont transmis aux préfets (de région, de département, de police), aux procureurs (généraux, et de la république), aux présidents des cours d’appel et des tribunaux de grande instance une circulaire, avec application immédiate, sur les « Conditions de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière, garde à vue de l’étranger en situation irrégulière, réponses pénales. »

Il y est dit : « Dans certaines circonstances, l’interpellation est source de difficultés procédurales et de risques (...) Il est demandé aux préfets et aux procureurs de procéder ou de faire procéder chaque fois que nécessaire aux interpellations aux guichets de la préfecture, au domicile ou dans les logements, foyers et les centres d’hébergement »

Le quotidien Libération décrivait ce texte de 17 pages comme « le parfait petit manuel pour éviter [aux représentants de l’Etat] tout risque d’annulation de la procédure d’expulsion ou de reconduite à la frontière ». En d’autres termes, ce texte a pour but de verrouiller autant que possible les procédures d’expulsion, en préconisant des actes et des mesures policières ignobles, puisqu’il met à l’ordre du jour la délation jusque dans les foyers et l’arrestation des personnes jusque dans le hôpitaux. La circulaire propose une liste interminable d’exemples et de situations, avec force de détails et son style maniaque et vétilleux n’est pas sans rappeler les sordides manuels de l’inquisition, que l’on croyait appartenir à d’autres temps.

Sont licites les interpellations et les arrestations d’étrangers dans les préfectures même lorsque l’étranger s’y présente volontairement pour déposer ou renouveler une demande de titre de séjour, dans un hôpital ou un centre d’accueil pour toxicomanes, dans les autres espaces publics, comme les halls d’accueil ou les salles d’attente, jusque dans un « bloc opératoire, la Cour de cassation a refusé de considérer l’existence d’une violation de domicile, le bloc n’étant pas assimilable à un domicile privé, bien que son accès en soit limité ». Il n’y aura pas d’arrestations massives d’étrangers dans les blocs opératoires, mais la mise en avant d’un tel exemple dans une circulaire ministérielle doit être dénoncée, parce qu’elle met à l’ordre du jour des calculs ignobles, conduisant à la violation des règles humanitaires les plus simples. Doivent être également condamnés les appels aux gestionnaires des établissements publics et des logements-foyers et des centres d’hébergement pour étrangers, invités à « solliciter l’intervention des forces de police et de gendarmerie » pour interpeller les étrangers en situation irrégulière. La pratique a déjà lieu dans certains établissements scolaires, elle vise à être étendue à la plupart des lieux publics et administratifs.

La Cimade, association pour la défense et l’information sur le droit des étrangers en situation irrégulière, lance un appel aux personnels des établissements publics, afin qu’ils prennent position ouvertement contre cette circulaire ; elles les invite à faire une déclaration de désobéissance civile, en refusant de s’inscrire dans cette sinistre escalade, en dénonçant cette circulaire.
Diffusez l’appel (lire ci-dessous), apportez votre signature :

Une circulaire monstrueuse sur les interpellations d’étrangers

A quelle mascarade juridique conduit l’utilitarisme migratoire

La circulaire des ministres de l’intérieur et de la justice du 21 février 2006 relative aux « conditions de l’interpellation d’un étranger en situation irrégulière, garde à vue de l’étranger en situation irrégulière, réponses pénales » se caractérise par un véritable détournement du droit. Elle vise, en effet, à extraire d’un certain nombre de décisions de la Cour de cassation un habillage juridique pour les arrestations les plus ahurissantes d’étrangers en situation irrégulière - à leur domicile, dans les locaux d’associations, dans les foyers et résidences collectives, et jusque dans les blocs opératoires des hôpitaux. Elle puise aussi dans la jurisprudence des recettes destinées à piéger ces étrangers par des convocations d’apparence anodine dans les préfectures pour les y interpeller en vue de leur éloignement.

Deux ministres du gouvernement Villepin poussent le cynisme jusqu’à signer un texte où les convocations-piège sont définies comme « loyales ».

Cet abus de langage rend bien compte de l’esprit qui anime le gouvernement. Tous les moyens lui sont bons pour éloigner les étrangers au point que, dans ce domaine au moins, le respect de l’Etat de droit se limite à celui de la forme juridique des actes. Du moment que la forme est sauve, il est possible de commettre les forfaits les plus graves sur le fond : qu’importent le respect de la vie familiale ou de la vie privée, les risques en cas de retour au pays, ses conséquences sur la santé...

De ce point de vue, cette circulaire se situe parfaitement dans la ligne « philosophique » utilitariste de la réforme en cours du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). On y prend l’exacte mesure de ce sur quoi elle repose et de ce vers quoi elle conduit. L’étranger n’ayant d’autre valeur que celle que lui confère l’utilité qu’il présente pour l’économie, il n’a plus de droits par lui-même. Dès lors, pour peu que les règles de la chasse soient respectées, la chasse est ouverte. Elle l’est sans limitations de temps et de lieu, selon le modèle utilisé en matière d’élimination des nuisibles.

Cette lutte qui tourne à la guerre empêchera toute régularisation plus sûrement encore que la suppression de la règle des dix ans de séjour. La consigne donnée aux préfets de convoquer les étrangers pour les interpeller et de saisir toute occasion de le faire dissuadera évidemment ces étrangers d’aller faire examiner ou réexaminer leur situation en vue d’une éventuelle délivrance de titre de séjour.

A quoi rime un tel déploiement de violence ? A réduire le nombre des sans-papiers ou à les multiplier ? Même si, à force d’inhumanités, l’administration parvient à expulser davantage d’étrangers, elle en éloignera de toute évidence moins qu’il n’y aura de nouveaux arrivants. Dissuadés d’avance, en raison des dangers qui vont peser sur eux, de se signaler, ils rejoindront leurs compatriotes déjà privés de papiers. C’est ainsi qu’au nom d’une illusoire répression de l’irrégularité, on finit par la développer.

La morgue des auteurs de la circulaire interdit d’espérer d’eux le moindre respect pour les étrangers qu’ils condamnent ainsi à une vie d’angoisse et de peur permanentes, à des emplois aux horaires et aux salaires hors la loi. Cette morgue interdit également au gouvernement de penser que les résidents de France - Français et étrangers en situation régulière - acceptent d’être les témoins et les victimes d’une société dans laquelle des milliers de personnes seraient mises au ban et marginalisées et où, à des contrôles policiers multipliés, s’ajouterait la délation rendue obligatoire, en violation du secret professionnel auquel ils sont tenus, de la part des travailleurs sociaux ou des personnels des établissements d’hébergement. Contre une telle dérive de l’Etat de droit, contre une telle atteinte aux libertés et à l’égalité, qui sont également au coeur de la réforme du CESEDA, une réaction d’ampleur s’impose.

lundi, mars 13, 2006

Projet de loi : Contrôle de la validité des mariages

Le Garde des Sceaux, ministre de la Justice, a présenté un projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages.

Ce projet de loi tire les conséquences de l’accroissement du nombre des mariages de complaisance et des mariages forcés et de l’insuffisance des moyens de l’État pour faire face à cette situation. Il a pour objet de renforcer le contrôle exercé sur la sincérité de l’intention matrimoniale et de lutter plus efficacement contre la fraude à l’état civil.

Pour les mariages célébrés en France, le projet de loi clarifie la chronologie des formalités qui doivent être accomplies avant la célébration du mariage ; il renforce le contrôle de l’identité des candidats au mariage et prévoit une audition des futurs époux en cas de doute sur le libre consentement des intéressés ou la réalité du projet matrimonial.

S’agissant des mariages contractés par les ressortissants français à l’étranger, le projet de loi introduit dans le code civil un nouveau chapitre intitulé « Du mariage des Français à l’étranger ». Les ressortissants français souhaitant se marier à l’étranger devront solliciter auprès des autorités diplomatiques un certificat de capacité à mariage qui leur sera délivré après remise d’un dossier complet et une audition destinée à vérifier la sincérité de leur intention matrimoniale et la régularité du mariage au regard du droit français.

Le respect de ces formalités emportera des conséquences au regard de la possibilité d’obtenir la transcription du mariage sur les registres de l’état civil français. Lorsque les formalités auront été respectées, la transcription sera possible dans les conditions du droit actuel. Si l’audition des futurs époux fait naître un doute sur la validité du mariage, le consulat ou l’ambassade en informera le procureur de la République compétent pour qu’il s’oppose au mariage ; si le mariage est célébré en dépit de cette opposition par l’autorité étrangère, sa transcription sera impossible, sauf si les époux obtiennent l’autorisation du tribunal de grande instance. Dans le cas où l’époux français se marie à l’étranger sans avoir sollicité la délivrance du certificat de capacité à mariage, il est procédé à une audition et si des indices laissent suspecter une fraude, le procureur pourra s’opposer à la transcription, cette opposition ne pouvant être levée que par une décision du tribunal de grande instance saisi par les époux.

Par ailleurs, afin de mieux lutter contre les mariages forcés, le projet de loi prévoit que les futurs époux mineurs seront entendus seuls par l’officier de l’état civil.

Enfin, le projet de loi renforce la lutte contre la fraude à l’état civil en simplifiant le dispositif de vérification de l’authenticité des actes de l’état civil étrangers, introduit par la loi du 26 novembre 2003.

Projet de loi relatif au contrôle de la validité des mariages

Où en est-on?

Le projet de loi a été présenté en Conseil des ministres le 1er février 2006.

De quoi s'agit-il?

Ce texte vise à lutter contre les "mariages de complaisance".

Pour les mariages célébrés en France, le texte prévoit un renforcement du contrôle de l’identité des candidats au mariage et une audition des futurs époux en cas de doute sur le libre consentement des intéressés ou la réalité du projet matrimonial.
Les mariages célébrés à l’étranger devront être précédés d’une audition devant le consul, qui pourra émettre des réserves, voire entamer une procédure d’opposition. Le non respect de cette procédure entrainera l’impossibilité de transcrire ce mariage sur les registres de l’état civil français, sauf jugement inverse émis par le tribunal de grande instance. D’autre part pour lutter contre les mariages forcés, le texte prévoit que les futurs époux mineurs seront, préalablement au mariage, entendus seuls par l’officier d’état civil.

Aller plus loin :

vendredi, mars 10, 2006

Le modèle migratoire français est-il adapté ?

Jean-Christophe Dumont

OUI

Le projet de loi de Nicolas Sarkozy préconise de développer une immigration « choisie » de personnes hautement qualifiées pour répondre aux besoins supposés de main-d’oeuvre
a politique d'immigration répond-elle aux besoins de l'économie ?

Il faut d'abord distinguer les migrations à fin d'emploi et celles qui relèvent d'autres catégories comme le regroupement familial ou l'accueil de réfugiés. Les migrations de travail ne représentent qu'une faible part de l'immigration totale : en 2004, 7 000 permis de travail ont été délivrés pour un nombre d'entrées avoisinant 140 000. Cela posé, si l'un des objectifs implicites de cette politique migratoire est de satisfaire aux besoins de court terme du marché du travail, les instruments utilisés pour y parvenir parviennent bon an mal an à répondre à la demande des entreprises.

Ces instruments sont d'ailleurs très semblables à ceux mis en oeuvre par les autres pays développés. Les entreprises ont en effet la possibilité, si elles ne trouvent pas de main-d'oeuvre, de recruter dans un pays tiers si cette demande est avalisée par l'Agence nationale pour l'emploi, qui vérifie qu'aucun ressortissant local ou européen ne peut occuper cet emploi, et par la délégation départementale de l'emploi et du travail. Pour les secteurs ayant besoin de personnels hautement qualifiés, des procédures simplifiées ont été introduites : mais le seul critère utilisé actuellement est celui du salaire, qui doit être supérieur à 5 000 euros brut mensuels. Au Royaume-Uni, le principe est le même, à cette différence près que la procédure simplifiée s'applique à une liste précise de professions. Ce système fonctionne plutôt bien et si ses conséquences sont très variables d'un pays à un autre c'est avant tout parce que la situation du marché du travail n'est pas la même. En 2003, le Royaume-Uni a accordé 45 000 titres de travail et la France 7 000, mais le taux de chômage y est deux fois moindre...

Le gouvernement va soumettre un projet de loi reposant sur l'idée qu'il faut développer une « immigration choisie » en opposition à une « immigration subie ». Comment analysez-vous cette volonté ?

Plutôt que d'immigration choisie ou subie, je préfère parler d'immigration discrétionnaire - c'est-à-dire qu'elle est décidée en fonction d'objectifs déterminés, par opposition à une immigration non discrétionnaire, résultant de droits comme le regroupement familial ou la liberté d'installation au sein de l'Union européenne...

La part « discrétionnaire » est, en France, beaucoup plus faible que dans les autres pays : 17 % contre 50 % au Royaume-Uni, 60 % en Australie. Il existe deux façons d'augmenter cette proportion. La première consiste à restreindre l'accès au territoire national pour les migrants prétendant relever de catégories « non discrétionnaires », mais cette première voie est limitée car les droits des migrants sont encadrés par le droit français et les directives européennes. En exigeant des conditions de ressources et de logement plus contraignantes, le gouvernement a déjà utilisé une bonne part de ses marges de manoeuvre.

La seconde consiste à augmenter les migrations sélectionnées, mais il faut savoir qu'au total, cela conduira à une augmentation du volume des flux migratoires et non à une substitution, comme pourrait le laisser croire une lecture un peu rapide de ce projet.

Quels devraient en être les objectifs ?

Ils peuvent être multiples : un pays peut vouloir attirer des migrations de peuplement pour des raisons démographiques - c'est le cas du Canada ou de la Nouvelle-Zélande ; il peut faire venir des profils très diplômés parce qu'il considère, à l'instar du Royaume-Uni, que c'est un atout pour son économie.

La France n'a pas encore énoncé ses objectifs. Ce serait pourtant un préalable pour discuter des instruments de sélection. Mais il ne faut pas oublier que les besoins futurs en main-d'oeuvre ne sont pas limités aux professions hautement qualifiées. De plus, la France dispose d'importantes réserves de main-d'oeuvre et elle est loin de l'objectif de Lisbonne fixé en termes de taux d'emploi, 70 % d'ici à 2010. Les taux de déclassements (c'est-à-dire les personnes employées à un niveau inférieur à leurs compétences) y restent importants : environ 12 % des actifs employés. Au total, 44 % des personnes nées à l'étranger et diplômées du supérieur sont soit inactives, soit au chômage, soit déclassées.

La mobilisation de cette main-d'oeuvre ne constitue pas seulement un impératif en termes d'équité sociale, elle s'impose pour des motifs d'efficacité économique. La formulation d'une politique migratoire sélective doit prendre en compte ces paramètres. Enfin, il ne faut pas croire qu'il suffit d'ouvrir ses portes pour que viennent les candidats désirés : l'environnement doit être attractif, de vraies opportunités doivent être offertes. La France commence à prendre conscience de cela comme le montrent les nouvelles dispositions concernant les étudiants étrangers et les travailleurs très qualifiés, mais dans un marché où les pays se disputent les meilleurs, elle a encore davantage besoin d'attirer que de sélectionner.

Propos recueillis par Laurence Caramel, le Monde du

dimanche, mars 05, 2006

Quand la préfecture de Seine et Marne piétine les décisions du Tribunal Administratif

Centre de rétention du Mésnil-Amelot, le 7 février 2006

Monsieur A., un jeune Turc de 26 ans, d’origine kurde, vient d’échapper de justesse à un renvoi vers la Turquie, alors même qu’un tribunal avait reconnu qu’il y était en danger.
Chronique d’un acharnement administratif… ou les dérives de la politique du chiffre.

Monsieur A. a été amené le 11 janvier dernier par la préfecture de Seine et Marne au centre de rétention
administrative du Mesnil-Amelot pour être reconduit en Turquie.

Il a demandé au tribunal administratif de Melun d’annuler cette reconduite, ou pour le moins, la décision fixant la Turquie comme pays de renvoi. En effet, il a un certain nombre de preuves établissant qu’il encourrait de graves dangers dans son pays d’origine.
Ces documents ont été pris en compte par le tribunal, qui a annulé le choix de la Turquie comme pays de destination, tout en maintenant la décision de l’éloigner de France.

De retour au centre de rétention, Monsieur A. reçoit quelques jours plus tard un dossier de réexamen d’une demande d’asile, dossier dont il n’a jamais fait la demande. Sachant qu’il lui sera impossible de rassembler en quelques jours des preuves attestant de craintes de persécutions et sans interprète, Monsieur A. refuse de remplir ce dossier dont il sait qu’il ne mènera qu’à un échec.

La Préfecture de Seine et Marne, plutôt que de libérer quelqu’un qu’elle ne pourra reconduire, prend alors une nouvelle décision de reconduite vers la Turquie, arguant du fait qu’après son refus de remplir ce dossier d’asile, « rien ne fait obstacle à l’exécution de l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière » et donc au renvoi vers la Turquie…

La Préfecture mélange à dessein des notions tout à fait distinctes : les raisons pour lesquelles un étranger peut obtenir le statut de réfugié sont bien plus restrictives que les raisons pour lesquelles il peut se voir annuler le pays de renvoi.

Monsieur A. décide de contester ce nouveau renvoi vers la Turquie, à nouveau devant le tribunal administratif. Mais lorsqu’il y est convoqué, le tribunal remet le jugement à une date ultérieure, après la date prévue pour son expulsion, le 26 janvier !

L’avocate de Monsieur A. fait une référé suspension. C’est une demande de jugement en urgence par lequel le tribunal administratif peut ordonner à une préfecture de suspendre une reconduite tant que l’affaire n’est pas jugée. Normalement audiencé en quelques jours, le tribunal, devant l'urgence, décide de statuer le matin même, quelques heures avant le vol. Il répond favorablement et suspend la procédure d'éloignement.

Monsieur A. a failli être renvoyé vers la Turquie, alors même que le tribunal administratif avait estimé qu’il y risquait sa vie… La Préfecture montrerait-elle un zèle si dévot à suivre les consignes du Ministre de l’Intérieur visant à augmenter le nombre de reconduites à la frontière, qu’elle en oublierait les principes les plus élémentaires du droit international, tel que le principe de non refoulement vers un pays où une personne risque la torture?…

Source : CIMADE

Des critiques après la suggestion du ministre de mentionner l'origine ethnique

Source : Libération, 14 février 2006
par Jacky DURAND

Simple opportunité tactique ou stratégie préélectorale ? En faisant, hier, de la «transparence» le maître mot de la publication du premier rapport mensuel de l'Observatoire national de la délinquance (OND, lire ci-contre), le ministre de l'Intérieur s'est risqué sur un terrain beaucoup plus miné que la simple comptabilité des crimes et des délits : celui des origines ethniques des personnes mises en cause. Interrogé sur RMC-Info quelques minutes avant le début de conférence de l'OND, Sarkozy s'est déclaré favorable à la mention de l'origine des délinquants dans les statistiques de la police : «Il faut faire de la transparence. Il n'y a aucune raison de dissimuler un certain nombre d'éléments qui peuvent être utiles à la compréhension de certains phénomènes.»

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Le 24 janvier, déjà, le ministre de l'Intérieur avait évoqué le «phénomène très préoccupant» de «bandes constituées sur des critères ethniques avec une violence endémique», dans un discours prononcé à l'occasion des voeux du syndicat de gardiens de la paix Alliance. Ce phénomène était, selon lui, démontré par «les dernières arrestations dans les transports en commun notamment». Le ministre de l'Intérieur faisait notamment référence aux violences dans le TER Nice-Lyon, aux premières heures du 1er janvier 2006.

Précédents. Sarkozy n'est pas le premier flic de France à aborder la question des «critères ethniques». En 1990, une polémique avait contraint le gouvernement Rocard à retirer un décret autorisant les Renseignements généraux à ficher «les opinions politiques, philosophiques, religieuses» ainsi que «l'origine ethnique de certaines personnes». Il y a dix ans, la police avait aussi envisagé un système de fichage permettant de répertorier les «origines ethniques» des gardés à vue.

La «transparence» prônée aujourd'hui par Nicolas Sarkozy sur les origines des mis en cause laisse sceptiques les spécialistes de la délinquance, policiers ou chercheurs.

A commencer par le président de l'OND, Alain Bauer, pilier de la pensée sécuritaire, qui fut membre du cabinet de Michel Rocard quand il était à Matignon, et Grand Maître du Grand Orient de France. «Je suis dubitatif sur l'utilité de créer un appareil statistique sur les origines ethniques des mis en cause, indiquait-il hier à Libération. Le risque de provoquer des effets pervers est très important. On a déjà le fichier Canonge qui donne des indications physiques sur les personnes recherchées. Je ne crois pas qu'il existe de mécanisme ethnique ou cultuel dans la construction de la criminalité. Il y a une réalité démographique : les jeunes mâles sont davantage représentés dans les populations issues de l'immigration et, par définition, sont plus remuants que les vieilles dames.»

Conditions de vie. Dominique Achispon, secrétaire général du Syndicat national des officiers de police (Snop, majoritaire), se demande «à quoi pourraient bien servir de telles informations. On arrête un délinquant, pas parce qu'il est noir ou arabe, mais parce qu'il a commis une infraction». Un policier en poste en région parisienne constate : «C'est vrai que dans la délinquance de voie publique que j'observe, trois quarts des mis en cause sont issus de l'immigration, mais ils sont aussi de nationalité française. Ce constat, c'est celui de leurs conditions de vie.»

Laurent Mucchielli, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales, affirme (1) que «la part prise par des jeunes issus de l'immigration dans certains types de délinquance est d'abord la conséquence de leur position sociale. Ces jeunes sont avant tout des enfants des quartiers ouvriers, des fils de familles nombreuses, les moins armés scolairement et les plus précaires économiquement».

(1) Dans un ouvrage collectif, La République mise à nue par son immigration (éd. La Fabrique), à paraître début mars.

mercredi, mars 01, 2006

Note d’instruction aux CADA (centres d’accueil des demandeurs d’asile) sur l’admission et les délais de séjour

Note d’instruction aux CADA (centres d’accueil des demandeurs d’asile) sur l’admission et les délais de séjour

L’objet de cette circulaire est la réduction des délais de séjour en CADA, sous le pilotage régional des DDASS et des préfets (autorité sur le DNA). Plus clairement, l’objectif d’ici 2007 est que ces structures n’hébergent que des demandeurs d’asile dont la demande est encore en cours. « Les préfets veilleront à (...) responsabiliser plus efficacement les organismes participant à l’accueil des demandeurs d’asile depuis leur arrivée jusqu’à leur intégration, si la qualité de réfugié leur est reconnue, ou leur retour. »

L’ANAEM a été chargée de la mise en place d’un système d’information, notamment en ce qui concerne les offres de places, et qui permettra d’avoir des listes nominatives des personnes hébergées en CADA. La surveillance des déboutés, même sans collaboration réelle des directeurs de CADA, deviendra beaucoup plus facile. « Les demandes de réexamen ne peuvent être considérées comme un motif suffisant pour conserver un droit au maintien en CADA, dès lors qu’elles sont intervenues après l’IQTF », il faut « organiser sans délai la sortie des CADA(...) pour assurer l’éloignement des déboutés » en lien avec la circulaire sur les interpellations. Le délai de maintien autorisé dans les lieux est de 4 semaines après le rejet de la demande, après quoi, il peut être mis fin au versement de l’allocation sociale globale aux CADA pour les personnes hébergées « indûment ».

Nous espérons que de nombreux CADA n’appliqueront pas ces dispositions et s’y opposeront.

Note d’instruction relative aux procédures d’admission et aux délais de séjour dans le dispositif national d’accueil (DNA) des demandeurs d’asile, janvier 2006